Pour qui pense aux liens unissant, dans l’Histoire, le pouvoir politique et la traduction, un personnage vient fréquemment à l’esprit : celui du « truchement ». Si l’étymologie du mot, « drogman » (désignant les traducteurs-interprètes qui travaillaient pour la Sublime Porte à Constantinople), atteste bien son origine levantine, l’image du mauvais traducteur, tant raillée par Molière dans ses pièces, est pourtant loin d’être une fable. En effet, ces truchements falsifiaient souvent les contenus qu’ils avaient à traduire afin de ne pas déplaire au Sultan (ils pouvaient le payer de leur vie). Si les traducteurs ont souvent été proches du pouvoir politique, les enjeux de la traduction s’amplifièrent à l’ère moderne avec des moyens de communication accrus, et ses liens avec le pouvoir et l’Histoire s’en trouvèrent renforcés : le cas célèbre de la Dépêche d’Ems (1870) est là pour révéler qu’un problème mineur de traduction peut parfois déboucher sur une guerre. Même si elle a été souvent considérée comme une activité marginale, à la visibilité réduite, ou peut-être justement grâce à ce fait même, la traduction — et ses acteurs — est bel et bien un instrument de soft power redoutable, dont l’impact historique et idéologique n’est plus à sous-estimer.

For those who reflect on the entanglement of political power and translation in history, a character frequently comes to mind: the truchement or ‘go-between’. While the etymology of the word, 'drogman' (referring to translators-interpreters who worked for the Sublime Porte in Constantinople) confirms its Levantine origin, the image of the bad translator, often mocked by Molière in his plays, is far from being a fable. In fact, they often falsified the content they had to translate to avoid displeasing the Sultan (which could cost them their lives). While translators have often been close to political power in History, the stakes of translation intensified in the modern era with increased media of communication: the famous case of the Ems Dispatch (1870) shows that a minor translation issue can sometimes lead to war. Even if it has often been considered a marginal activity, with limited visibility, or perhaps precisely because of that, translation - and its actors – is a formidable tool of soft power, whose historical and ideological impact should not be underestimated anymore.

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