Entre hasard et destinée : contingences de la rencontre dans les recueils amoureux de Ronsard

DOI : 10.56078/atlantide.773

Riassunti

Cet article examine la manière dont Ronsard configure les rôles respectifs de la contingence et de la destinée dans la survenue de la rencontre qui préside à l’écriture de ses recueils amoureux. Des Amours de 1552 aux Sonnets pour Hélène de 1578, Ronsard propose des récits fort distincts du premier regard posé par le poète sur la femme aimée. La fortune amoureuse est progressivement intériorisée dans les recueils : alors que la fatalité gouverne les rencontres dans le premier recueil empreint de pétrarquisme et de néoplatonisme, dans le dernier recueil pour Hélène, l’émergence du sentiment amoureux peut être envisagée comme la décision subjective, affranchie d’une intervention transcendante, d’un sujet conscient des risques qu’il prend en s’engageant dans l’aventure amoureuse. Mais cette évolution ne doit pas masquer les tensions irrésolues que Ronsard ne cesse de retravailler tout au long de son œuvre, pour tenir ensemble la contingence et la nécessité de la rencontre.

This article examines how Ronsard configures the respective roles of contingency and destiny in the encounter that presides over the writing of his collections of love poetry. From the Amours of 1552 to the Sonnets pour Hélène of 1578, Ronsard offers very distinct accounts of the poet's first glimpse of the beloved woman. Whereas fate governs the encounters in the first collection, which is marked by Petrarchanism and Neoplatonism, the emergence of the feeling of love, in the last collection for Helene, can be considered as a subjective decision, free from any transcendent intervention and conscious of the risks inherent to any amorous adventure. This evolution reflects a progressive internalization of fortune. But it should not hide the unresolved tensions that Ronsard does not cease to rework throughout his whole work, to hold together contingency and necessity.

Struttura

Testo completo

Rencontre : […] Bien que le discours amoureux ne soit qu’une poussière de figures qui s’agitent selon un ordre imprévisible à la manière des courses d’une mouche dans une chambre, je puis assigner à l’amour, du moins rétrospectivement, imaginairement, un devenir réglé : c’est par ce fantasme historique que parfois j’en fais : une aventure (Barthes, 1977/2020, p. 269).

Dans Ronsard, poète de la conquête amoureuse, André Gendre expose à grands traits, avec sa clarté coutumière, quelques caractéristiques du discours amoureux ronsardien. La rencontre, « première étape de l’aventure amoureuse » y occupe une place essentielle. Après avoir souligné combien la découverte de l’amour s’impose ex abrupto, il poursuit ainsi : « L’innamoramento représente une contingence exceptionnelle dans la vie du poète ; c’est un miracle, c’est un appel divin, c’est la marque du destin » (Gendre, 1970/1998, p. 72). Entre la contingence et le destin, l’accumulation des attributs suggère, comme en passant, la coexistence du hasard et de la nécessité dans le traitement lyrique de la rencontre amoureuse1, toujours évoquée a posteriori. Mais cette coexistence n’est pas dénuée de tension : incessamment repris et modulé, le souvenir de la première rencontre est une reconstruction qui engage la liberté du poète face à des instances qui le dépassent.

Qu’il chante Cassandre, Marie, Genèvre ou Hélène, Ronsard n’a de cesse de revenir sur l’instant inaugural où le regard du poète s’est posé sur la femme vouée à devenir la destinataire d’une vaste production amoureuse. Il met ainsi en lumière la multiplicité des récits auxquels la rencontre peut donner lieu, selon que le poète est en proie à l’euphorie ou qu’il lit dans ce premier choc l’origine d’une chaîne de malheurs, qu’il se perçoit comme victime ou auteur de son destin. De la mise en scène d’une fatalité à l’évocation d’un abandon électif et conscient, les reprises de la première rencontre égrenées au fil des recueils déploient sous mille facettes une dialectique de la contingence et de la nécessité, entre aventure et destinée.

Traquer la place de la fortune et de la fatalité dans les scènes d’innamoramento est inséparable d’une réflexion sur l’écriture de la contingence dans le chant amoureux. De la fortune au sort, en passant par l’accident ou l’occasion, l’heur ou le malheur, l’ambivalence et le foisonnement dominent le vocabulaire renaissant du fortuit2, et particulièrement chez Ronsard3. Toute entreprise de systématisation, qui s’efforcerait de dégager la pensée de la contingence portée par l’œuvre ronsardienne en s’appuyant sur son vocabulaire, semble ainsi vouée à des conclusions décevantes4 ou réductrices5. Reconnaître que Ronsard est peu soucieux de cohérence théorique ou épistémologique ne signifie pas pour autant que son recours à la Fortune, au Sort ou au Destin est pur ornement poétique. Des oppositions structurantes entre liberté et destin, accident et nécessité, harmonie et désordre, stabilité et instabilité, s’élaborent en contexte. La disponibilité du vocabulaire et des figures allégoriques de la contingence permet au poète d’éprouver diverses configurations, comme autant de réponses, toujours provisoires, à l’ambivalence du sentiment amoureux et aux émotions contradictoires qui animent le chant lyrique. L’étude de ces configurations du premier regard amoureux permet ainsi d’interroger la place du hasard dans une rencontre dont la portée existentielle et poétique ne cesse d’être soulignée, ainsi que ses enjeux, éthiques et esthétiques, et son évolution dans l’œuvre de Ronsard.

1. Rencontre et innamoramento : l’héritage de Pétrarque

Si on parlera par commodité de rencontre entre le poète et la dame aimée pour désigner le moment où leurs chemins se croisent et où ils échangent un regard qui bouleverse le poète, le terme est fort rarement utilisé par Ronsard6 et une même réticence s’observe chez les poètes contemporains. Si le regard revêt une importance capitale dans l’éblouissement initial, en accord avec la conception ficinienne de l’innamoramento7, les scènes renaissantes ne laissent pas de place à la réciprocité fantasmée dans le topos romanesque dont Jean Rousset a brossé les modalités (Rousset, 1981). Le poète voit les yeux de la dame, il y rencontre cent beautés8, mais ces deux regards sont animés d’émotions trop distinctes pour se rencontrer. Le terme italien d’innamoramento permet plus aisément de désigner le point de vue unilatéral adopté par les poètes de la Renaissance.

Que ce soit pour l’imiter ou pour s’en distinguer9, les poètes du xvie siècle ne cessent de se référer à la scène fondatrice de la rencontre entre Laure et Pétrarque, tant Pétrarque offre un modèle d’éthique amoureuse aussi bien que d’écriture poétique, avec lequel ils entretiennent un dialogue continu et conflictuel. Les circonstances de la rencontre, rapportée au troisième sonnet du Canzoniere (Pétrarque, 1996, p. 17 sq.), sont connues. Amour a trouvé le poète désarmé dans une église le jour du vendredi saint, lorsque ses yeux, chargés de larmes par la méditation sur la Passion du Christ, croisent ceux de Laure.

Le lieu et le moment sont chargés de sens : ils annoncent le martyre du poète, le déchirement entre l’emprise amoureuse et l’amour sacré pour le Christ en croix, mais aussi la mort à venir de Laure. Entre la date de la rencontre, le 6 avril 1327, précisée au sonnet 211 (Pétrarque, 1996, p. 906 sq.), et la date de la mort de Laure, le 6 avril 1348, la coïncidence est frappante. Un grain de sable se loge toutefois dans ce récit saturé de signes car les calendriers attestent que le vendredi saint de l’année 1327 eut lieu le 10 avril, et non le 6 : Pétrarque aurait-il modifié la date de la rencontre pour rendre sa portée plus symbolique ou bien aurait-il choisi, saisi par la coïncidence après la mort de Laure, de faire du lundi saint de la rencontre un vendredi saint, sans cohérence avec le calendrier ? Dans cet interstice se déploient débats et controverses entre les deux hypothèses qui engagent, outre l’interprétation des textes, la datation de leur rédaction10. Quoi qu’il en soit, le choix de Pétrarque d’intervenir sur la date souligne combien le récit de la rencontre est mis en forme pour être signifiant et en estomper le caractère accidentel ou fortuit puisque tout prend sens à partir de ce noyau, présenté comme une nouvelle origine : la rencontre s’inscrit dans une destinée et doit pouvoir être réinterprétée a posteriori comme prophétique. Toute contingence devient un signe, et ces éléments s’inscrivent dans un enchaînement logique, déterminant et nécessaire qui engage la fidélité éternelle de l’amoureux et le chant du poète.

2. Désastre et destinée : la rencontre fatale

Dès son premier recueil amoureux de 1552, destiné à Cassandre, Ronsard se révèle partagé entre la fidélité au modèle de l’éblouissement pétrarquiste, soutenu par l’héritage néo-platonicien, et une influence épicurienne qui l’invite à considérer le rôle du hasard dans le récit de l’événement.

S’il s’affranchit de la tension entre amour sacré et amour profane présente chez Pétrarque comme dans L’Olive de Du Bellay11 avec lequel il rivalise, Ronsard présente la rencontre avec Cassandre comme un choc foudroyant, inévitable et nécessaire, décidé par des puissances extérieures transcendantes. Le destin qui préside à l’amour du poète se manifeste en tout lieu dans les Amours de 1552. Il se traduit d’abord par des images cosmologiques. Le sonnet XIV place ainsi la rencontre, dont la date est précisée « le vingtuniesme jour / du mois d’Avril », sous l’influence des astres : « Je vy tes yeulx desoubz telle planette » (Ronsard, 2015, 2.39). Le recours massif au vocabulaire de la fatalité et de la prédestination dans l’ensemble du recueil tend ainsi à minimiser la responsabilité du poète dans la survenue de la rencontre. Toute révolte est vaine contre l’arrêt du ciel, comme le rappelle le sonnet CXXX :

Contre le ciel mon cuœur estoit rebelle,
Quand le destin, que forçer je ne puis,
Me traisna voyr la Dame à qui je suis,
Ains que vestir cette escorce nouvelle.
(Ronsard, 2015, 2.148)

Le poète se présente non seulement comme un esclave soumis, corps et âme, à l’Amour qui le malmène mais aussi comme un poète impuissant, privé de toute maîtrise sur son œuvre, tant le désir a bouleversé son équilibre humoral et infléchi sa poétique. C’est le destin, et non l’ouvrier qu’il convient donc d’accuser, clame Ronsard dans le sonnet LV, si son chant se fait trop mélancolique12. Le bouleversement foudroyant qu’éprouve le poète au premier regard dit l’intensité de la conversion amoureuse mais révèle aussi son aveuglement : le poète n’est surpris par la mise en œuvre de sa destinée que parce qu’il n’a pas su l’anticiper et ne peut en reconnaître la vérité qu’une fois advenue.

Les réminiscences homériques éveillées par le nom de Cassandre favorisent amplement cette interprétation au prisme de la fatalité et de l’inconscience du poète : tout était annoncé, mais le poète découvre qu’il n’a su, pas plus que le peuple troyen, entendre la vérité des présages de Cassandre, frappée par la malédiction de parler sans pouvoir être crue13. C’est cette tension entre la prophétie et sa juste compréhension que met en scène le sonnet XIX où Ronsard feint de prêter sa voix à Cassandre. Après lui avoir annoncé sa mort prochaine, Cassandre prédit son échec, amoureux et poétique, scellé par la conjonction des astres qui confirment son oracle :

Sans me fleschir tes escriptz flétriront,
En ton desastre ira ma destinée,
Ta mort sera pour m’amour terminée,
De tes souspirs tes nepveux se riront.
[…]
Ainsi disoit la Nymphe qui m’afolle,
Lors que le ciel pour séeller sa parolle
D’un dextre ésclair fut presage à mes yeulx.
(Ronsard, 2015, 2.44-2.45)

L’énonciation du discours prophétique rapporté qui occupe les trois premières strophes du sonnet est rejetée dans un passé révolu que rien ne peut désormais modifier. Dans l’écart impossible à combler entre le futur employé par Cassandre et l’imparfait du v. 12 se joue l’après-coup de la conscience amoureuse : il est trop tard lorsque le poète se découvre amoureux. Le présage néfaste n’est interprété que lorsque la prédiction s’est déjà réalisée, plongeant le poète dans le présent, a priori sans fin, de la folie amoureuse qui le conduit à sa perte. Aurait-il pu en être autrement ? Le poète n’en envisage pas l’éventualité. C’est ce même motif que reprennent les sonnets sur la naissance du poète et de Cassandre dont Ronsard fait un diptyque dans l’édition des Amours de 155314. Tandis qu’il chante « l’étoile fortunée » qui veilla sur le berceau de Cassandre, Ronsard place sa propre naissance sous une étoile qui se confond avec l’œil de sa belle. La reprise du mythe néo-platonicien de l’androgyne s’inscrit dans cette configuration fatale : elle affranchit l’amour de toutes les contingences en faisant de Cassandre l’unique femme avec laquelle puisse se retrouver l’unité perdue.

Dans ces sonnets, l’état antérieur par rapport auquel la rencontre introduirait une rupture semble être tombé dans l’oubli. Le caractère aventureux de la rencontre et même son statut d’événement, au sens plein du terme, s’estompent alors : la rencontre qui réalise la prédestination est présentée comme l’origine sans laquelle le recueil tout entier et le parcours du poète seraient frappés d’inanité.

Au contraire, dans le sonnet XXXVII du même recueil de 1552, Ronsard souligne l’opposition entre l’avant et l’après et s’éloigne des récits néoplatoniciens pour placer la rencontre sous le signe de Lucrèce et du clinamen :

Les petitz corps, culbutans de travers,
Parmi leur cheute en byaiz vagabonde,
Hurtez ensemble, ont composé le monde,
S’entracrochans d’acrochementz divers.
L’ennuy, le soing, & les pensers ouvers
Chocquans le vain de mon amour profonde,
Ont façonné d’une attache féconde,
Dedans mon cuœur l’amoureux univers.
(Ronsard, 2015, 2.62)

Loin du vocabulaire de la fatalité ou de l’image de l’alignement des planètes, l’amoureux univers apparaît ici comme le produit du hasard et d’un heurt d’atomes vagabonds. Même si l’atomisme lucrétien semble exploité comme un prétexte puisque les tercets renouent avec le néoplatonisme (Pot, 1990, p. 145-150 ; Pouey-Mounou, 2008, p. 77-132 ; Tilson, 2010), l’image est frappante. L’analogie entre la destinée amoureuse du poète et la création du monde permet de souligner le désordre qui précède la composition de l’univers. La complétude féconde de l’amoureux univers se détache sur le fond d’un chaos marqué par la multiplicité des atomes, l’absence de trajectoire rectiligne, les heurts et les frictions (qui ne se sont pas encore muées en caresses) dont la dérivation sur « accrocher » offre une image sonore.

La diversité des références philosophiques qui se côtoient dans le même recueil ne permet pas de dessiner une cosmologie cohérente chez Ronsard (Pouey-Mounou, 2002), mais elle est révélatrice de la tension dynamique qui anime la poétique ronsardienne. Ronsard éprouve différentes configurations comme autant de réponses possibles au besoin de tenir ensemble désordre et harmonie, hasard et fatalité : lorsque la rencontre est prédestinée dans un univers organisé, elle se traduit par un chaos émotionnel qui plonge le poète dans un assaut de mouvements contradictoires ; lorsque le désordre chaotique régit le cours du monde, la rencontre aléatoire peut donner naissance à un cosmos harmonieux et à un sentiment de complétude.

En effet, la nécessité de la rencontre semble d’autant plus affirmée qu’elle se traduit par le désordre : Ronsard arrime à une nécessité destinale la trajectoire d’errance et de souffrance que subit le poète. La destinée conduit le poète à son désastre en l’engageant dans les vicissitudes des tourments amoureux. L’incertitude se loge alors dans la succession imprévisible de désespoirs et d’euphories. Au contraire, dans les sonnets qui évoquent la plénitude et la fécondité de l’état amoureux, Ronsard se plaît à souligner la transformation du chaos en cosmos et à suggérer que cette création serait l’harmonieux produit du hasard.

Mais que l’accord entre les deux êtres soit le produit d’un heureux hasard ou la marque d’une fatalité, l’implication du sujet dans la survenue de l’événement et la conduite de sa destinée est minorée dans ces différents sonnets où la naissance de l’amour est affranchie de toute volonté humaine.

3. Dramatisations de la rencontre

Les sonnets qui adoptent non le point de vue surplombant que conquiert le poète lorsqu’il relit son parcours a posteriori, mais le point de vue partiel du poète au moment de l’innamoramento (alors qu’il est inconscient du destin qui se trame), soulignent en revanche non la cohérence nécessaire de la rencontre, mais son caractère bouleversant d’événement inattendu.

Ainsi, dans le sonnet XLIX des Amours, bien connu, Ronsard dramatise la scène de première vue en s’appuyant sur une analogie entre la mise à mort d’un chevreuil et la flèche amoureuse jetée par l’œil de la femme aimée. Ronsard exploite les ressources offertes par la structure du sonnet pour rendre la chute plus saisissante. Composé d’une seule et unique phrase, le sonnet s’ouvre par la longue proposition comparative qui brosse une scène champêtre tandis que l’innamoramento, qui se révèle être l’objet du sonnet et de la comparaison, n’apparaît que dans le dernier tercet :

Comme un Chevreuil, quand le printemps destruit
L’oyseux crystal de la morne gelée,
Pour mieulx brouter l’herbette emmielée,
Hors de son boys avec l’Aube s’en fuit :
Et seul, & seur, loing de chiens & de bruit,
Or sur un mont, or dans une valée,
Or près d’une onde à l’escart recelée,
Libre, follastre où son pied le conduit,
De retz ne d’arc sa liberté n’a crainte,
Sinon alors que sa vie est attainte,
D’un trait meurtrier empourpré de son sang :
Ainsi j’alloy sans espoyr de dommage,
Le jour qu’un œil sur l’avril de mon age
Tira d’un coup mille traitz dans mon flanc.
(Ronsard, 2015, 2.74)

La tension du sonnet repose sur plusieurs ressorts, aussi bien syntaxiques que thématiques : le retard des verbes pivots, tant dans la comparative, où les détours se multiplient pour mimer le parcours du chevreuil, que dans la proposition principale ; la longue attente du comparé dont seule la révélation tardive permet d’interpréter correctement le sens du tableau printanier ; le choc provoqué par la mort soudaine du chevreuil au v. 11 ; la surenchère créée par l’hyperbole finale.

La violence de la mort du chevreuil comme de la rencontre avec la dame, réduite à son œil-archer, est mise en valeur par le contraste déployé entre l’épanouissement de la nature printanière et la scène de meurtre à laquelle elle offre son cadre. Le tableau champêtre du chevreuil met en lumière l’insouciance de l’animal qui ne se sait pas guetté par le chasseur et gambade librement avant d’être frappé par une flèche mortelle. Ronsard intensifie le choc du heurt entre le parcours de la flèche et le parcours du chevreuil en développant les détours de son mouvement sans but, qu’il rend sensible par une rythmique extrêmement mobile. La variété des modes d’accentuation du décasyllabe et le jeu des balancements syntaxiques auxquels recourt Ronsard dans le second quatrain permettent de restituer la contingence des déplacements. Le chevreuil va au hasard, « où son pied le conduit » : l’impulsion de l’instant l’emporte sur le désir d’un unique objet. À ce mouvement sans destination qui s’abandonne aux circonstances s’oppose la trajectoire de la flèche, qui part de l’arc au moment juste pour pouvoir toucher sa proie en plein cœur.

La tension syntaxique et le choc de la chute invitent à la relecture. Le lecteur peut ainsi éprouver le processus de réduction de la contingence qui s’opère dans la ressaisie interprétative et dans toute mise en récit, même minimale, de l’événement : d’abord placé dans la position du poète au moment de la rencontre, le lecteur mesure dans un second temps l’unité du sonnet que le poète a construit pour surprendre, tout comme le chasseur dispose le piège pour frapper par surprise des proies insouciantes.

Lu dans l’ignorance de sa fin, le sonnet semble se rapprocher du modèle par excellence de l’événement fortuit : le chevreuil s’écroule frappé par la flèche, comme le poète frappé par l’amour, alors que leurs pas auraient pu les conduire en un autre lieu, alors qu’ils auraient pu s’y trouver en un autre instant. L’insistance sur les circonstances spatiales et temporelles de la chute semble suggérer le caractère contingent des trajectoires dont l’intersection s’est révélée mortelle.

Rétrospectivement, le lecteur prête attention aux éléments circonstanciels qui, dans le tableau printanier, ménagent le surgissement de la violence. La meute des chiens est loin, mais annonce le drame à venir. Même la périphrase employée pour désigner la reverdie printanière, comme une destruction de la gelée hivernale, se révèle porteuse d’une violence latente, suggérant que la renaissance du printemps s’enracine dans un cycle de destruction15. Chacun des éléments semble pouvoir être relu comme un signe soigneusement disposé par le poète que le lecteur n’a su déchiffrer à la première lecture. La surprise s’efface devant la révélation de sa cohérence a posteriori.

Le récit lui-même tient ensemble surprise et imprévisibilité de l’événement d’un côté, fatalité de cette rencontre de l’autre. La proie aurait pu être atteinte en un autre lieu, en un autre temps, mais elle n’aurait pu échapper au chasseur qui guettait son apparition. L’arc manifeste la présence d’une intentionnalité attribuée à une entité extérieure au sujet, même si elle est dissimulée. La destinée du sujet amoureux se trame sans lui.

Un pas de côté est toutefois opéré par rapport aux sonnets précédents qui font de la rencontre la manifestation de la transcendance. Au contraire des scènes où la rencontre est dépeinte comme une évidence qui révèle une nécessité cosmique à l’œuvre, le désir d’un chasseur sans pitié apparaît susceptible d’être remis en question : en humanisant l’intentionnalité à l’œuvre, sans pour autant l’intérioriser, Ronsard ouvre la voie à la récrimination.

C’est ce que l’on observe plus nettement encore lorsque la rencontre amoureuse est le résultat d’un caprice d’Amour, personnifié sous les traits d’un enfant, ou lorsqu’Amour frappe le poète, non pour ordonner le chaos ou permettre la réunion de l’androgyne perdu, mais par oisiveté16 ou par erreur, à la suite d’une nuit dans une auberge, où il a pris les armes de Diane17. La rencontre, imprévisible, apparaît alors arbitraire. Priver la souffrance occasionnée par la rencontre amoureuse de toute nécessité, sans la considérer comme le fruit d’un choix ou d’un désir subjectifs assumés par le poète, peut ainsi déboucher sur le ressentiment à l’égard d’une entité que le poète accuse sans toujours l’identifier précisément.

Ainsi, dans le sonnet 14 de la Nouvelle Continuation de 1556, le poète, après avoir mis en scène son ambivalence à l’égard d’une maîtresse qui le tourmente mais qu’il ne peut se résoudre à haïr, se détourne de la dame pour maudire celui qui fut à l’origine de ce tourment :

Je ne te puis hayr, quoy que tu me sois fière, Mais bien je hay celuy qui me mena de nuict Prendre de tes beaux yeux l’acointance premiere :
Celuy seul tout expres à la mort m’a conduit,
Celuy seul me tua ! hé, mon Dieu, n’est-ce pas
Tuer, que de conduire un homme à son trespas ?
(Ronsard, 2015, 2.1220)

Par la répétition du pronom « celuy », sans relatif qui en permettrait l’identification, le poète choisit de ne pas nommer l’entité responsable de la rencontre amoureuse. Mais que le coupable soit une figure d’Amour capricieux ou, selon une interprétation plus prosaïque, quelque connaissance commune au poète et à sa dame, la responsabilité de la rencontre est attribuée à une entité jalouse qui trame « tout expres » le malheur du poète.

L’écart est net avec les scènes où le poète apparaît comme un sujet actif dans la rencontre qui ne serait pas advenue sans son implication. La comparaison entre le sonnet 60 des Amours de 1552 et le sonnet 17 de la Continuation des Amours de 1555, est éclairante : alors que les deux sonnets exploitent le motif du chevreuil pour dire la surprise causée par la rencontre, dans le sonnet 17 de la Continuation, le poète se présente en chasseur qui tombe dans un piège alors qu’il course sa proie et se trouve pris, croyant prendre. En voici les derniers vers :

Si tost que je le vy, je voulu courre après, Et lui qui m’avisa, print sa course es forés, Où se moquant de moi, ne me voulut attendre.
Mais en suivant son trac, je ne m’avisay pas
D’un piege entre les fleurs, qui me lia mes pas,
Et voulant prendre autrui, moimesme me fis prendre.
(Ronsard, 2015, 2.1102)

Le je est bien présent comme sujet, et sa volonté affirmée. Le polyptote sur le verbe « vouloir » souligne combien la destinée amoureuse du poète a dépendu de son désir prédateur. La chute dans le piège aurait pu être évitée par le poète s’il avait su mesurer les risques encourus au moment d’engager cette chasse aventureuse18.

4. Intériorisation de la fortune amoureuse

L’équilibre entre nécessité et fatalité de la rencontre est ainsi modulé de manière distincte lorsque l’origine de l’aventure amoureuse est intériorisée, comme on peut l’observer dans des textes plus tardifs de Ronsard où le poète, tout en convoquant parfois à titre allégorique la présence des dieux, d’Amour ou de la fortune, ancre la rencontre dans un désir sensuel ou un choix conscient.

La rencontre avec Genevre, rapportée dans la première des trois longues élégies qui lui sont adressées, est racontée comme le fruit d’un instant dont le poète ne cherche pas à réduire le caractère contingent. En voici les deux premiers vers :

Genevre, je te prie, escoute par pitié
Comment je fus surpris de ta douce amitié.
(Ronsard, 2015, 4.486)

Ce sont des circonstances particulières qui permettent d’expliquer la surprise causée par la rencontre et l’abandon à l’émotion d’un instant singulier. Ronsard prend le temps de créer une atmosphère :

Sur la fin de Juillet que le chaut violent
Rendoit de toutes pars le ciel estincelent,
Un soir, à mon malheur, je me baignoy dans Seine,
Où je te vy danser sur la rive prochaine,
Foulant du pied le sable, & remplissant d’amour
Et de ta douce voix tous les bords d’alentour.
Tout nud je me vins mettre avecq’ ta compaignie…
(Ronsard, 2015, 4.487)

Le cadre est détaillé, presque réaliste, et ne répond pas à la surcharge sémantique habituelle : le moment donne l’impression d’être pris sur le vif. Émoustillé par le spectacle des femmes qui dansent sur la rive, le poète saisit l’occasion et provoque la rencontre :

Là je baisay ta main pour premiere acointance,
Car autrement de toy je n’avoy cognoissance.
(Ronsard, 2015, 4.487)

Ce baiser l’enflamme. L’excitation sensuelle éveille le sentiment amoureux. Le poète ronsardien voit sa vie bouleversée pour avoir osé effleurer la peau de la dame19. Au mois d’été répond alors la chaleur brûlante qui se répand dans le corps du poète et que seule la baignade dans l’eau froide peut apaiser. Mais la part de contingence accidentelle persiste dans la suite de cette élégie qui se fait narrative. Dans un récit mené avec vivacité, le poète accumule les menus événements de l’histoire amoureuse. Après une nuit d’insomnie, il retourne le lendemain, près de la Seine. Il avise soudain la belle à sa porte, mais Ronsard ne s’appesantit pas sur cet heureux hasard. Au contraire, il aplanit la saillance de la rencontre qui s’inscrit dans le mouvement vagabond de la fortune à laquelle il s’abandonne désormais :

Maintenant je poursuy toute amour vagabonde,
Ores j’ayme la noire, ores j’ayme la blonde,
Et sans amour certaine en mon cueur esprouver,
Je cherche ma fortune où je la puis trouver.
(Ronsard, 2015, 4.494)

La fortune n’apparaît plus comme une entité transcendante à laquelle le sujet est soumis, mais comme une puissance dont le poète peut se saisir.

En insistant sur les sollicitations sensorielles qui ont éveillé son désir, le poète souligne sa participation dans la survenue de la rencontre tout en logeant l’impulsion amoureuse dans un fondement charnel. Un échange de regards, un frôlement de mains, un baiser déposé sont identifiés a posteriori comme des instants de bifurcation pour le poète, où tout a basculé. Ils engagent le sujet dans une aventure qui aurait pu ne pas être. Car le corps est en proie à l’inconstance et les excitations sensorielles se tarissent après avoir été comblées. Au récit qui insiste sur la contingence de la rencontre répond ainsi le récit, publié de manière posthume, de la rupture avec Genevre, où Ronsard aplanit la saillance de l’événement. Tout se passe comme si les deux chemins se dénouaient aussi rapidement qu’ils s’étaient trouvés entrelacés, obéissant à l’inconstance et aux contingences du désir. L’aventure est ici enclose comme une parenthèse anecdotique – insulaire, dirait Jankélévitch (Jankélévitch, 2017) – dont le récit conserve la mémoire.

5. Fortune amoureuse et rencontre élective

Dans les Sonnets pour Hélène, Ronsard s’affranchit de l’épicurisme des élégies pour Genevre tout en allant plus loin encore dans l’intériorisation de la fortune amoureuse, assumée à la première personne. Le recueil s’ouvre par une déclaration d’amour et une promesse de fidélité. Dans ce dernier recueil amoureux, Ronsard congédie ainsi dans le même temps l’idée d’une destinée régie par les dieux et le motif de l’instant foudroyant où le poète se trouverait ravi sans l’avoir voulu, lié indissolublement à celle sur laquelle son regard s’est posé. Le « premier jour de May » par lequel le poète attaque le sonnet ne renvoie pas au moment de la première vue, mais au moment de l’engagement que le poète contracte de son plein gré :

Ce premier jour de May, Helene, je vous jure
[…]
Que seule vous serez ma dernière aventure.
Vous seule me plaisez, j’ay par election
Et non à la volée aimé vostre jeunesse :
Aussi je prens en gré toute ma passion,
Je suis de ma fortune autheur, je le confesse :
La vertu m’a conduit en telle affection.
Si la vertu me trompe adieu belle Maistresse20.
(Ronsard, 1993, vol. 1, p.341)

Dans ce sonnet dont la structure logique est ferme, quoique discrète, Ronsard met en scène le pouvoir performatif de la parole et s’établit comme sujet souverain. Au seuil du recueil, il se présente comme auteur, non seulement de ses vers mais de son parcours amoureux, et renonce à l’idée d’une nécessité transcendante pour adopter une posture de pleine et entière conscience, tant poétique que sentimentale. L’être aimé a été choisi et le poète assume les conséquences et les risques de cet engagement passionnel qui ne lui a pas été imposé. Dans le même temps, défaire la rencontre de toute transcendance autorise le poète, au moment même où il promet fidélité, à menacer la femme aimée de la quitter si elle le déçoit. Défaite de ses atours allégoriques, la fortune n’est plus ici une entité séparée, distincte du sujet, qui permettrait d’imager un destin qui lui échapperait et auquel il serait soumis. Seul son caractère mouvant est conservé pour suggérer les vicissitudes auxquelles expose tout serment amoureux.

Au regard de ce serment inaugural qui s’oppose à toute scène brutale d’innamoramento, Ronsard se parjure à de nombreuses reprises : le motif de l’éblouissement soudain, où le premier regard coïncide avec le ravissement est repris quelques sonnets plus tard21 et Ronsard oublie bien souvent qu’il s’est dit l’auteur de son destin pour s’emporter contre Amour, contre sa dame ou contre le Ciel qui a tramé sa sombre destinée, déplaçant ainsi la source de l’amour hors de lui. Aux côtés de motifs topiques se déploient toutefois des scènes inédites. Ainsi dans le sonnet XIII, qui s’attache aussi au moment de l’émergence du sentiment amoureux, et non de la rencontre, tomber amoureux est comparé à un jeu de dés22 :

Soit que je sois haï de toy, ma Pasithée,
Soit que j’en sois aimé, je veux suivre mon cours :
J’ay joué comme aux dets mon cœur et mes amours :
Arrive bien ou mal, la chance en est jettee.
(Ronsard, 2015, 6.231)

Le poète fait place à une part de hasard qui ne saurait être réductible à la révélation d’un dessein caché ou à l’inconstance d’une excitation sensuelle. La référence à Properce (Ronsard, 1993, vol. 1, p. 1366) chez qui le coup de dés figure le mauvais sort de l’amoureux n’est pas exclusive d’un souvenir de Suétone. Quoique le texte soit plus tardif, la présence, sans ironie, de la comparaison chez le poète baroque espagnol Lupercio Leonardo de Argensola, avec une variation semblable sur alea jacta est, suggère que l’analogie entre l’abandon à l’état amoureux et l’hésitation de César avant de franchir le Rubicond n’était pas inhabituelle à la fin du xvie siècle23.

Ronsard reste bien sûr sur le seuil du vertige devant l’aléatoire, il a joué sa vie « comme aux dets », mais l’analogie de la destinée avec le jeu de dés permet de suggérer le caractère imprévisible du destin auquel a consenti le poète ainsi que l’excitation éveillée par le lancer des dés, instant fugace qui contient en lui toutes les éventualités avant que le mouvement ne s’interrompe. De ce bref instant, dont les virtualités sont réduites ici à une dualité binaire de haine ou d’amour, de bien ou de mal, le poète restitue l’oscillation par un mouvement de balancier. Mais surtout cette analogie rend sensible le paradoxe de cet abandon à l’aléatoire, où le sujet décide de s’en remettre à un mode de détermination de ses actes dépourvu d’intentionnalité. La tension est manifeste entre l’affirmation souveraine de sa volonté et l’impersonnalité du sort tiré aux dés (« arrive bien ou mal, la chance en est jettee » : toute trace du sujet s’efface). Elle révèle la part de jeu contenue dans toute aventure amoureuse lorsque la volonté consent au mouvement impulsé par le désir et s’y engage pleinement, après un bref instant d’hésitation, et la gratuité de cette déviation hors de l’habitude. La volonté ne s’éprouve pas comme une lutte mais comme un acquiescement à l’imprévu et s’inscrit dans une précarité qui engage pourtant une durée. C’est alors que la rencontre peut initier une aventure au sens fort que l’aventure recouvre dans les romans d’aventure médiévaux (Agamben, 2016) ou comme une disposition ouverte à l’avenir et au surgissement de l’imprévu (Jankélévitch, 2017), constamment prête à se remettre en jeu.

Les variations ronsardiennes sur la rencontre inaugurale questionnent inlassablement la tension entre la fragilité de l’événement et sa nécessité existentielle et poétique. Prise dans le fantasme, la rencontre se dérobe à toute saisie univoque. Ronsard fait place à l’impulsion du sujet, d’une part, et à diverses forces extérieures qu’il ne maîtrise pas, d’autre part, dans des configurations distinctes. Accompagnant l’affirmation de sa posture auctoriale, une évolution se dessine entre la fatalité qui domine les premières œuvres et l’émergence d’une dimension décisionnelle où le risque et l’aventure sont assumés par le poète qui intériorise la conduite de sa destinée poétique et amoureuse. Plus qu’entre un modèle destinal et un modèle épicurien, les évocations poétiques de la rencontre se partagent entre les scènes où le poète se présente en butte aux puissances qui le ballottent (qu’elles prennent la forme du destin, de la chute libre des atomes, d’un regard archer ou de sollicitations sensorielles qui échappent à la volonté), et celles où il consent activement à l’imprévu. Mais la force et le dynamisme mêmes de son œuvre dérivent des tensions irrésolues qu’elle accueille. Les modulations de la scène s’accordent à l’ethos poétique qui préside à l’énonciation du poème et rendent compte de l’intrication d’émotions, de la joie à la souffrance, du ravissement à la révolte, de l’excitation à la récrimination, qu’éveille le souvenir de la rencontre amoureuse. Car le chant amoureux tout entier se joue dans la manière de localiser sa source et de donner sens à l’événement qui l’origine.

Bibliografia

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Note

1 Et de toute rencontre, pourrions-nous ajouter. Voir Olivier Guerrier « De la Rencontre » (Duprat, 2023) : « rencontre combine le mouvement intentionnel d’une quête et la réalisation heureuse ou malheureuse de celle-ci, cette articulation entre la liberté de l’homme et des instances qui dépassent celui-ci étant caractéristique de la Renaissance ».

2 Voir Alicia Viaud « Autour de la fortune : émergence d’un champ lexical du hasard, du xive au xvie siècle » (à paraître dans Duprat, 2023).

3 On relève plus de 350 occurrences de « Destin » ou « destinée », 200 du mot « Fortune », près d’une centaine d’« aventure » ou « aventureux », 80 emplois de « Sort » chez Ronsard (Creore, 1972). Voir, pour une présentation synthétique, l’article « Fortune » de F.  Roudaut (Rouget, 2015, p. 261-262).

4 Ainsi, Yves Giraud observe que Ronsard propose un « abrégé des opinions les plus courantes, éclectiquement réunies sans souci de cohérence » dans son traitement de Fortune (Giraud, 1984, p. 150) tandis que Malcolm Quainton constate une dualité irréconciliable d’attitudes qu’il propose de résoudre par une distinction entre une vision allégorique et une vision philosophique de la Fortune (Quainton, 1980, chap. III).

5 S’appuyant sur les Amours de Cassandre, Marie et Hélène, Olivier Pot propose « une dialectique contrastée du Destin et de la Fortune » articulée en trois temps hégéliens : « L’idéalisme de Cassandre on s’en doute, force le premier type de causalité, et néglige en revanche le hasard événementiel. Marie renverse les proportions avec une exacte symétrie : si les mots destin ou destinée sont rares ou nuls, le terme fortune jouit d’une grande faveur. Où situer le troisième recueil dans ce répartitoire systématique ? Notre analyse d’ensemble nous invite à supposer toujours une structure conflictuelle : Hélène hérite de Cassandre une sensibilité aussi marquée pour les desseins de la Providence tout en accentuant la composante aléatoire de Marie » (Pot, 1990, p. 316). La proposition est stimulante, mais fait primer la cohérence du raisonnement sur la diversité des textes.

6 On le trouve en revanche comme parasynonyme de destin et de sort lorsque Ronsard évoque la pratique renaissante qui consiste à ouvrir au hasard un recueil, au sonnet CLXVI des Amours, v. 1-2 : « les vers d’Homere entreleus d’avanture / soit par destin, par rencontre ou par sort » (Ronsard, 2015, 2.179).

7 Sur l’importance de l’œil, porte d’entrée vers le cœur, ainsi que l’héritage de Marsile Ficin, Equicola et Cavalcanti, voir Carnel, 2004, Hunkeler, 2003, chap. IV, ainsi que Agamben, 1977/1994.

8 Voir le sonnet XV du premier livre des Sonnets pour Hélène, v. 5-6 : « mon œil dedans le vostre esbahy rencontroit / cent beautez » (Ronsard, 2015, 6.233).

9 L’influence du pétrarquisme dans la poésie amoureuse persiste jusqu’au début du xviie siècle et même au-delà. Théophile de Viau éprouve encore la nécessité de proposer une variation antipétrarquiste de la scène de première rencontre avec Laure dans son sonnet « L’autre jour, inspiré d’une divine flamme » : la fidélité sur le plan de l’expression rhétorique au modèle de Pétrarque fait d’autant mieux ressortir l’esprit libertin qui l’anime (voir Zaiser, 2021).

10 Ce qui donne lieu à des débats sur la date de la rencontre dès la seconde moitié du xvie siècle. Marco Santagata dans son introduction au sonnet récapitule brièvement les différents arguments pour rendre compte de ce décalage (Pétrarque, 1996, p. 17-18).

11 Dans le sonnet V de l’Olive, la rencontre amoureuse a aussi lieu au sein d’une église, mais advient le jour de Noël (Du Bellay, 2003, p. 15).

12 Voir Amours, LV, v. 12-14 (Ronsard, 2015, 2.80).

13 Voir aussi Amours, XXXIII, v. 4 où Ronsard évoque la parole oraculaire de Cassandre et « l’arrest fatal de [sa] voix veritable » (Ronsard, 2015, 2.58).

14 Voir Amours, LXXII, « L’astre ascendant, soubz qui je pris naissance » (v. 1) et CVIII, « Heureuse fut l’estoille fortunée » (v. 1) (Ronsard, 2015, 2.95 et 2.128). Les deux sonnets seront placés à la suite l’un de l’autre pour former un diptyque (s. 134 et s. 135) dans l’édition des Amours de 1553 (Ronsard, 1553/1993, p. 172-174).

15 Pour l’analyse de ce sonnet, et pour cette remarque en particulier, nous sommes redevables envers Jean-Charles Monferran qui commentait ce sonnet lors d’un cours lumineux donné à l’automne 2010, en licence, à la Sorbonne.

16 Voir par ex. Amours, LXXX, v. 1-2 : « depuis le jour que le trait otieus / Grava ton nom au roc de ma memoire » (Ronsard, 2015, 2.103).

17 Voir les Stances dans les Vers d’Eurymedon et de Callirée : « De fortune Diane et l’archerot Amour / En un mesme logis arrivèrent un jour » (Ronsard, 1993, vol. 1, p. 310).

18 Voir aussi l’ode 22 de la Nouvelle Continuation où un enfant « veit, par cas d’adventure, / Pres un buys Amour emplumé » alors qu’il cherche à capturer des oiseaux : le temps n’est pas encore venu pour lui d’être saisi dans les rets d’Amour mais la fable suggère que la rencontre d’Amour viendra punir les intentions chasseresses de l’enfance (Ronsard, 2015, 2.1226-1229).

19 Le bouleversement provoqué par l’effleurement est présent dans les Amours de 1553 mais pour justifier l’intensité du désir sexuel et non l’émergence du sentiment amoureux, qui lui est bien antérieur. Voir par ex. le sonnet XXXIX, v. 9-11 : « Qui eut pensé, que le cruel destin / Eut enfermé sous un si beau tetin / Un si grand feu, pour m’en faire la proïe ? » (Ronsard, 2015, 2.446).

20 Nous suivons ici la version de 1584, reproduite dans l’édition de la Pléiade, et non la version de 1578 (Ronsard, 2015, 6.218).

21 Ainsi le Sonnet XII, v. 10-12 : « Si tost que je la vy, je fus mis en servage / De ses yeux que j’estime un sujet plus qu’humain. / Ma Raison sans combattre abandonna la place » (Ronsard, 2015, 6.230).

22 L’image était déjà présente dans le sonnet XIII pour Astrée, v. 1-4 (Ronsard, 2015, 6.214) avant la reprise d’un strict vasselage à Amour.

23 Dans le sonnet 12 de ses Rimes, « Il compare le doute dans lequel le plongea la grandeur de l’entreprise qu’Amour lui proposée et la persévérance avec laquelle il la poursuivit après en avoir résolu avec le doute qui saisit César au moment de s’emparer de l’Empire et la constance avec laquelle il exécuta sa résolution ». (notre trad.). Voir en particulier les v. 9-14 (Argensola, 1972, p. 52).

Per citare questo articolo

Referenza elettronica

Louise Dehondt, « Entre hasard et destinée : contingences de la rencontre dans les recueils amoureux de Ronsard », Atlantide [On line], 14 | 2023, On line dal 01 mai 2023, ultima consultazione: 09 octobre 2025. URL : https://atlantide.pergola-publications.fr/index.php?id=773

Autore

Louise Dehondt

Agrégée de lettres modernes et ancienne élève de l’ENS-Ulm, Louise Dehondt est docteure en littérature comparée. Sa thèse, récompensée par le prix de thèse 2022 de la SFLGC, porte sur les représentations de la vieillesse féminine dans la poésie en langue romane de la Renaissance. Depuis 2021, elle est ingénieure d’études au sein du projet ANR Alea consacré aux configurations littéraires de la contingence de la Renaissance à aujourd’hui.

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