Collouthos, poète grec d’Egypte qui a vécu sous le règne d’Anastase (fin Ve – début VIe s. ap. J.-C.), ne nous est connu que par son court poème L’enlèvement d’Hélène. Cette « préquelle » de l’Iliade1 suit une très longue tradition des légendes concernant le commencement de la guerre de Troie. Les études sur le poème de Collouthos ont prouvé que le poète a choisi des versions divergentes des légendes traditionnelles de la pomme d’Eris, du concours de beauté des trois déesses ou du voyage de Pâris à Sparte2. Notre intention est de chercher d’abord les raisons pour lesquelles Collouthos a choisi de dévier par rapport à la version « officielle » de la légende troyenne et on essaiera de comprendre pourquoi le court opuscule de Collouthos est la seule œuvre poétique sur l’enlèvement d’Hélène qui nous a été sauvée par la tradition, parmi les Chants Cypriens, les poèmes lyriques et les drames attachés à ces thèmes durant toute l’Antiquité.
La légende de l’enlèvement d’Hélène était déjà formée dans ses détails dès l’époque d’Homère3 et la possibilité de formuler quelque chose d’originale n’existait guère. L’histoire commence par les noces de Thétis et de Pélée, puis suivent la scène de la pomme d’Eris et le concours de beauté des trois déesses, Aphrodite, Héra et Athéna, et l’histoire se termine par la construction des navires de Pâris qui l’ont amené à Sparte d’où il a enlevé Hélène pour la conduire à Troie. Chaque auteur ou poète qui s’est occupé de la cause de la guerre de Troie a choisi d’illuminer les épisodes qui l’intéressaient le plus et de passer sous silence ceux qui ne servaient pas à son but4.
Homère mentionne l’enlèvement d’Hélène dans l’Iliade (III, 46-49, III, 174-175, VI, 292, XXIV, 763-764) et dans l’Odyssée (IV, 262-263), ainsi que le concours de beauté des trois déesses (Il., XXIV, 28-30)5. Pourtant il n’est pas l’inspiration principale pour Collouthos, comme on va voir, car ces thèmes étaient déjà développés dans les Chants Cypriens et, plus précisément, dans les œuvres de Stasinos6. Homère est évidemment omniprésent dans l’opuscule de Collouthos, puisque l’on trouve ses traces dans plusieurs motifs, mis à part la langue, la métrique et l’atmosphère en général7 : la déesse en colère (Il., IX, 533-540), la toilette d’Aphrodite (Od., VIII, 364-366), la description de la construction de la flotte de Pâris (Il., V, 59-64), le lancement de la pomme par Eris (cf. Il., XXIII, 840), le discours triomphal d’Aphrodite vainqueur (cf. Il., V, 416-430), le premier discours plein d’hésitations d’Hélène envers Pâris (cf. Od., VII, 237-239) ou l’assoupissement et le rêve d’Hermione inconsolable (cf. Od., IV, 793-841).
La poésie lyrique semble plus s’intéresser au dilemme constitué par la culpabilité et l’innocence d’Hélène (Alcée, fr. 283, Sappho, fr. 16 ; Pindare mentionne les noces de Pélée et de Thétis dans le Pythique III, 86-95)8. Stésichore s’est inspiré de la version de l’εΐδωλον d’Hélène qui a voyagé avec Pâris à Troie (Palinodie, fr. 62-63)9 et il a exercé une influence sur Euripide qui, à son tour, l’a développée dans sa tragédie Hélène10. Euripide a d’ailleurs puisé plusieurs de ses sujets dans les Chants Cypriens11 et Hélène est protagoniste dans la tragédie homonyme et dans Les troyennes12, tandis que les épisodes principaux de la légende sont mentionnés dans Andromaque, Hécube, Oreste et Iphigénie à Aulide13. Les autres poètes dramatiques qui se sont occupés de l’histoire d’Hélène et de Pâris sont Sophocle, qui a composé un drame satyrique sous le titre L’enlèvement d’Hélène (post fr. 180a), Alexis, qui a composé une comédie avec le même titre (fr. 71-72) et Cratinos, qui a parodié l’enlèvement d’Hélène dans son Dionysalexandros14.
L’influence de la poésie hellénistique sur le poème de Collouthos est évidente dès le premier vers, où il évoque Callimaque et Moirô. Apollonios de Rhodes lui a offert les portraits d’Apollon (II, 676-677) et de Pâris (I, 577-578), la tempête (II, 169-174) et la rencontre des deux amoureux (III, 912-1145), tandis que Théocrite a été son modèle pour les descriptions idylliques du berger Pâris à l’Ida (VII, 15-20). De plus, très importants sont pour Collouthos les textes de l’époque impériale, notamment le Jugement des déesses de Lucien (cf. la scène entière du concours de beauté), les epyllia de Triphiodore et de Musée et, bien sûr, les Dionysiaques de Nonnos (le mariage de Cadmos et d’Harmonia dans V, 88-120, et la lamentation d’Erigoné dans XLVII, 34-264, lui ont inspiré la première et la dernière scène de son poème respectivement). Enfin, il ne faut pas méconnaître l’influence de la littérature latine sur le texte de Collouthos, puisque l’on repère des points communs avec les Héroïdes XVI et XVII d’Ovide15 et l’Enlèvement d’Hélène de Dracontius16. Les dernières études sur la production littéraire de l’époque soulignent le rôle important que les exercices scolaires ont joué dans la création poétique17, et aussi celui de la rhétorique, « le grand tyran de l’époque »18.
La première « omission » de Collouthos par rapport à l’histoire du commencement de la guerre de Troie se trouve dans la scène d’ouverture, où l’on fête les noces de Thétis et de Pélée : notre poète ne fait aucune référence aux cadeaux pour les nouveaux mariés bien que toutes les sources qu’il a utilisées mentionnent les δώρα. Homère en parle plusieurs fois dans l’Iliade (XVI, 143-144, XVI 866-867, XVII, 194-196, XVIII, 84-85, XIX, 390-391, XX, 277, XXI, 162, XXII, 133, XXIII, 277-278), ainsi que Pindare (Pythique III, 94-95) et Quintus de Smyrne (IV, 54). On sait que Pélée a reçu de la part des dieux une armure impénétrable, une lance qu’aucun autre ne pouvait lever (la fameuse Πηλί,άς μελίη) et deux chevaux immortels. Sans raison apparente Collouthos choisit de n’en pas parler.
Le catalogue des invités contient aussi des changements. Dans les sources les plus anciennes, comme Homère et Pindare, aucun dieu n’est absent de la cérémonie. Pourtant selon Catulle, LXIV, 299-302 et Nonnos, Dionysiaques, V, 91-108, Artémis n’y assiste pas car elle dédaigne l’union d’un homme avec une immortelle. Par contre, chez Collouthos deux déesses vierges viennent à la fête : Athéna, qui est qualifiée d’« ignorante du mariage » et Artémis. Collouthos décide de souligner l’apparition d’Artémis à la cérémonie par la phrase « ουδέ […] ’Άρτεμις ήτίμησε »19 (vv. 32-33). De plus, si nous regardons le passage de Nonnos (Dionysiaques, V, 91-108, la description des noces de Cadmos et d’Harmonia) qui a inspiré la première scène de l’Enlèvement d’Hélène, on observe que notre poète suit un ordre d’arrivée des dieux différent, puisque Zeus et Poséidon arrivent les premiers et Peithô (la personnification de la persuasion) se substitue à la Nikê (la Victoire) de Nonnos. Chez Collouthos, Peithô apparaît non seulement comme la compagne d’Erôs à la fête, mais aussi comme celle qui a fabriqué la couronne des noces.
La suite est mondialement connue. Eris, la déesse de la discorde, n’étant pas invitée, lance une pomme au milieu du groupe des dieux et cela provoque une grande dispute parmi trois d’entre eux : Héra, Aphrodite et Athéna revendiquent chacune pour soi la pomme d’Eris. Le lecteur n’est jamais informé pour quelle raison une pomme est aussi enviable. Collouthos se réfère à la matière précieuse de la pomme d’or, ainsi qu’à son origine, le fameux jardin des Hespérides, un lieu difficile à approcher, puisqu’il fut un des douze travaux d’Héraclès. On sait aussi que les pommes des Hespérides sont le cadeau de la Terre pour le mariage de Zeus et d’Héra20. Pourtant ni l’or ni la provenance de la pomme ne suffisent à la rendre aussi désirable. Notre poète omet de mentionner le détail le plus important : l’inscription « τη καλλίστη », c’est-à-dire « à la plus belle », qui était gravée sur la pomme. Peut-être ne l’a-t-il pas considéré comme absolument indispensable, puisqu’aucun lecteur n’ignorait le mythe de la pomme d’Eris.
Ensuite Zeus ordonne à Hermès d’aller trouver Pâris pour lui demander d’être le juge dans le concours de beauté des trois déesses. Collouthos choisit la tradition qui fait de Pâris un berger21 et non pas un prince, bien que plus bas, dans la scène de la persuasion d’Hélène, Pâris s’appuie fortement sur son identité royale (vv. 283-284). Les philologues qui ont étudié le poème ont observé que le portrait du berger Pâris est inspiré par le portrait d’Anchise, dans l’Hymne Homérique à Aphrodite, 80. L’image du berger qui souffle son su'rigx se trouve déjà chez Homère22, mais il s’agit d’une image bucolique très courante. Théocrite, VIII, 18, y ajoute un petit détail en enduisant la flûte de cire blanche, et Collouthos, à son tour, parle des « pipeaux rustiques » (σύριγγος […] άγροτέρων καλάμων, vv. 110-111) de Pâris, en indiquant son matériau.
En chemin à la rencontre de Pâris, les trois déesses s’occupent de leur apparence. Aphrodite appelle ses enfants, les Amours, pour l’entourer et l’encourager. Bien que l’image se trouve dans plusieurs épigrammes de l’Anthologie Grecque et dans des vases et des mosaïques de l’Antiquité23, la scène de la toilette d’Aphrodite est inspirée par l’Hymne Homérique à Aphrodite, 58-6224. Pourtant Collouthos oublie un détail important dans l’ornement de la déesse : ses bijoux. Les philologues qui ont étudié le poème en reconnaissent une allusion dans la répétition du mot χρυσω du v. 8325. C’est vrai que Collouthos, en général, évite les ekphraseis et les descriptions des objets à la manière alexandrine, contrairement aux poètes qui lui sont contemporains.
Pâris écoute Hermès avec attention et n’hésite point sur l’ordre de Zeus. Selon les sources antérieures à Collouthos, le jeune Troyen était terrifié devant les dieux et s’estimait peu digne d’une telle décision26. Notre poète fait une brève référence à cette peur de Pâris (δειμαίνων δ’ άνόρουσε, « effrayé, il se lève d’un bond », v. 123), mais il ne cherche pas d’arguments propres à persuader le jeune homme. Il préfère épicer son texte de toutes les sources disponibles sans permettre à aucune de laisser son parfum dominer son poème. Pour Collouthos, le plus important c’est de continuer son histoire, et un άγων λόγων provoquerait une interruption dans son récit. On va voir plus bas que Pâris convainc Hélène très facilement.
Pendant l’examen pour le concours de beauté, les trois déesses portent leurs vêtements. Elles ne sont pas examinées nues, comme le veulent les poètes latins (Properce, II, 13-14 et Ovide, Héroïdes, V, 35, XVI, 57, XVII, 115) et Lucien (Jugement des déesses, 7)27. Pâris les observe comme un homme quelconque regarderait trois belles femmes, c’est-à-dire de la tête jusqu’aux pieds, par derrière et par devant, et puis il les laisse s’adresser à lui. Chez Collouthos, les trois déesses parlent selon l’ordre qui a été établi par les Chants Cypriens et par Euripide : Athéna est la première qui prend la parole, ensuite Héra et enfin Aphrodite. Un ordre plus naturel, voire « protocolaire », serait Héra-Athéna-Aphrodite, comme parlent les déesses chez Isocrate et chez Cratinos28.
Le contenu des discours des déesses est similaire à celui que l’on perçoit dans Les Troyennes, 925-931 : Athéna assure au jeune berger qu’elle fera de lui un roi-guerrier invincible, Héra lui promet le gouvernement de l’Asie et de l’Europe, et Aphrodite lui offre le lit de la plus belle femme de son temps, Hélène. Pâris donne le prix de beauté à Aphrodite sans trop y réfléchir. Collouthos ne cherche pas les raisons qui pourraient justifier le choix de Pâris, comme le fait Isocrate, par exemple (Eloge d’Hélène, 42-43). L’amour constitue un argument très convaincant pour un jeune homme ; c’est aussi simple29. Pourtant notre poète passe sous silence le fait que Pâris s’était déjà marié avec Œnone, une nymphe de l’Ida, et qu’ils avaient un enfant ensemble30. C’est assez ironique si l’on pense que, au début de son poème, Collouthos appelle les nymphes de Troade pour lui raconter l’histoire du concours de beauté des trois déesses et que, parmi celles-ci, se trouve l’épouse abandonnée de Pâris.
Le jeune homme ne perd pas de temps et se met à construire la flotte qui l’amènera à Sparte. Athéna ne participe pas à la construction de la flotte, comme elle l’avait fait avec les Argonautes31, et Collouthos le remarque précipitamment (v. 200) : « mais ces navires n’ont été ni conçus ni bâtis par Athéna », parce qu’elle avait perdu dans le concours. Pâris a maintenant sa propre déesse protectrice, Aphrodite32. Il voyage seul, bien que, selon les sources anciennes, Enée et d’autres héros de Troie l’accompagnent33. Dans les Chants Cypriens, 92-94, Hélénos et Cassandre prophétisent sur l’issue fatale de ce voyage à Laconie avant le départ de Pâris. Collouthos passe sous silence la prophétie d’Hélénos et transpose celle de Cassandre à la fin de son poème.
Une autre omission importante dans le poème est l’absence de Ménélas34. Pâris arrive à Sparte et trouve Hélène seule. Selon les Chants Cypriens, 95-100, il est d’abord reçu par les Dioscures et après par Ménélas : « Au cours du festin, Hélène reçoit des cadeaux d’Alexandre. Ensuite, Ménélas fait voile vers la Crète, après avoir recommandé à Hélène de fournir aux besoins de leurs hôtes jusqu’à ce qu’ils prennent congé ». La scène de la persuasion d’Hélène a été sévèrement critiquée car elle ne contient aucune argumentation. Hélène voit Pâris et elle tombe amoureuse de lui. Elle cherche n’importe quel prétexte pour le suivre à Troie et elle le trouve dans l’envie de visiter la ville afin de voir ses légendaires murailles qui avaient été construites par Apollon et Poséidon.
Collouthos n’approfondit pas la psychologie d’Hélène : était-elle malheureuse dans son mariage ou simplement infidèle à son mari ? Notre poète ne donne pas l’impression qu’il s’agissait d’une planification de la part d’Hélène. Encore une fois le coup de foudre lui suffit pour qu’une femme mariée, avec enfant, abandonne sa famille pour suivre son nouvel amour. Les décisions de cœur des héros de Collouthos ne convainquent pas les philologues qui étudient le poème. Mais Pâris en avait déjà fait de même : il avait quitté son épouse et son enfant en poursuivant une femme qu’il n’a jamais vue (v. 192). Collouthos privilégie un récit dépourvu au maximum de tout ce qui pourrait constituer un obstacle à l’action ; or, les unions conjugales en représentent un. C’est pourquoi Ménélas est absent et Œnone n’est pas du tout mentionnée35.
Une preuve supplémentaire de cette option de Collouthos est constituée par le silence sur les trésors volés de Ménélas. Selon toutes les sources anciennes, quand Pâris a enlevé Hélène, il a pris avec lui la dot d’Hélène et ses servantes les plus fidèles36. Pourtant chez Collouthos, Pâris désirait seulement Hélène. Pour lui, cette femme était la récompense d’Aphrodite pour l’avoir élue comme la plus belle dans le concours de beauté et non pas un butin de guerre ou une esclave. C’est pourquoi il ne lui était nécessaire de voler aussi de la fortune de Ménélas.
Les Chants Cypriens et Homère font mention de l’union des deux amants avant leur arrivée à Troie37 : selon la première source l’union a eu lieu à Sparte, dans le palais même, juste après le départ de Ménélas (έν τούτω δε ’Αφροδίτη συνάγει την Ελένην τω Άλεξάνδρω καί μετά την μίξην τά πλεΐστα κτήματα ένθέμενοι νυκτός άποπλέουσι, « C’est alors qu’Aphrodite jette Hélène dans les bras d’Alexandre. Leur union consommée, ils embarquent tout ce qu’ils peuvent de richesses et, la nuit venue, ils s’éloignent par mer », vv. 100-102), et selon l’Iliade dans la petite île de Cranaé (III, 445). Collouthos préfère un voyage de retour très rapide, au lieu de décrire une scène d’amour à la manière des romans de l’époque impériale.
Avant de conclure, Collouthos crée un épisode original, celui de la douleur de la petite Hermione, la seule fille d’Hélène et de Ménélas. La fillette se réveille, mais elle ne trouve pas sa mère à son côté. Selon ses paroles, elles avaient dormi ensemble dans le lit conjugal, puisque son père était parti. Hermione cherche partout sa mère et s’endort inconsolable, malgré les conseils des servantes. Elle rêve d’Hélène qui lui révèle qu’un fourbe l’a enlevée violemment. Alors elle se lève et appelle les oiseaux pour aller en Crète et dire à Ménélas qu’« un homme sans loi est venu à Sparte et a détruit tout ce qui faisait la beauté de son38 palais » (vv. 383-384).
Selon les Chants Cypriens, 103-105, Héra envoie une tempête aux deux amants, et Pâris conquiert Sidon avant d’arriver à sa ville natale et d’y célébrer ses noces avec Hélène. Pourtant Collouthos ne décrit aucun voyage de retour. Le poème se termine par l’arrivée des deux amoureux à Troie, où les accueille une Cassandre eschyléenne, qui s’arrache les cheveux et déchire son voile en les voyant passer les hautes portes de la ville. Notre poète a transposé la tempête dans le voyage d’allée (vv. 205-209, sans mention du nom d’Héra), et il a préféré clôturer son poème avec Cassandre, qui, dans les sources anciennes, prophétisait l’aboutissement funeste de ce trajet de Pâris avant son départ.
Malgré les critiques très négatives des philologues modernes sur le poème de Collouthos39, nous sommes reconnaissants à la Τύχη de nous l’avoir sauvé. Il semble que les lecteurs de l’époque byzantine ont apprécié le style simple et non surchargé de Collouthos. A l’inverse, un chercheur moderne s’intéressant à la production poétique de l’antiquité tardive, serait enclin à penser que notre poète a raté beaucoup d’opportunités pour montrer son érudition et son habileté de bon orateur : il omet les bijoux d’Aphrodite et les cadeaux de mariage de Thétis et de Pélée, et il ne décrit pas le costume exotique de Pâris, ni le palais de Ménélas. Un contemporain de Collouthos aurait composé une suasoria pour qu’Hermès persuadât Pâris d’être le juge dans les concours de beauté des trois déesses ou une éthopée pour qu’Hélène fût convaincue de suivre Pâris à Troie. Notre poète n’ignore pas les conventions de la composition de l’épopée et de la légende, mais il choisit d’en mettre dans son poème juste des réminiscences : la Aloç βουλή est mentionnée très discrètement, la tempête pendant le voyage ne couvre que cinq vers et il y a deux digressions dans le récit – les histoires de Phyllis et de Hyacinthe. Collouthos n’évite pas non plus les caractères littéraires stéréotypés (quand on pense à Cassandre on ne peut que voir l’héroïne d’Eschyle ou celle de Lycophron) ou les clichés de la littérature antique (Hélène hésite quand elle adresse la parole à Pâris pour la première fois et le berger qui joue de sa flûte néglige ses troupeaux).
L’époque dans laquelle a vécu Collouthos est caractérisée par un « gigantisme » non seulement par rapport à la création poétique mais aussi par rapport à la production en prose40. Les deux épopées de Nonnos comptent plus de 21.000 vers, tandis que celle de Quintus de Smyrne compte 9.000 vers environ. Grégoire de Nazianze nous a laissé 18.000 vers de qualité et inspiration semblables à celles des genres poétiques de l’Antiquité classique. On pourrait ajouter à cette liste le poème perdu Théogamies héroïques de Peisandros qui formait soixante livres. Néanmoins Collouthos a osé composer un poème qui ressemble plutôt à une longue épigramme qu’à une courte épopée, et y mettre ses traits d’originalité, comme l’ironie et l’épisode d’Hermione. C’était sa façon de continuer les épopées homériques et d’illuminer les épisodes de la légende troyenne qu’il trouvait les plus intéressants41.