Le présent article examine quelques récits brefs de Valeria Parrella (1974) réunis dans les trois recueils jusqu’ici publiés par l’auteure : Mosca più balena (2003), Per grazia ricevuta (2005) et Troppa importanza all’amore (2015)1. La recherche porte sur deux aspects marquants de la contemporanéité présents dans les textes de l’écrivaine napolitaine. Il s’agit, en premier lieu, d’examiner l’image que l’écrivaine construit du récit bref en tant que genre littéraire dans de nombreux autocommentaires à ce sujet. Dans un second temps, est illustrée l’hypothèse que l’un des éléments fondamentaux de la modernité dans ces textes réside dans la manière dont ils racontent la ville. L’argumentation se base sur l’idée de la ville comme métaphore de la modernité, proposée par le sociologue James Donald (1992, p. 419) dans son essai « Metropolis, the City as Text » dans lequel la ville est définie comme » l’une des images-clés de la modernité »2.
La présence des formes narratives brèves dans les cultures romanes est attestée dès l’apparition des premiers textes en langues vulgaires durant le haut Moyen Âge, parmi lesquels, dans la tradition italienne, la devinette de Vérone, datant du VIIIe-IXe siècle. À partir du XIIIe siècle prend son essor la nouvelle italienne dont les antécédents sont les formes brèves comme les exempla et les fabliaux. La nouvelle privilégie l’actualité récente et vise à raconter « d’une manière telle qu’on ait l’impression d’un événement effectif » (Jolles, 1930/1972, p. 180) en s’appuyant sur des stratégies narratives destinées à assurer la prétendue authenticité des faits narrés (Prosenc, 2006). Cet objectif présuppose une « concrétisation historique du lieu et du temps »3 (Jauss, 1985, p. 65) qui comporte fréquemment une focalisation sur l’existence quotidienne des protagonistes, ancrée dans des milieux bien reconnaissables. De nombreuses histoires se déroulent ainsi dans des villes toscanes parmi lesquelles prime Florence, les descriptions abondant de détails topographiques (Prosenc, 2015). Des échos de cet étroit rapport entre le texte littéraire et la ville semblent se répercuter dans les stratégies narratives centrées sur l’image de la ville présentes dans les récits de Parrella que nous nous proposons d’analyser par la suite.
Aujourd’hui, la brièveté est généralement considérée comme un signe de modernité. Comme le note Gérard Dessons (2015, p. 13), « [n]otre époque a un goût prononcé pour la brièveté, ou pour ce qui lui est assimilé. De la maxime au fragment, en passant par le proverbe et le haïku, la promotion de divers objets de langage rassemblés sous l’appellation générique et floue de “formes brèves” est un marqueur de la modernité littéraire ». Une composition littéraire sous le signe de la brièveté se fonde sur des critères tels que la concision, la célérité, la densité et l’unité (Eichel-Lojkine, 2012, p. 6). Ce sont des aspects étroitement liés à la notion de rapidité qui figure parmi les « six propositions pour le prochain millénaire » élaborées par Italo Calvino à la fin d’une époque qu’il caractérise par l’expansion des langues modernes occidentales et des littératures qui en ont exploré les possibilités expressives, cognitives et imaginatives (Calvino, 2002b, p. 3). Calvino insiste sur l’importance de la littérature à l’ère technologique dans laquelle triomphent des médias dotés d’une vitesse élevée (p. 52) et qu’il décrit, dans sa recension du Docteur Jivago datant de 1958, comme :
le temps du récit, du roman bref, du témoignage autobiographique : aujourd’hui une narration véritablement moderne ne peut que concentrer sa charge poétique sur le moment (n’importe quel moment) dans lequel on vit en le valorisant comme décisif et infiniment signifiant ; elle doit donc se situer “au présent” pour nous offrir une action qui se déroule entièrement sous nos yeux en respectant l’unité du temps et de l’action, comme la tragédie grecque4. (Calvino, 2002a, p. 203-204)
Bien que, comme l’explique Federico Pellizzi (2005), en Italie la forme brève ait souvent été considérée comme une défaillance ou comme un humble exercice entrepris en vue de rédiger des textes plus importants, Calvino (2002b, p. 56) estime que les formes brèves sont « la véritable vocation de la littérature italienne »5 et exprime sa prédilection pour ce genre de formes. Selon Guido Guglielmi (2005), le récit bref devient particulièrement important au XXe siècle en tant que « structure constitutive du roman le plus innovateur du point de vue de la forme »6 ; il représente une « prose qui ne prétend plus résumer le monde dans un tableau total, ni concevoir les personnages comme des unités de sens – comme des destins –, mais s’abandonne à un rythme discontinu, rhapsodique, typique de la pièce détachée, de l’épisode, du récit »7.
Comme Calvino, Parrella souligne sa prédilection pour le récit bref. Bien que sa production littéraire comprenne aussi des romans et des pièces de théâtre, elle constate avoir écrit « presque exclusivement des récits brefs »8 (Parrella & Taglietti, 2008, p. 43). L’écrivaine semble partager l’idée que les formes brèves sont les manifestations les plus représentatives de notre monde actuel, dans la mesure où elles sont à même de commenter la société. Elle observe à ce propos :
Quand j’écris des récits brefs, je suis toujours heureuse ; je me sens en terrain connu. Je crois qu’ils ont le format idéal pour notre époque, pour le temps tronqué, éphémère, rapide, volé : lire, et ensuite continuer la journée. J’écris des récits quand je sens que la réalité est trop fuyante et variée pour qu’elle puisse se cristalliser dans une forme longue. Et j’écris des récits parce que je m’intéresse aux êtres humains – aux femmes et aux hommes solitaires qui mènent leurs guerres solitaires9. (Parrella, 2015a, rabat de couverture)
L’auteure considère le récit bref comme la forme idéale pour sa manière d’écrire « rapide et efficace » (Gambaro, 2009) qui lui offre la possibilité de s’assurer que « tout est parfait »10 (Parrella & Taglietti, 2008, p. 43). Cette conception de la forme brève se fonde sur la notion de la « justesse dans le langage » (Dessons, 2015, p. 11) qui ne voit pas la brièveté comme une « extension dimensionnelle », mais plutôt du point de vue d’un « rapport interne à la parole » (p. 47). Pour illustrer cette approche chez Parrella, Giuliana Riccio se sert de l’image offerte par le héros du récit Il giorno dopo la festa qui nage à l’intérieur d’une anse marine sans jamais pousser vers le large. Selon Riccio, il s’agit d’une « métaphore du sens même du genre récit : une parfaite traversée à la nage au cours de laquelle on sait exactement quand il faut s’arrêter pour ne pas se perdre dans l’infini »11 (Parrella & Riccio, 2015). Dans un entretien, Parrella (2015b) propose une autre image liée à sa conception de la brièveté en tant que mesure idéale : « En ce moment, j’ai une fleur sur le balcon de mon appartement, et quand je la regarde, je sais qu’elle représente un récit bref et non pas un roman. Elle est superbe, parfaite, haute ; elle a peu de temps à vivre, mais je vais me souvenir d’elle pendant longtemps »12.
Cette idée de la brièveté est évidente aussi au niveau de la construction des personnages. L’écrivaine constate que sa production littéraire consiste à « rencontrer les personnages à un certain moment pour ensuite les laisser s’en aller »13 (Parrella & Riccio, 2015). Elle précise qu’aucun de ses personnages « n’a le temps ni la place de devenir un héros ; néanmoins, ils sont vibrants et passionnants précisément parce qu’ils savent qu’ils ont peu de temps. Ils passeront comme le vent, comme une fleur qui se fane »14 (Parrella, 2015b). L’écrivaine ne conçoit donc pas ses personnages comme des « destins », selon la formule avancée par Guglielmi, mais adopte des stratégies caractéristiques de la forme brève.
Dans tous ses récits brefs, Parrella établit un lien étroit avec la réalité contemporaine, ce qu’elle met en évidence lorsqu’elle observe : « Quand je travaille, c’est comme si je rangeais la réalité, telle une femme de chambre qui remet en ordre une chambre d’hôtel » (Parrella & Delmas, 2009). Ce lien se concrétise surtout dans les rapports qui se créent entre les personnages et les milieux urbains auxquels l’écrivaine associe son activité littéraire : « La seule expérience que j’ai, c’est d’écrire en ville, et sur la ville »15 (Parrella & Pacifico, 2016). La ville – tant le paysage urbain réel que son image construite par un texte littéraire – est marquée par la diversité et par un changement constant. Selon Calvino (1980, p. 283), « chaque mouvement qui s’opère dans la société déforme et réadapte – ou dégrade de façon irréparable – le tissu urbain, sa topographie, sa sociologie, sa culture institutionnelle et sa culture de masse »16. Comme l’observe Richard Lehan (1998, p. 289), l’évolution de la ville physique entraîne des répercussions sur sa représentation littéraire ; par conséquent, « dans la mesure où la ville devient plus complexe en tant que structure physique, les façons de la considérer sont de plus en plus ardues »17 (p. 8). Selon Donald, la ville peut être conçue comme un « environnement imaginé », dans le sens suivant du terme :
“la ville” ne correspond pas simplement à un groupe de bâtiments dans un lieu donné. Si l’on veut être polémique, la ville en tant que chose n’existe pas. La ville désigne plutôt un espace produit par l’interaction d’institutions historiques et géographiques, de relations sociales de production et de reproduction, de pratiques gouvernementales, de formes et moyens de communication et ainsi de suite. Si l’on appelle cette diversité “la ville”, on lui attribue une cohérence ou une intégrité. La ville est donc surtout une représentation. Mais de quelle représentation s’agit-il ? Par analogie avec l’idée désormais familière que la nation nous offre une “communauté imaginée”, je soutiens que la ville constitue un environnement imaginé18. (Donald, 1992, p. 422)
Dans les textes de Parrella, l’environnement imaginé est constitué par la représentation d’un Naples contemporain (Prosenc, 2018). Tout en se disant « absolument napolitaine »19 (Parrella & Pacifico, 2016), l’auteure tient à préciser qu’elle focalise son attention sur Naples « pour raconter la condition humaine »20 (Parrella & Goldkorn, 2014). Elle attribue ainsi une valeur universelle à sa production littéraire dans laquelle la ville devient « un microcosme capable de contenir le monde entier »21 (Camuglia, 2012). L’écrivaine raconte un Naples extrêmement diversifié. Si, d’un côté, il s’agit d’une ville « malade »22 (Parrella & Caserza, 2003), c’est aussi une ville « active et tumultueuse »23 (Amoroso, 2003) qui manifeste sa vitalité. Parrella la décrit comme « une ville crue, violente, féroce, repliée sur elle-même, endolorie et douloureuse. Mais c’est peut-être pour cela que c’est aussi une ville vivante dans laquelle circulent des gens qui vivent des histoires denses »24 (Parrella & Caserza, 2003). Ces commentaires laissent transparaître l’un des éléments-clés du paysage urbain de ce Naples littéraire : ses habitants. À ce propos, il sera utile de revoir quelques notions théoriques élaborées dans le champ des études sur les représentations littéraires de la ville.
Dans son essai City Codes, Hana Wirth-Nesher (1996, p. 11) identifie quatre aspects du paysage urbain : « le “naturel”, le construit, l’humain et le verbal »25 dont le premier implique « l’inclusion ou l’intervention de la nature dans l’environnement construit »26. Lehan (1998, p. 13) formule sa définition de manière analogue : « La ville est l’endroit où l’être humain et la nature se rencontrent. La ville nous promet la possibilité de maîtriser l’environnement, de dominer les éléments et de permettre un certain degré de contrôle de la nature »27. Il est cependant intéressant d’observer que dans la ville racontée par Parrella l’élément naturel est absent, voire explicitement nié suite à un irréversible processus de dégradation, si l’on emprunte le terme proposé par Calvino. L’écrivaine situe de nombreuses histoires en marge du tissu urbain, dans des quartiers périphériques dont elle souligne, d’un côté, la vitalité, et de l’autre, le délabrement (Prosenc, 2017). Le récit p.G.R. se déroule dans l’un des quartiers du nord de Naples où l’élément naturel a été anéanti, car
ils avaient exproprié les derniers champs, acheté les derniers jardins, arasé les plantations d’agrumes et commencé à couler le ciment pour construire “le troisième monde”. Ils inventaient ainsi la périphérie de la périphérie dans laquelle ils allaient espacer les infrastructures, isoler les vieux et ghettoïser les jeunes28. (Parrella, 2005, p. 79-80)
L’expansion de la ville n’entraîne pas seulement une prédominance du bâti sur le naturel, mais la destruction de ce dernier qui va de pair avec le délabrement des éléments construits et entraîne des conséquences négatives pour les habitants.
Une partie du Naples raconté par Parrella est ainsi soumise à la ghettoïsation. Donald (1992, p. 452) soutient qu’après l’émergence de la ville industrielle au début du XIXe siècle et la séparation du centre métropolitain d’avec la périphérie au début du XXe, la ville moderne a aujourd’hui atteint la troisième phase de son développement « caractérisée par les trois G de la globalisation, gentrification et ghettoïsation »29. Ces processus complexes concernent plusieurs aspects du tissu urbain réel et littéraire. Dans la ville racontée par Parrella prédomine l’élément humain qui comprend des « caractéristiques humaines qui constituent la toile de fond : par exemple, des foules de banlieusards, des vendeurs ambulants et des passants »30 (Wirth-Nesher, 1996, p. 13). Lehan (1998, p. 8) souligne l’étroit rapport entre l’élément humain et la ville et observe que cette dernière « se présente souvent sous un aspect métonymique, lorsqu’elle est incarnée par la foule. On regarde la ville [...] à travers la foule »31. Cela est vrai aussi de la prose de Parrella ; lorsque l’auteure définit le Naples réel comme « une ville verticale », elle le fait en décrivant ses habitants : « Aux étages élevés [...] il y a des personnes aisées, des artistes, la bourgeoisie intellectuelle. Aux étages inférieurs, des garçons qui circulent à moto sans casque et qui constituent le bassin de recrutement de la Camorra »32 (Parrella & Goldkorn, 2014). L’écrivaine souligne la coexistence de différentes classes sociales comme un élément important de la ville :
Naples est la lunette grossissante des problèmes de mon pays. [...] En cela, on pourrait la considérer comme un atelier, un laboratoire. Son statut de ville portuaire, avec son lot d’immigration, en est la cause. Naples est sans doute la dernière ville d’Italie où il y a encore une plèbe (au sens de peuple) très présente. Des catégories sociales, historiques, subsistent. Nous avons une haute bourgeoisie qui ne s’occupe pas du peuple et le peuple qui ne regarde que l’aspect économique de la haute bourgeoisie. Et pourtant, tout le monde coexiste, côte-à-côte. Tout est mélangé au cœur même de la ville. (Parrella & Delmas, 2009)
La représentation littéraire de cette ville « grande et pleine et vivante, vivante comme aucune autre ville »33 (Parrella, 2015a, p. 41-42) se concrétise à travers des personnages intégrés dans des milieux urbains dans lesquels ils cherchent à faire face aux nécessités de la vie quotidienne. Lorsqu’ils se déplacent à travers la ville, les particularités topographiques mentionnées coïncident avec la topographie réelle du Naples contemporain. Cette correspondance se crée de la manière décrite par Wirth-Nesher :
Lorsque les auteurs incluent des aspects des villes “réelles” dans leurs reconstructions fictives, ils le font en recourant aux plans, noms des rues, bâtiments et monuments existants ; ils donnent ainsi à leurs personnages la possibilité de tourner au coin d’une rue vérifiable sur un plan de ville, ils les situent dans un cadre “réaliste”. Pour un lecteur qui fait partie d’une certaine culture, ces éléments urbains possèdent tout un répertoire de sens34. (Wirth-Nesher, 1996, p. 10)
Un autre aspect marquant de la ville contemporaine racontée par Parrella est représenté par les moyens de transport en commun. La voix du narrateur indique à plusieurs reprises les numéros des bus dans lesquels voyagent les personnages et décrit l’ambiance misérable qui y règne. À titre d’exemple, le récit Asteco e cielo contient un long passage relatant les détails d’un trajet à travers la ville que le protagoniste accomplit dans différents moyens de transport :
au lieu de prendre le 180 et arriver tout de suite à la maison, je fais un grand détour et passe par la ville.
Le détour fait prendre un métro, un funiculaire et un deuxième métro. En comptant les changements et les bouts de chemin à pied il me faut à peu près une heure et demie, mais aujourd’hui je n’ai pas envie de tomber sur des drogués déjà dans le bus, vu qu’après je les revois de toute façon devant chez moi.
À la place Amedeo je passe du métro au funiculaire et je prends un café. Je redresse mes épaules et en passant le portillon je mesure au moins cinq centimètres de plus.
Quand le funiculaire arrive, je presse le pas pour que personne ne s’aperçoive que je fais ce grand détour, mais je le fais avec une hâte contenue, non pas avec l’agitation de quelqu’un qui vit dans des rues qui portent un numéro au lieu d’un nom sur une plaque. [...]
Je m’installe dans la dernière voiture et je savoure l’air conditionné dans le silence de l’anonymat. J’arrive au Vomero. Quand je descends, je suis plus détendu, plus poli [...]
Quand je m’engouffre dans la ligne de métro sur la colline, je sors mon billet de ma poche : j’en suis à soixante-dix minutes de trajet. Le billet va bientôt expirer mais, de toute façon, avec ce qui me reste de temps je réussirai sans doute à arriver jusqu’au quartier des hôpitaux.
À partir de là, personne ne contrôle plus les billets35. (Parrella, 2003a, p. 44-45)
Les étapes du parcours à travers les quartiers napolitains coïncident avec des passages à travers différentes couches sociales dont la plus basse est associée à l’endroit où habite le protagoniste. Il s’agit du quartier populaire de Scampia situé dans la périphérie nord de Naples, dont le nom — qui n’apparaît d’ailleurs pas dans le texte — est facilement identifiable dans la description des « voiles », un surnom donné aux HLM réellement existantes. Dans le passage cité, la dégradation du quartier est rendue par l’absence des noms des rues, remplacés par de simples chiffres. Cette négation d’une caractéristique topographique propre aux autres quartiers napolitains accentue l’anonymat de la périphérie et souligne la ghettoïsation que le protagoniste perçoit, au niveau personnel, comme une honte.
Autre aspect qui n’est pas limité aux quartiers périphériques mais concerne la ville tout entière, le mauvais fonctionnement des moyens de transport en commun napolitains, est souligné à plusieurs reprises par la voix du narrateur. Ce fait réel est, en outre, commenté par l’auteure dans ses entretiens. Si, d’un côté, elle signale que « Naples a une très belle ligne de métro dont on continue d’ouvrir des stations dessinées par des artistes »36 (Parrella & Arduini, 2014) qui ressemblent à « un musée d’art contemporain »37 (Parrella & Petrignani, 2010, p. 36), elle regrette aussi que les rames ne passent pas à l’heure. La protagoniste de Il passaggio explique donc que les Napolitains prennent le métro quand ils ont le temps, car cela n’en vaut pas la peine quand ils sont pressés (Parrella, 2003b, p. 79). Elle visite une nouvelle station de métro « en rouge pompéien : des centaines de touristes en émergent comme si c’était normal. Ces Européens [...] se pressent vers le Musée National sans même se rendre compte que le vrai attrait de la place c’est le métro »38 (p. 79). Le fait de réserver le terme « Européens » aux touristes suggère que les Napolitains ne se sentent pas tels. Le texte met en évidence une différence essentielle entre la perception de la ville par ses habitants et par les touristes, présentés comme un élément étranger. Ces derniers visitent la ville sans la voir véritablement, tandis que les habitants sont capables d’observer les aspects changeants de son image contemporaine. En cela, leur attention se concentre sur les autres, car à Naples « [p]ersonne [...] ne s’est résigné à croire que, lorsque le nombre des habitants d’une ville dépasse le million, il devient impossible de savoir tout sur tout le monde, et ainsi nous nous observons mutuellement »39 (p. 90).
Dans les récits brefs de Parrella, le paysage urbain apparaît comme l’un des éléments de la modernité.
La voix du narrateur est attentive aux différents aspects de la ville de Naples dans laquelle se situent un grand nombre d’histoires. Dans la représentation de la ville élaborée par l’écrivaine prédomine l’aspect humain, sans pour autant que soient exclus des détails topographiques et des bâtiments réellement existants, décrits des trajets faits en transports en commun et présentées des réflexions sur la dégradation sociale des quartiers populaires. Les personnages littéraires créés par l’auteure napolitaine font partie intégrante du tissu urbain dans lequel se déroulent leurs histoires. Les textes ne relatent pas de destins entiers mais se concentrent sur des épisodes, dans une perspective typique de la forme brève. Ainsi le regard du narrateur part d’un point bien précis dans le temps, identifiable avec le moment présent, et se dirige vers un espace représenté par la ville de Naples qui englobe le personnage. Dans divers paratextes, l’auteure tient à expliciter son attachement à la forme brève qu’elle n’hésite pas à définir comme une forme caractéristique de la contemporanéité.