L’annonce de la fin du monde dans les Oracles Sibyllins

DOI : 10.56078/atlantide.1384

Riassunti

L’article présente l’étude de procédés de persuasion par la peur mis en œuvre dans les visions apocalyptiques rapportées dans les Oracles sibyllins, notamment aux livres III à V, et quelques influences décelables dans leur élaboration (Hésiode, les Tragiques, Héraclite et les Stoïciens, Prophètes de l’Ancien testament, Livre de Daniel), pour créer des motifs marquants et récurrents dans les récits annonçant la fin du monde : prédictions post eventum (événements historiquement passés, datés, mais présentés comme à venir et mêlés aux prédictions concernant les fins dernières pour donner du crédit à ces dernières), cataclysmes cosmiques, festins anthropophages, veuvage du ciel provoqué par la guerre des étoiles, annihilation universelle.

The article presents the study of processes of persuasion by fear implemented in the apocalyptic visions reported in the Sibylline Oracles, such as in books III to V, and some detectable influences in their elaboration (Hesiod, the Tragic, Heraclitus and the Stoics, Prophets of the Old Testament, Book of Daniel), to create striking and recurrent motifs in the stories announcing the end of the world: post eventum predictions (events historically past, dated, but presented as coming and mixed with predictions of the last ends to give credit to the latter), cosmic cataclysms, anthropophagous feasts, widowhood of the sky caused by star wars, universal annihilation.

Struttura

Testo completo

Parmi les récits d’épisodes destructeurs de l’univers que compte la littérature grecque antique, les Oracles Sibyllins, composés en grec par des judéo-alexandrins et par des chrétiens sous le masque de la Sibylle, proposent de nombreux exemples, tous plus terrifiants les uns que les autres, de représentations de la fin des temps. Des prophétesses helléniques ont prêté leur nom à ces oracles prédisant l’avenir du monde, souvent de mauvais augure, sous forme de brèves sentences ou bien de descriptions plus élaborées, qui se sont répandues de façon importante dans le monde méditerranéen. Les douze livres qui composent les Oracles sibyllins sont les nouveaux oracles composés suite à la destruction, dans l’incendie du Capitole, en 83 avant notre ère, de la collection des « authentiques » oracles sibyllins. Nous pouvons supposer qu’ont pu réchapper au désastre des fragments ainsi que des copies partielles des anciens oracles ; qu’à partir de ce matériel des faussaires païens ont dû composer de nouvelles prédictions et que des Juifs ont élaboré des prophéties à la manière des oracles précédents, dans le contexte de l’hellénisation de cette époque (Teyssèdre, 1990, p. 148 ; Roessli, 2004, 2012). Ces textes condensent toutes les images effrayantes de cataclysmes (séisme, raz de marée, incendie généralisé, torrent dévastateur, chute de météorites) que des fléaux réels ont pu contribuer à élaborer et qui ont nourri l’imaginaire des hommes au-delà de l’Antiquité. Ils rassemblent tous les motifs déjà présents dans la littérature païenne, dans celle de l’Ancien Testament et celle des apocryphes pour décrire le déroulement des cataclysmes et accumulent les images destinées à persuader du châtiment du Dieu unique les peuples adorateurs des dieux multiples du paganisme : à l’incendie généralisé provoqué par l’ἐκπύρωσις stoïcienne se combinent la cataracte de feu et la météorite tombées du ciel, par exemple, avec, pour conséquence, la dislocation de l’univers déserté par toute vie. Ces textes reposent notamment sur une façon particulière d’aborder l’histoire et de concevoir le temps. Parmi les événements présentés comme à venir par la Sibylle, certains ont déjà eu lieu et sont identifiés historiquement (comme l’éruption du Vésuve en Italie) et même s’ils font l’objet de prédictions ex eventu, ils sont mêlés à des descriptions de prodromes de la Fin du monde ou à celles de la Fin elle-même et leur donnent ainsi beaucoup de crédit, au point que les Pères de l’Église accordaient autant d’autorité à la Sibylle qu’aux auteurs canoniques1.

Nous étudierons certains des procédés mis en œuvre dans ces oracles tels que l’on peut les lire, en particulier, aux livres III à V, et quelques influences décelables dans leur élaboration pour créer les motifs marquants et récurrents des récits annonçant la fin du monde.


1. Les auteurs et les destinataires des Oracles Sibyllins

Les Sibylles auxquelles la composition de ces oracles est attribuée sont originaires de l’Asie mineure, issues de dieux ou de demi-dieux. On a fait d’elles des voyageuses, elles n’étaient pas rattachées à un sanctuaire particulier. La première d’entre elles aurait vécu au VIIIe siècle avant notre ère. Héraclite, Aristophane et Platon ont parlé de la Sibylle qui était unique au départ2. Leur nombre a varié au cours des siècles pour atteindre plusieurs dizaines. Mais au Ier siècle avant notre ère on en comptait dix avec Varron. À propos des représentations de la fin des temps dans le chant V des Oracles sibyllins, Bernard Teyssèdre pose la question suivante sur le statut de la Sibylle : « Pour un père de l’Église tel que Justin, au milieu du IIe siècle, quels étaient les livres sacrés, les Écritures inspirées par Dieu ? Les Évangiles ? ». La réponse est inattendue : » Certainement pas. Il ne fallait voir là que les “mémoires” (hupomnemata) d’apôtres ou de leurs successeurs. Ce n’est pas sur eux que Dieu avait répandu à profusion son Esprit-Souffle, mais sur les Prophètes et sur la Sibylle » (Teyssèdre, 1990, p. 147). C’est ainsi que les Sibylles ont eu l’honneur d’être représentées sur le plafond de la Chapelle Sixtine par Michel Ange, en raison de leurs douze livres d’oracles considérés comme aussi véridiques que les paroles des Prophètes. Même si leurs écrits n’ont jamais été comptés parmi les ouvrages du canon biblique, elles ont toutefois été considérées pendant longtemps comme détentrices d’un savoir divin qui les faisaient les égales des Prophètes de l’Ancien Testament3.

Nous avons tendance à considérer ce recueil d’oracles avant tout comme un recueil de textes écrits, mais la prophétie sibylline a un caractère oral marqué, comme l’explique Sabina Crippa : « La présence des verbes de perception rappelle que la voix prophétique est avant tout entendue. Cf. “ κλύε, ἐπάκουε” (IV, 22 ; V,1), “κλύτε” (IV,1), etc. ». Et cette caractéristique de parole orale, de voix, de chant invite à questionner les modalités de connaissance du divin (Crippa, 2004, p. 105 et n. 59, p. 108). De même que de grands personnages de l’Ancien Testament ont pu entendre la voix de Dieu et la transmettre, de même la Sibylle met en scène sa voix pour diffuser le message divin, comme d’autres prophétesses grecques notamment avaient pu auparavant transmettre les messages d’Apollon4. Étonnamment, le flot des prophéties qui se succèdent sans relâche au cours des 4230 hexamètres grecs que compte ce recueil, dans une langue difficile, rendue souvent obscure par l’emploi de mots rares, par le fait même que son message était souvent peu lisible au premier abord et en raison de son caractère antique pourtant fabriqué de toutes pièces, a acquis une très grande aura et a convaincu ses lecteurs de leur véridicité5.

Les auteurs anonymes de ces oracles, qui se dissimulent sous le masque des prophétesses païennes, sont, selon les livres, des Juifs d’Alexandrie et des Chrétiens. En ce qui concerne les livres III à V auxquels nous ferons plus particulièrement référence, parce qu’ils sont les plus anciens du recueil, leur origine juive est reconnue par tous (Dupont-Sommer & Philonenko, 1987, p. 1037 ; Simon, 1989, p. 219). La renommée des Sibylles dans le monde méditerranéen est telle que choisir de dire en leur nom le message du dieu unique est très judicieux de la part de ces auteurs juifs pour persuader leurs destinataires de la véracité de leur parole. Familiers de la technique et du contenu des oracles sibyllins, de la littérature païenne et des règles de la versification traditionnelle, ils n’hésitent pas à en utiliser les ressources pour composer leurs propres textes. Les récits mythologiques hésiodiques, par exemple, côtoient les épisodes bibliques, ou plutôt s’entremêlent avec eux. Dans les livres III à V, les destinataires visés sont donc d’une part les Juifs dont le but était de « fortifier dans leur foi des coreligionnaires largement ouverts à la culture grecque et séduits par elle », explique Marcel Simon (Simon, 1989, p. 220), et, d’autre part et en même temps, ce sont des païens en mal de vérité qu’il s’agit de gagner à cette foi. Ainsi, ces textes apocalyptiques ont manifestement une dimension missionnaire. L’évocation répétée des cataclysmes et catastrophes en tout genre, annonciateurs de la Fin du Monde, a pour but essentiel d’appeler tous les hommes à se convertir, tout au long des trois livres. Le subterfuge pseudépigraphique de la Sibylle va impressionner en premier lieu le lecteur païen. Mais il ne laissera pas indifférent un Juif, pour qui « le témoignage de la Sibylle ne doit normalement que confirmer et renforcer celui de la Bible, en illustrant une convergence providentielle entre deux courants issus l’un et l’autre de la même inspiration divine » (Simon, 1989, p. 220)6.

2. Prédictions ou « post-dictions » ?

La Sibylle du livre III se présente comme la bru de Noé (III, 827), qui vivait dans les temps précédant le Déluge, à une époque qui n’avait pas encore connu la dispersion des peuples, une époque très lointaine, caractérisée par l’unité profonde de l’espèce humaine par-delà les appartenances à une communauté particulière. La filiation revendiquée par la prophétesse a aussi comme visée d’inviter les lecteurs à se reconnaître dans cette lointaine parenté, explique Alexandre d’Helt (d’Helt, 2013/4, p. 472). Étant parente de Noé, la Sibylle peut embrasser d’un regard prophétique tout le développement de l’histoire presque depuis ses origines, ou tout au moins depuis les générations qui ont vécu avant le Déluge. « Elle peut, dans cette vision globale et indifférenciée, projeter parfois dans le passé des événements qui ne sont pas arrivés encore, mais qui, inclus de toute éternité dans le plan divin, sur lequel elle lève un pan du voile, ne manqueront pas de surgir au jour fixé » (Simon, 1989, p. 225). Cela explique que l’ordre chronologique connaisse des distorsions. Les retours en arrière sont incessants, et même, chose plus étonnante, des faits du plus lointain passé, sont mentionnés, au futur, après des événements très récents et côtoient des prophéties non encore accomplies. Ce procédé est abondamment utilisé dans les livres III à V. C’est ainsi que l’auteur du chant III récapitule les grands événements du passé, en commençant par la Création, conformément à la Genèse, puis il mentionne le nom de Téthys, fille de Gaia, selon la tradition hésiodique, mais qui est aussi la mère de toutes choses chez Homère7, il poursuit en évoquant le mythe des Titans (qui repose sur la lecture de la Théogonie d’Hésiode), au passé (avant le vers 200) puis au futur (à partir du vers 200), puis la guerre de Troie, les grands empires orientaux et celui de Rome, pour en venir au royaume d’Israël (v. 218-294) avec le moment capital de l’Exode, dans un passage où alternent verbes au futur et au passé. La prophétesse mêle les traditions mythologiques grecques et les étapes de la succession des royaumes historiques, en mentionnant très brièvement certains épisodes ou en accordant de plus longs développements à d’autres, sans donner de marques distinctives aux événements qui se sont réellement produits et qui sont présentés comme à venir. Comme le cours de l’histoire comporte des répétitions, Simon explique dans son étude sur ces oracles que des liens se laissent entrevoir entre les différents événements :

Le passé sert en quelque sorte de point d’appui et de garant du futur. Si la prophétie s’est vérifiée en ce qui concerne les événements révolus, il y a là une raison de croire qu’il en ira de même pour les choses à venir. Souvent donc le passé et l’avenir s’entremêlent en un écheveau confus, mais ce brouillage, souvent délibéré, a pour visée de prouver que le plan divin bouscule les divisions chronologiques servant à jalonner l’histoire humaine, et que la Sibylle est elle-même, si l’on peut dire, méta- ou trans-historique (Simon, 1989, p. 222).

Comme le remarquent à juste titre Emanuela Guibodoni et Jean-Paul Poirier, dans leur étude sur la façon dont les hommes depuis l’Antiquité ont progressivement considéré les séismes comme des événements naturels et non plus comme des prodiges, les Oracles sibyllins contiennent « des prophéties, bien évidemment introduites après coup, de tremblements de terre et de raz de marée qui ont réellement eu lieu, transportant en quelque sorte des événements passés vers un futur antérieur » (Guidoboni & Poirier, 2004, p. 55-56). Cette formule finale décrit exactement le traitement que les Sibylles font de ces cataclysmes qui se sont réellement produits. Prenons, à la suite de Guibodoni et Poirier, l’exemple du tremblement de terre de Phrygie, en 27 av. J.-C., qui détruisit Laodicée et Tralles, dont le souvenir est conservé dans les Oracles (V, 287-292) :


C’est sur toi à présent, ô malheureuse Asie, que je pleure, pleine de compassion, et sur la race des Ioniens, des Cariens, des Lydiens riches en or. Malheur à toi Sardes, malheur à toi, ravissante Tralles, malheur à toi, belle cité de Laodicée, car vous périrez, détruites et réduites en cendres par des tremblements de terre dans l’Asie endeuillée [et au pays] des Lydiens riches en or ! (trad. Dupont-Sommer & Philonenko, 1987, p. 1126)

La Sibylle partage dans ses larmes le malheur à venir des cités qui connaîtront la destruction totale de leurs richesses et de leur beauté, connues de tous, réactualisant ces malheurs et créant ainsi un effet pathétique intense. Ce sort tragique est d’une telle ampleur que la Sibylle le pleure dès le moment où elle énonce sa prophétie. Or, le livre V date du second siècle de notre ère8 et ses lecteurs savent bien que ces malheurs ont déjà eu lieu. La superposition des temps - événement réellement déroulé dans le passé, énonciation de la tragique prophétie de la catastrophe dans le présent, malheurs contenus dans la prédiction censés appartenir au futur -, donne au désastre une nature inéluctable, renforce la tonalité pathétique, car elle invite à raviver la douleur d’un malheur connu et déjà vécu et concourt à donner du crédit non seulement à cet oracle, puisque chacun peut y reconnaître un événement qui s’est déjà produit, mais aux autres prédictions dont le lecteur peut être ainsi persuadé du caractère assuré. Les auteurs anciens citaient parfois ces textes pour insister sur l’aspect extraordinaire des événements tragiques qui « avaient été prévus », notent encore Guibodoni et Poirier (Guidoboni & Poirier, 2004, p. 56). Ainsi, Pausanias le Périégète constate, à propos du tremblement de terre survenu en 227 avant notre ère qui a détruit Rhodes et son célèbre colosse qui gardait l’entrée du port de la cité, annoncé par la Quatrième Sibylle au vers 101 : « [...] un tremblement de terre vida de presque toute sa population la cité [de Sicyone] et détruisit beaucoup des sites admirables. Il endommagea des cités de Carie et de Lycie et ce fut surtout dans l’île de Rhodes qu’on ressentit la secousse sismique, de sorte que l’on pensa que l’oracle de la Sibylle concernant Rhodes s’était définitivement accompli (ὥστε καὶ τὸ λόγιον τετελέσθαι Σιβύλλῃ τὸ ἐς τὴν Ῥόδον ἔδοξεν) »9. L’emploi du verbe δοκέω montre que le géographe constate que certains se sont laissé prendre au subterfuge de la Sibylle qui compose son oracle après coup et le fait paraître juste puisqu’il annonce un fléau qui s’est réellement produit. La confusion entre les différentes temporalités et l’insertion de la mention de cataclysmes réels au milieu des oracles concernant les faits beaucoup plus hypothétiques sont telles que l’on en arrive au paradoxe suivant, comme le concluent Guibodoni et Poirier :

Le livre XII [v. 280-281], que l’on peut dater du IIIe siècle ap. J.-C., fait allusion, en termes d’imprécation prophétique, à un séisme en Phrygie : « Malheur sur toi, Laodicée, malheur sur toi aussi Hiérapolis, la terre s’ouvrant vous engloutira avant les autres ». Dans ce cas précis, le tremblement de terre n’est attesté par aucune source historique, mais, paradoxalement, le fait qu’il a été « prédit » par les Oracles, nous donne la certitude qu’il a réellement eu lieu ! (Guidoboni & Poirier, 2004, p. 56)

3. Détour par les prophètes de l’ancien testament et le livre de Daniel

Pour comprendre la portée de ces prophéties fictives contenues dans les Oracles Sibyllins, il convient de faire un détour par les livres des Prophètes et celui de Daniel dans lequel apparaît pour la première fois la conception de l’histoire prédéterminée par Dieu.

Le système religieux hébraïque, tel qu’il apparaît dans les livres de l’Ancien Testament, a conçu non seulement un dieu unique et transcendant à sa création, mais aussi une réflexion eschatologique (concernant la fin des temps terrestres) et, à partir du livre de Daniel, la naissance du mouvement apocalyptique (des révélations concernant un avenir hors de l’histoire, car l’histoire connaîtra une fin), ingrédients indispensables à l’élaboration du motif de la Fin du Monde. Les Prophètes évoquent d’une part le temps présent et d’autre part des événements à venir, toujours dans une perspective historique, car, pour eux, il convient d’attendre la réalisation dans l’histoire des promesses faites par Dieu à Abraham. Avec le livre de Daniel, l’eschatologie « historique » des Prophètes se transforme en une eschatologie « transcendante » ou apocalyptique. Les terribles épreuves et désillusions politiques (l’Exil) débouchent sur l’espérance d’une satisfaction à venir à la sortie de l’histoire. L’idée qui apparaît chez Daniel est que le dieu unique a non seulement la maîtrise totale des événements historiques, ce que les Prophètes exposaient déjà, mais encore qu’il est en mesure de pouvoir mettre un terme aux périodes de l’histoire. Ainsi, lorsqu’il évoque la succession des quatre empires dans ses révélations, il commence par se placer la deuxième année du règne de Nabuchodonosor, dans un point du passé, pour décrire comme à venir les événements importants concernant les quatre royaumes qui se sont déjà déroulés : il s’agit donc de prédictions fictives, ex eventu ; puis le présent est occupé par des visions supraterrestres ; enfin, l’avenir comprend de véritables prophéties sur les événements messianiques (le sort final des justes et des méchants) : un autre monde, un nouveau monde est à attendre10. Le terrain est préparé pour l’éclosion du motif de la Fin du Monde, signe de la fin du temps marqué par le jugement dernier et la résurrection, qui va se développer en grec uniquement dans un contexte judéo-chrétien duquel relèvent les Oracles sibyllins.

4. Un exemple de prédiction post eventum (vaticinatio ex eventu)

Parmi les événements historiquement passés, datés, mais présentés comme à venir et mêlés aux prédictions concernant les fins dernières pour donner du crédit à ces dernières, il est intéressant de s’arrêter à un exemple de prophétie du livre IV, vers 130 à 137, où est annoncée au temps futur l’éruption du Vésuve de 79 qui est montrée comme le châtiment de l’incendie du Temple de Jérusalem11. On y lit juste après que Néron, selon une légende qui circulait alors, ne serait pas mort en 68, mais reviendrait à Rome après l’avoir quittée en secret et s’être réfugié chez les Parthes :

Et quand, déviant des entrailles déchirées de la terre d’Italie, le feu atteindra jusqu’au large ciel, consumant beaucoup de villes, faisant périr les hommes, et remplissant d’une cendre obscure l’immensité des airs ; quand des gouttes semblables à du vermillon tomberont du ciel, on reconnaîtra que s’abat sur eux le courroux du dieu céleste, parce qu’ils auront fait périr la race innocente des hommes pieux. Alors sur l’Occident éclatera une lutte guerrière avec la venue du fugitif de Rome qui brandira une grande lance, après avoir franchi l’Euphrate accompagné de myriades nombreuses. » (Oracles sibyllins, IV, 130-139, trad. in Dupont-Sommer & Philonenko, 1987, p. 1103-1104)

Néron, en 68, s’était suicidé, mais le bruit courait qu’en réalité il n’était pas mort et son retour ne cessait d’inquiéter ses contemporains. C’est ainsi que Tacite écrit dans ses Histoires (II, 8, 1) qu’en 69 la Grèce et l’Asie furent épouvantées par la fausse nouvelle que Néron allait arriver. D’après Zonaras, c’est en 80 qu’un second faux Néron réapparaît, et selon Suétone (Néron, LVII, 4), c’est en 88 qu’un troisième pseudo-Néron fait son apparition12. Du fait historique, on passe donc, par une simple juxtaposition des faits relatés, à la rumeur, puis, un peu plus loin, à partir du vers 173, à la description non plus seulement de prodromes, mais de la fin des temps elle-même qui se produira si les hommes persistent dans leur impiété : la menace de la Sibylle est clairement exprimée par une apostrophe aux hommes auxquels elle intime de changer de conduite (v. 162). Puis Dieu rétablira les mortels pour le jugement dernier, et alors la terre recouvrira les impies et les fera disparaître de nouveau dans la géhenne (v. 185-186) :

Mais si vous n’obéissez pas, si vous persistez dans vos mauvais desseins, si, chérissant votre impiété, vous ne prêtez à ces paroles que des oreilles rebelles, le feu fera sa proie du monde entier, annoncé par de très grands présages : au lever du soleil, un glaive, une trompette. Le monde entier entendra un grondement et un son formidable. Le feu brûlera toute la terre, il détruira toute la race des hommes, toutes les villes, les fleuves et la mer. Il consumera tout et réduira l’univers à une cendre noirâtre. Mais lorsque tout ne sera plus que cendre poudreuse, Dieu assoupira le formidable feu de la façon qu’il l’avait allumé. » (Oracles sibyllins, IV, 171-180, traduction (modifiée) in Dupont-Sommer & Philonenko, 1987, p. 1105-1106)13 

L’accumulation des visions apocalyptiques au cours des différents chants est un moyen non seulement de montrer que la Sibylle sait tout et qu’elle tient cette omniscience de Dieu lui-même, mais aussi de faire pression sur ses lecteurs, de les effrayer par le tableau des maux qui les menacent et de les maintenir, s’ils sont juifs, dans le droit chemin qui mène au salut et, s’ils sont païens, de les y amener. Ces écrits sibyllins juifs pratiquent donc une sorte de persuasion par la peur. C’est ainsi que, dans cet oracle qui prolonge celui de l’éruption du Vésuve, les sens sont sollicités. La vue et l’ouïe le sont particulièrement avec l’insistance portée sur des spectacles inédits tant par leur ampleur que par l’intensité des sons. De plus, la répétition des termes qui expriment la totalité, la multiplication des mots au pluriel et des collectifs et la convocation des signes de la guerre, glaive14 et trompette, annoncent la mort inéluctable. Et surtout, le rôle déterminant des éléments naturels qui ne concourent plus à la création de la matière du monde, mais seulement à sa destruction, est exprimé notamment par l’oxymore qui conjugue feu et eau. Du « feu s’allumant en mesure et s’éteignant en mesure » d’Héraclite, expliquant les fins répétées de l’univers, l’auteur des oracles garde l’idée que le feu détruit tout et réduit tout en cendre et en poussière, mais non pour une restauration du même monde, comme dans le cas de l’ἐκπύρωσις stoïcienne15 : il s’agit ici de permettre le Jugement des justes et des impies pour sortir de l’ère historique et gagner une ère de félicité ou de malheur éternels, selon que l’on aura fait preuve ou non de piété. Grande est donc la peur que peut susciter ce type d’oracle dans lequel Dieu demeure transcendant et les rétributions, comme dans la Bible, sont exécutées par l’intermédiaire des éléments. Il convient donc d’écouter les signes cosmiques énoncés par la Sibylle. Car c’est grâce à des révélations surnaturelles comme les prophéties sibyllines que les connaissances concernant le passé et l’avenir qui ne sont pas intelligibles autrement vont être transmises à l’homme (Nikiprowetzky, 1970, p. 85-87).

5. Persuader par des tableaux terrifiants

Le déchaînement des éléments sur la terre, même s’il est récurrent, n’est pas le seul outil à la disposition de la Sibylle pour montrer comment le Dieu unique peut annoncer la Fin du Monde. D’autres prodromes apparaissent dans le flux des prédictions16. C’est ainsi que des images particulièrement effrayantes et insupportables par leur cruauté annihilant toute distinction entre humains et bêtes sauvages, sont également convoquées, notamment par l’évocation de repas anthropophages au sein des familles, provoquant un océan de sang comme en V, 468-473. Dans ce passage, les auteurs ont très probablement à l’esprit le tableau de l’impiété ultime de la race de fer dans le mythe des races d’Hésiode où règne l’irrespect des serments, de la justice, des devoirs envers hôtes et parents âgés. Et ils cherchent à en surpasser l’horreur. Quand les marques d’ὕβρις accumulées dans les vers 18 à 201 du poème hésiodique Les Travaux et les Jours atteignent leur comble, elles sont sanctionnées par le retrait d’Aidôs et de Némésis de la surface de la terre qui regagnent l’Olympe17, lâchant tout frein aux passions humaines ; de même ici, dans cet oracle du chant V des Oracles Sibyllins, le Soleil va se cacher, horrifié, et, pire, il sera souillé par le spectacle des abominations perpétrées par les hommes :

Alors, rongeant leur propre cœur, les mortels dévoreront leurs parents (épuisés par la famine, ils les avaleront goulûment comme nourriture). Et sorties de leurs tanières, les bêtes sauvages dévoreront le festin (elles et les oiseaux dévoreront tous les mortels).
Et l’océan sera rempli de choses répugnantes déversées par le fleuve
(il sera ensanglanté par les cadavres et le sang des hommes insensés).
Ensuite l’exhaustion sera telle de par la terre
Que l’on pourra dénombrer les hommes (et compter les femmes).
Mais une race effroyable poussera des gémissements par milliers lorsque prendra fin
Le Soleil, se couchant pour ne plus jamais se lever
(demeurant dans l’Océan afin d’être purifié par immersion dans les eaux, car il a vu les forfaits impurs de bien des hommes).
Une ténèbre sans lune enveloppera le vaste ciel lui-même.
Et une abondante brume obscure recouvrira les recoins de l’univers.

Mais ensuite pour la seconde fois la lumière de Dieu régnera
(pour les hommes de bien, pour ceux qui célèbrent Dieu dans leurs hymnes).
(Oracles sibyllins, V, 468-483, trad. Teyssèdre, 1990, p. 150)

On ne peut s’empêcher de penser que ceux qui ont composé cet oracle sur le festin anthropophage, s’ils avaient en mémoire le traitement d’un motif de ce type dans les livres bibliques (Lévitique XXVI, 29, Deutéronome XXVIII, 53 ou Jérémie XIX, 918), devaient également se rappeler le motif du festin de Thyeste et le lien qui y est établi entre l’atrocité du crime et le recul d’épouvante du soleil. Le festin de Thyeste est un motif traité par diverses sources antiques, parfois perdues, comme le Thyeste de Sophocle. Dans la tradition mythique, Thyeste, frère d’Atrée, devint l’amant de sa belle-sœur. Atrée, pour se venger, tua les enfants de Thyeste et lui en prépara un repas. Une fois que Thyeste y eut goûté, il lui montra les bras et les têtes de ses enfants. Le Soleil ne put suivre le cours normal de son déplacement et recula d’horreur. Chez Sénèque, dont nous avons gardé la tragédie qui porte le nom du héros, la disparition du soleil en plein jour fait s’interroger le chœur rempli d’effroi à la fin de son quatrième chant : quelles catastrophes préfigure ce prodige ? En réponse il envisage, en un long tableau, la chute à venir de chacune des constellations et par conséquent le retour au chaos. L’idée que le soleil puisse être souillé par la vue des crimes commis par les humains est une idée grecque judaïsée que l’on retrouve dans l’Apocalypse grecque de Baruch, VIII, 5 (Dupont-Sommer & Philonenko, 1987, n. 478, p. 1137), même si la perspective dans laquelle la privation des bienfaits du soleil, qui sanctionne l’abomination dans les deux cas, est un châtiment infligé par le dieu du Soleil dans la littérature païenne, par le dieu unique et transcendant dans la littérature biblique et apocryphe, qui agit à travers les éléments naturels pour manifester sa colère contre les actes insensés des humains. La peur est suscitée par la description de faits relevant du paroxysme de l’horreur que l’on n’osait pas imaginer, par le fait que les hommes se comporteront comme des bêtes sauvages et qu’aucune distinction entre ces deux catégories d’êtres vivants ne sera plus décelable désormais. La Sibylle présente un oracle qui brouille non seulement les repères temporels, mais aussi ceux qui permettent de définir l’humanité, déstabilisant ainsi le lecteur.

L’idée de mort terrifiante se traduit également de façon récurrente par des images associant ténèbres, cendre et poussière, destruction totale de toute vie sur terre par un fleuve de feu, un souvenir de l’ἐκπύρωσις stoïcienne. Parfois elle est renforcée par celle, plus originale, du veuvage du ciel dont les astres sont tombés en raison du bouleversement cosmique qui disloque l’axe de l’univers : ces chutes de météorites s’expliquent par le fait que Dieu referme l’histoire de la création comme un rouleau de parchemin en faisant tourner le monde comme une toupie :

C’est alors que tous les éléments du monde seront veufs, quand Dieu qui habite l’éther aura enroulé le ciel précisément comme on enroule un livre. Toute la voûte aux nombreuses formes tombera sur la terre divine et sur la mer ; une infatigable cataracte de feu impétueux se déversera, enflammera la terre, enflammera la mer ; et la voûte céleste et les jours, la création même, elle les fondra en une seule masse et elle les affinera jusqu’à purification. Il n’y aura plus alors de planètes lumineuses pour rire aux éclats, ni nuit, ni aurore, ni nombre de jours accompagnés de soucis, ni printemps, ni été, ni hiver, ni automne. Et alors le jugement du grand dieu aura lieu au sein du grand siècle, quand tous ces événements seront accomplis. (Oracles sibyllins, III, 80-92, trad. personnelle à partir du texte grec donné dans Geffcken, 1902)

La répétition des négations, comme dans d’autres passages, souligne le caractère définitif de cette annihilation universelle et de la disparition du cours des saisons hésiodique : c’est la fin du monde terrestre tel qu’il était connu, de sa temporalité et de ses activités quotidiennes, car c’est l’avènement du jugement divin. La crainte que peut susciter ce type de description est encore une fois liée à la perte de repères qu’implique cette destruction massive. Mais l’embrasement généralisé du cosmos tend vers la purification de ce dernier, ce qui laisse entendre qu’une ère nouvelle va se dessiner à partir du jugement final. Et cela doit persuader le lecteur de changer de comportement, comme l’y invite la Sibylle explicitement : « Ah ! malheureux mortels, changez de conduite, ne poussez pas le Grand Dieu à manifester toute sa colère ! » (IV, 162-163).

Au chant V, Dieu donne même l’ordre de combattre aux astres et constellations dans une vision que la Sibylle propose cette fois-ci au passé et non plus au futur. Le veuvage du ciel est alors provoqué par un combat astral très impressionnant parce qu’il est animé par les constellations qui sont confondues avec les animaux dont elles portent le nom et qui les personnifient. Comme dans l’Apocalypse de Jean, la vision débute par le verbe voir à l’aoriste, εἶδον, « j’ai vu » et l’inscrit dans le réel déterminé par le témoignage de l’autorité conférée à la Sibylle. Le lecteur sera ainsi d’autant plus terrorisé par cette vision qu’il ne peut imaginer que la violence qui déchire le ciel dans ce tableau ne se produise pas : son accomplissement est déjà écrit :

J’ai vu la menace de l’éclatant Soleil contre les étoiles et la terrible colère de la Lune au milieu des éclairs. Dans la douleur, les étoiles accouchaient de la guerre et Dieu donna l’ordre de combattre. De fait, contre le Soleil de grandes flammes se soulevèrent et le cours de la Lune aux deux cornes changea. Lucifer livra bataille monté sur le dos du Lion. Le Capricorne frappa le jeune Taureau sur la nuque, et le Taureau ôta de force au Capricorne le jour du retour. Et Orion éloigna définitivement la Balance de sa demeure stable. La Vierge changea sa course pour celle des Gémeaux dans le Bélier. Quant aux Pléiades, elles ne brillaient plus. Le Dragon, lui, repoussa la Ceinture. Les Poissons pénétrèrent dans la ceinture du Lion. Le Cancer ne resta pas à sa place, car il eut peur d’Orion. Le Scorpion lança l’assaut avec sa queue à cause du terrible Lion, tandis que le Chien tomba en glissant en raison des flammes du Soleil. L’ardeur de l’Astre brillant plein de vigueur incendia le Verseau. Le Ciel lui-même se leva pour ébranler de ses secousses les combattants, puis, irrité, il les jeta la tête la première sur la terre. Alors, en s’abattant vivement sur les eaux de l’Océan, ils enflammèrent la terre tout entière : l’éther demeura sans étoiles. (Oracles sibyllins, V, 512-531, trad. personnelle à partir du texte grec donné dans Geffcken, 1902)

C’est à proprement parler la guerre des étoiles, motif qui connaîtra une grande fortune non seulement dans la littérature antique, comme aux vers 249 à 409 du trente-huitième chant de l’épopée de Nonnos de Panopolis, les Dionysiaques, à propos de l’incendie cosmique provoqué par Phaéthon, incapable de maîtriser le char du Soleil (mais il ne s’agit alors que du tableau de la fin d’un monde), mais encore dans d’autres traductions artistiques contemporaines.

Pour conclure, nous rappellerons que les premières traces de vaticinationes ex eventu sont connues dans des oracles composés en akkadien pour annoncer la succession de rois babyloniens et ont probablement influencé la forme des prophéties concernant la succession des empires dans le livre de Daniel19 et par conséquent celle des oracles attribués aux Sibylles. Les accumulations de cataclysmes effrayants pour accompagner le jour du jugement divin sont connus chez les Prophètes de l’Ancien Testament, mais dans une perspective eschatologique historique. Toutefois, l’utilisation de ces deux procédés de façon récurrente, associée à l’usage d’images saisissantes qui se succèdent sans relâche, héritées tant de la littérature grecque que des livres bibliques, conduisant le destinataire de ces oracles à la plus grande terreur parce qu’ils surpassent en horreur la noirceur de mythes bien connus, comme celle de la fin du mythe des races hésiodique par exemple, donne à ces Oracles Sibyllins une place particulière dans la littérature apocalyptique judéo-alexandrine. Les destinataires du message de la Sibylle doivent être convaincus, par ces tableaux terrifiants, d’échapper aux douleurs prédites aux impies au moment du jugement final. Dans ces chants, la Fin du Monde se rapproche. La composition des prophéties a donc pour but de préparer le lecteur à la réflexion sur sa conduite pendant cette période particulière de l’attente de la Fin du Monde. Grâce à ces prédictions qui bouleversent la chronologie habituelle et qui provoquent l’effroi, les auteurs de ces révélations rappellent au lecteur des événements passés effrayants et déstabilisants pour lui faire prendre conscience qu’il est encore temps de changer de comportement. Ces visions de la fin du monde contenues dans les chants III à V des Oracles sibyllins, trouvent un écho dans d’autres apocryphes et dans l’Apocalypse johannique qui développe ses images dans le même registre de vagues successives de cataclysmes, mais il s’agit d’une réalisation imminente dans la perspective chrétienne : tout s’articule alors autour de la figure du Christ et de sa seconde parousie.

Bibliografia

BELAYCHE Nicole (2004), « Quand Apollon s’est tu, les Sibylles parlent encore », dans M. BOUQUET, F. MORZADEC (dir.), La Sibylle : parole et représentation, Rennes, PUR, coll. « Interférences », p. 151-163.

CHIRASSI COLOMBO Ileana (2004), « La bru de Noé », dans M. BOUQUET, F. MORZADEC (dir.), La Sibylle : parole et représentation, Rennes, PUR, coll. « Interférences », p. 131-149.

CRIPPA Sabina (2004), « Figures du σιβυλλαίνειν », dans M. BOUQUET, F. MORZADEC (dir.), La Sibylle : parole et représentation, Rennes, PUR, coll. « Interférences », p. 99-108.

D’HELT Alexandre (2013/4), « La sibylle ‟bru et parente” de Noé. Fonction de la pseudépigraphie dans les Oracles sibyllins juifs », Études théologiques et religieuses IV, 88, p. 461-473.

DK = DIELS Hermann et KRANZ Walther, Die Fragmente der Vorsokratiker, 3 vol. , Zürich, 1951-1952.

DUMAS-REUNGOAT Christine (1996), « De la fin d’un monde à la fin du monde », Kentron, 12, 2, p. 73-123.

DUMAS-REUNGOAT Christine (2001), La fin du monde : enquête sur l’origine du mythe, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Vérité des mythes ».

DUMAS-REUNGOAT Christine (2002), « Vieillards nourrissons et nourrissons sénescents dans la littérature grecque ancienne », Kentron, 18, 1-2, p. 55-68.

DUMAS-REUNGOAT Christine (2006), « La démesure à l’œuvre dans les mythes de fléaux et de fin du monde », Kentron, 22, p. 45-66.

DUPONT-SOMMER André & PHILONENKO Marc (éd.) (1987), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ».

GEFFCKEN Johannes (1902), Die Griechischen Christlichen Schriftsteller der ersten drei jahrhunderte. Die Oracula Sibyllina, Leipzig, Hinrichs.

GUIDOBONI Emanuela & POIRIER Jean-Paul (2004), Quand la terre tremblait, Paris, Odile Jacob, coll. « Sciences ».

NIKIPROWETZKY Valentin (1970), La Troisième Sibylle, Études Juives IX, Paris-La Haye, EPHE-Mouton.

NIKIPROWETZKY Valentin (1972), « Réflexions sur quelques problèmes du quatrième et du cinquième livre des Oracles Sibyllins », Hebrew Union College Annual, 43, p. 29-76.

NIKIPROWETZKY Valentin (1987), « La Sibylle juive et le ‟troisième livre” des ‟Pseudo-oracles sibyllins” depuis Charles Alexandre », ANRW II, 20, 1, p. 460-542.

ROESSLI Jean-Michel (2004), « Catalogues de Sibylles, recueil(s) de Libri sibyllini et corpus des Oracula sibyllina. Remarques sur la forme et la constitution de quelques collections oraculaires dans les mondes gréco-romain, juif et chrétien », dans E. NORELLI (éd.), Recueils normatifs et canons dans l‘Antiquité : perspectives nouvelles sur la formation des canons juif et chrétien dans leur contexte culturel, actes du colloque « La Bible à la croisée des savoirs », Université de Genève, 11-12 avril 2002, Lausanne, Éditions du Zèbre, coll. « Publications de l’Institut romand des sciences bibliques », p. 47-68.

ROESSLI Jean-Michel (2012), « Les ‟Oracles Sibyllins” », dans E. NORELLI & B. POUDERON (dir.), Histoire de la littérature grecque chrétienne, tome 2 : De Paul apôtre à Irénée de Lyon, Paris, Le Cerf, p. 591-618.

SIMON Marcel (1989), « Sur quelques aspects des Oracles Sibyllins juifs », dans D. HELLHOLM (éd.), Apocalypticism in the Mediterranean World and the Near East, proceedings of the International Colloquium on Apocalypticism, Uppsala, August 12-17, 1979, Tübingen, Mohr, p. 219-233.

SVF = VON ARNIM Joachim (1905), Stoicorum Veterum Fragmenta, Leipzig, Teubner.

TEYSSÈDRE Bernard (1990), « Les représentations de la fin des temps dans le chant V des Oracles Sibyllins », Apocrypha, 1, p. 147-165.

Note

1 Par exemple, cf. Justin, Apologie, I, 20 ; Teyssèdre, 1990, p. 147.

2 Cf. Héraclite, DK 12 B 92 ; Aristophane, Paix, v. 1095 et 1116 ; Platon, Phèdre, 244b ; et Crippa, 2004, p. 99.

3 Pour sa conclusion sur le statut exceptionnel de la Sibylle du troisième livre, « Grande prophétesse de Dieu », cf. Nikiprowetzky, 1987, p. 538-540.

4 Ileana Chirassi Colombo pose la question : « Mais d’où vient la nécessité de cette figure féminine, prenant la place du prophète mâle de la tradition, en tant que porte-parole direct du dieu dans l’annonce de son programme nouveau ? Pourquoi une femme et pourquoi une Sibylle ? » (Chirassi Colombo, 2004, p. 128 sqq.)

5 Cf. Nicole Belayche : « Ces voix sont d’autant plus sonores qu’elles prononcent des oracles compilés dans des collections que leur contenu rend obscurs, donc séduisants, autant que leur forme poétique archaïsante, en hexamètres grecs et dans la langue d’Homère, destinée à cacher des productions récentes. » (Belayche, 2004, p. 152)

6  Alexandre d’Helt développe également cette idée de la Sibylle comme « figure chargée d’établir une correspondance entre deux visions de l’histoire humaine qui jusqu’alors apparaissaient en opposition l’une par rapport à l’autre : l’histoire théogonique des Grecs et l’histoire d’Israël. » (d’Helt, 2013/4, p. 471).

7 Hésiode, Théogonie, 135 ; Homère, Iliade, XIV où Océanos et Téthys forment le couple primordial.

8 Selon Nikiprowetzky, 1972, p. 33 ; voici les dates qu’il propose pour les trois livres des Oracles : » -43 pour la Troisième ; +80 pour la Quatrième ; entre +117 et +130 pour la Cinquième ». Mais d’après Dupont-Sommer & Philonenko, 1987, p. XCIII, « Certains indices font que l’on peut situer l’édition du livre [III] non pas au IIe siècle avant J.-C., comme on le fait souvent, mais plus tard, au Ier siècle de notre ère ».

9 Pausanias, Périégèse, 2, 7, 1 (traduction personnelle).

10  Pour une présentation plus détaillée et argumentée du passage de l’eschatologie des prophètes à l’apocalyptique de Daniel, nous nous permettons de renvoyer à Dumas-Reungoat, 2001, p. 303-315.

11  La date probable de rédaction de ce livre IV serait 80. Dion Cassius, à propos de cette éruption du Vésuve, rapporte dans son Histoire romaine (LXVI, 22), que ce cataclysme a été bien plus impressionnant que les cataclysmes précédents.

12 Pour les références précises à cette rumeur concernant le retour de Néron, cf. Dupont-Sommer & Philonenko, 1987, p. 1103.

13 Les marques en gras et en italique sont de l’auteur du présent article. Voici le texte des vers 173-180 :

πῦρ ἔσται κατὰ κόσμον ὅλον καὶ σῆμα μέγιστον
ῥομφαίᾳ σάλπιγγι, ἅμ’ ἠελίῳ ἀνιόντι·
κόσμος ἅπας μύκημα καὶ ὄμβριμον ἦχον ἀκούσει
φλέξει δὲ χθόνα πᾶσαν, ἅπαν δ’ ὀλέσει γένος ἀνδρῶν
καὶ πάσας πόλιας ποταμούς θ’ ἅμα ἠδὲ θάλασσαν·
ἐκκαύσει δέ τε πάντα, κόνις δ’ ἔσετ’ αἰθαλόεσσα.
ἀλλ’ ὅταν ἤδη πάντα τέφρη σποδόεσσα γένηται
καὶ πῦρ κοιμήσῃ θεὸς ἄσπετον, ὥσπερ ἀνῆψεν.

Sur la démesure des signes annonçant cet événement inouï vers 171-192, voir Dumas-Reungoat, 2006, p. 62-64.

14 Sur la présence des glaives dans le ciel, comme signe cosmique propre aux livres III et IV, nous renvoyons à l’étude stylistique très détaillée du livre III proposée dans par Nikiprowetzky, 1970, notamment sur les signes de la fin, p. 154-160 et plus particulièrement p. 159.

15 Cf. Némésius, De natura hominis, 37, 147-148 (SVF II, 625) ; Origène, Contra Celse, 8, 72 (SVF II, 600) ; sur Héraclite, père de la thèse de la conflagration, cf. Alexandre in Aristote, Météorologiques, 62-5 (SVF II, 594).

16 Entre autres, on peut citer un prodrome qui s’appuie également sur un brouillage temporel : le motif du télescopage des âges, avec l’apparition de nouveau-nés aux cheveux blancs, qui est la reprise d’une image d’Hésiode (Travaux, 181 : εὖτ’ἂν γεινόμενοι πολιοκρόταφοι τελέθωσιν) ; on le trouve au chant II des Oracles sibyllins (v. 155) ainsi que chez d’autres auteurs apocryphes pour signifier la période de troubles angoissants qui va précéder la fin des temps. Sur cette question, cf. Dumas-Reungoat, 1996 et 2002.

17 La Troisième Sibylle, vers 373-380, avait déjà fait clairement allusion à ce départ des abstractions personnifiées dans le passage du poème d’Hésiode Les Travaux et les Jours (v.197-201).

18  On pourrait ajouter à ces passages bibliques qui évoquent des malédictions ayant trait à l’anthropophagie, l’épisode relatant la dévoration d’un enfant par sa mère en temps de famine dans II Rois VI, 28-30 et peut-être aussi celui qui figure dans Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, VI, 201-212 (au moment du siège de Jérusalem en 70).

19 Cf. le développement de cette idée dans Dumas-Reungoat, 2001, p. 300-303.

Per citare questo articolo

Referenza elettronica

Christine Dumas-Reungoat, « L’annonce de la fin du monde dans les Oracles Sibyllins  », Atlantide [On line], 11 | 2020, On line dal 01 décembre 2020, ultima consultazione: 09 octobre 2025. URL : https://atlantide.pergola-publications.fr/index.php?id=1384

Autore

Christine Dumas-Reungoat

Maître de conférences en langue et littérature grecques à l’Université de Caen-Normandie et exerce sa recherche au sein du Centre Michel de Boüard- CRAHAM (UMR6273) qui porte sur des comparaisons entre mythes grecs et mythes proche-orientaux et sur les fragments des Babyloniaca de Bérose. En 2001 a paru aux Belles Lettres son essai intitulé La Fin du monde : enquête sur l’origine du mythe.

Diritti d'autore

Licence Creative Commons – Attribution 4.0 International – CC BY 4.0