L’éco-terrorisme, un phénomène socio-politique apparu récemment dans la société, reste encore un sujet peu traité par la recherche académique. Le propos de cet article est d’explorer la définition et la distinction entre éco-terrorisme et éthique environnementale. Je propose une analyse littéraire du film de Cho-Li (Zhuó Lì 卓立), The Rice Bomber (Báimĭ zhàdànkè 白米炸彈客, 2014)1, que je comparerai avec le récit dont il s’inspire, Rice Isn’t Bomb (Báimĭ búshì zhàdàn 白米不是炸彈, 2007), écrit par Yang Ju-men (Yáng Rúmén 楊儒門), c’est-à-dire le poseur de la bombe lui-même2. Le terme rice bomber (báimĭ zhàdànkè 白米炸彈客) désigne un poseur de bombes d’un genre spécial : de faible intensité, elles étaient chargées de sachets de riz, dans le but de créer une petite explosion, sans intention létale, propageant dans tous les sens les grains de riz. À la lumière de l’histoire vraie d’un rice bomber, qui affirmait défendre l’intérêt des agriculteurs locaux à Taïwan, je proposerai une discussion philosophique de la définition de l’éco-terrorisme et de la justice environnementale, ainsi que de la construction artistique de l’image d’un personnage « héroïque ».
1. Éco-terrorisme ou justice environnementale ?
On parle aujourd’hui beaucoup de terrorisme, d’extrémisme, ainsi que des conflits et des violences qui en découlent dans la société. Cependant, la plupart des discussions autour de ces termes implique généralement des croyances religieuses, des intérêts ethniques ou encore des valeurs nationales qui entrent en conflit avec les principes d’une ou plusieurs minorité(s) appartenant à la même société. Ce type de discussion s’organise autour de deux axes limités : la discussion politisée ou le débat anthropocentrique. Il est politisé et anthropocentrique puisque les actes exercés sont perpétrés par certains êtres humains contre d’autres êtres humains. Prenons l’exemple des attentats qui ont eu lieu à Paris le 13 novembre 2015. Les actes radicaux menés par l’État Islamique (ISIS en anglais) ne sont pas des attaques qui détruisent simplement des objets, des statues ou des architectures qui ne se conforment pas à leur idéologie théologique. Ce sont des attaques qui visaient une population, c’est-à-dire des êtres humains. De ce fait, la réflexion sur le terrorisme ne peut qu’être adressée à partir d’une discussion sur la valeur humaine. La conséquence de cette logique est de considérer que la discussion sur le terrorisme mobilise des arguments qui n’impliquent que des valeurs anthropocentriques. Cet article porte toutefois sur des actes politiques radicaux qui ne concernent pas uniquement des valeurs anthropocentriques, mais également des valeurs écologiques. Pouvons-nous désigner la pratique de ces actes radicaux comme une sorte de terrorisme écologique ? ou bien, devons-nous la considérer comme une forme de justice environnementale ?
L’article est organisé en deux parties. La première introduira un résumé de la vie et de l’engagement politique de Yang. Plus fondamentalement, cette partie précisera les définitions problématiques des notions de terrorisme et d’éco-terrorisme. À partir des actes radicaux de Yang, on se demandera si ces actes doivent être catégorisés comme des actes éco-terroristes, ou s’il est possible de justifier ces actes par l’éthique environnementale, même s’ils comprennent un certain degré de menace et de violence. La deuxième partie abordera une étude littéraire qui compare l’« autobiographie » de Yang, Rice Isn’t Bomb, et le film de Cho Li, The Rice Bomber. J’analyserai en détail l’interprétation et la représentation imaginaire de Yang Ju-men dans le film de Cho Li. Par ailleurs, je comparerai cette représentation avec le récit des événements que Yang a fait lui-même dans son » autobiographie ». Cette partie traitera du paradoxe de l’héroïsme au sein de l’éco-terrorisme. Autrement dit, mon analyse examinera une valeur éthiquement incompatible entre la violence des actes radicaux et la construction de l’image héroïque à travers une imagination littéraire. En conclusion, je proposerai une évaluation de l’impact de ces actes radicaux pour une cause à la fois humaniste et écologique. Je discuterai dans cette conclusion la manière dont la société civile taïwanaise répond et réagit à ces actes radicaux. Ainsi, en revenant à l’image paradoxale d’un héros constitué par ces deux œuvres, j’examinerai si cette image est essentielle pour servir dans une opération socio-politique ou pour provoquer des changements positifs dans la société.
2. Le rice bomber est-il un « éco-terroriste » ?
2.1. La vie et l’engagement politique du rice bomber Yang Ju-men
Yang Ju-men est né à Ehrlin (Èrlín 二林), dans le district de Changhua (Zhānghuà 彰化) en 1978. Il a été élevé par ses grands-parents qui étaient agriculteurs. Voyant l’impact négatif sur les agriculteurs locaux au lendemain de l’entrée de Taïwan dans l’OMC, Yang a pris l’initiative de lutter contre cette politique. Il a commencé par écrire des lettres et porter plainte auprès des administrations publiques, en espérant que le gouvernement ne négligerait pas les droits des agriculteurs locaux et ne sacrifierait pas leurs intérêts. Il n’a jamais obtenu de réponse (voir Yang Zhu-chun, 2005). Entre 2003 et 2004, Yang a installé plusieurs explosifs dans différents endroits publics à Taipei (17 en tout), sur lesquels il affichait une note : « Bombe, ne la touchez pas. » (「炸彈勿按。」), avec une note de rappel précisant : « 1. Contre l’importation du riz ; 2. Le gouvernement devrait prendre soin de son peuple . » ( 「 一、不要進口稻米 ; 二、 政府要照顧人民。」). Quand ils ont relaté l’événement, les médias et la police ont commencé à l’appeler le rice bomber. La dernière bombe qu’il a installée était placée sur le trottoir du ministre de l’éducation, le 12 novembre 2004. Le 24 du même mois, la police a révélé au public quelques images floues du rice bomber, qui avaient été enregistrées par les caméras de surveillance. Deux jours plus tard, Yang s’est rendu à la police, accompagné de son frère.
En octobre 2005, le Bureau des procureurs à Taipei (Taipei District Prosecutors Office) a accusé Yang de menace à la sécurité publique et de fabrication illégale de bombes. Le tribunal a ensuite condamné Yang à sept ans et demi de prison avec une contravention de cent mille dollars taïwanais (environ 2 500 euros à l’époque). Yang a décidé de faire appel auprès de la Cour Suprême. En définitive, le verdict a été fixé à cinq ans et dix mois d’emprisonnement, tout en maintenant le montant initial de l’amende. Pendant sa détention, à la fin du mois de novembre 2005, il a entrepris une grève de la faim de six jours, car il était déterminé à poursuivre son combat contre la participation de Taïwan à l’OMC. Durant sa grève de la faim, il a prononcé une déclaration personnelle contre la tenue de la Sixième Conférence de l’OMC (qui a eu lieu du 13 au 17 décembre 2005, voir Yang Ju-men, 2005). Après avoir purgé sa peine pendant deux ans, Yang a bénéficié de l’amnistie de l’ancien président Chen Shui-bian (Chén Shuĭbiăn 陳水扁) en 2007.
Un an après sa libération, Yang a fondé un marché qui ne vend que des produits issus de l’agriculture biologique et qui promeut l’agriculture verte. Aujourd’hui, Yang reste toujours actif dans les domaines de l’agriculture et du commerce équitable. Par ailleurs, il s’est engagé également dans d’autres mouvements socio-politiques pour lutter contre ce qu’il considère comme des inégalités. Par exemple, il a participé aux manifestations de Dapu (Dàbù kàngyì àn大埔抗議案) et au mouvement « No Nukes Taiwan » (Táiwān făn Késì yùndòng台灣反核四運動)3. Il est maintenant le propriétaire de son propre restaurant bio, Xuénóng FOOD restaurant (Xuénóng FOOD cāntīng 學農FOOD 飯廳), à Taipei, ainsi que l’un des directeurs de la compagnie Taipei Agricultural Products Marketing4 (Táibĕi chănyùn xiāo gŭ fèn yŏuxiàn gōngsī 臺北農產運銷股份有限公司).
2.2. Les problématiques propres à la définition du « terrorisme » et de l’« éco-terrorisme »
En résumant rapidement l’histoire de Yang Ju-men, cette partie visera à discuter la définition problématique du terrorisme et de l’éco-terrorisme à partir de ces actes radicaux. Dans ce but, on précisera les intentions de Yang afin de comprendre si ces actes violents peuvent être qualifiés d’actes « terroristes » ou « éco-terroristes », ou bien encore comme des actes acceptables du point de vue de l’éthique environnementale.
Les termes de terrorisme et d’éco-terrorisme qu’on entend quotidiennement sont en eux-mêmes problématiques, que ce soit au niveau de l’emploi courant de ces termes ou des définitions qu’en donne la recherche académique. Normalement, la définition neutre et non-biaisée du terme terrorisme devait designer l’exercice d’actes radicaux régis selon trois principes : « (1) la pratique de la violence et de la menace, (2) la visée de cibles non-militaires (c’est-à-dire des cibles civiles) et (3) la définition d’un objectif politique » (Juan, 2006, p. 57 et voir Barker, 2003/2004). Or, ce terme, tel qu’on l’emploie couramment, a tendance à être utilisé de façon péjorative.
Le premier problème posé par ce terme est qu’il renvoie souvent à des valeurs dont le contenu est relativement différent dans les pays occidentaux et dans les pays orientaux. Je ne prétends pas avoir un point de vue de spécialiste sur la géopolitique ou sur la science politique, mais je constate que ce terme résulte d’une généralisation ou d’une simplification de valeurs quasi opposées : celles d’humanité universelle (partagées entre les pays « occidentaux ») et celles définies par le terme d’islamisme (auxquelles il est fait référence dans plusieurs pays orientaux).
Selon l’article de William F. Shughart (2006, p. 7), « An Analytical History of Terrorism, 1945-2000 », il existerait trois catégories de terrorisme : (1) le terrorisme qui soutient la libération nationale ou la séparation ethnique, (2) le terrorisme de gauche et (3) le terrorisme islamique. Ce chercheur estime que le terrorisme prend racine exclusivement dans les pays créés « artificiellement » après les deux guerres mondiales, notamment dans les pays du Moyen-Orient et de l’Asie Centrale. Cette définition convient au contexte des conflits religieux et des attentats politiques récemment survenus dans les pays occidentaux (par exemple, le 11 septembre 2001 à New York, le 7 juillet 2005 à Londres et le 13 novembre 2015 à Paris). En réalité, il est possible de considérer que l’idée selon laquelle le terrorisme prend racine exclusivement dans les pays du Moyen-Orient et de l’Asie Centrale n’est qu’une construction issue des discours politiques et académiques américains. En effet, on peut constater que toutes les références sur lesquelles s’appuie Shughart sont en majorité des études publiées aux États-Unis. Quelques-unes ont été publiées dans des pays européens mais aucune source ne provient du Moyen-Orient ou de l’Asie Centrale. Cela indique que la diversité de ses références est pour le moins limitée. De plus, il n’a pas pris la peine de proposer des contre-arguments dans son analyse, si bien qu’on peut questionner la crédibilité de sa généralisation (voir p. 37-39). Par conséquent, le terme terrorisme, qui est fréquemment employé dans un contexte quotidien ou bien dans une recherche académique, reste problématique.
Le deuxième problème posé par le terme de terrorisme rejoint une problématisation du terme éco-terrorisme. Comme nous l’avons avancé ci-dessus, le concept de terrorisme s’applique uniquement à des contextes qui se caractérisent par une opposition entre des êtres humains. Sur le plan conceptuel, le terrorisme est donc limité à une défense de valeurs anthropocentriques. Par conséquent, il est impossible de classer l’acte radical consistant à défendre des valeurs » écocentriques » dans la rubrique du terrorisme. Et pourtant, aux États-Unis, l’éco-terrorisme est considéré comme une forme de terrorisme et, à ce titre, est sévèrement contrôlé par le FBI.
In the United States, the FBI has coined a definition of ‘eco-terrorism’, and there are federal laws (the Animal Enterprise Terrorism Act) expressly directed against any act that targets animal-related facilities, businesses and otherwise, by damaging or causing the loss of real or personal property or placing persons in reasonable fear of injury. (Berlato, 2014, voir aussi Lewis, 2014)
Aux États-Unis, le FBI a forgé une définition de l’éco-terrorisme, et il existe des lois fédérales expressément dirigées contre tout acte violent visant des installations, des entreprises ou tout autre institution qui a trait aux animaux, soit en endommageant ou en détruisant des biens personnels, soit en exposant des personnes à des risques de blessures physiques5.
Revenons au cas du Yang Ju-men. On voit clairement que Yang ne peut pas être considéré comme un « terroriste » ni comme un « éco-terroriste ». Selon les recherches de Juan Wen-chieh (Ruăn Wénjié 阮文杰) parmi les trois principes du « terrorisme », l’action de Yang s’accorde seulement avec le troisième de ces principes : Yang avait un objectif politique évident en plaçant les bombes dans des endroits publics. En revanche, Juan conclut que Yang ne peut être classé dans la catégorie d’un « terroriste » dans la mesure où il a précisément fait en sorte de ne pas blesser la population civile (voir Juan, p. 57). Or, la majorité des activités » terroristes » se produisent intentionnellement au lieu et au moment où il y a le plus de monde possible. En outre, le but du terrorisme est de créer une panique généralisée en tuant le plus de personnes possible dans un délai court. Aussi l’objectif, l’intention et la façon de procéder propres à Yang sont-ils différents de ceux d’un terroriste classique.
D’un autre côté, on constate que Yang ne peut pas non plus être qualifié d’« éco-terroriste » puisque son objectif politique était basé sur une valeur anthropocentrique, et non écologique. Effectivement, aujourd’hui, Yang est un militant très investi dans le domaine de l’agriculture écologique. Cependant, au départ, sa motivation pour recourir à des pratiques violentes était fondée sur des considérations humanistes. En posant des bombes, il essayait de sensibiliser le grand public aux valeurs et aux intérêts des agriculteurs locaux et des enfants vivant dans la pauvreté. Même en dehors du contexte du rice-bombing, Yang est connu pour son soutien aux manifestations de Dapu et de la léproserie de Lesheng (Lèshēng 樂生). Il se mobilise également pour des causes sociales et humanistes. En comparaison avec les actes « éco-terroristes » qui ont été menés aux États-Unis par ELF (Earth Liberation Front) et ALF (Animal Liberation Front), consistant à brûler plusieurs concessions automobiles, des laboratoires, ainsi que des sites de construction, les actes de Yang n’évoquent pas et ne partagent pas les valeurs de l’éco-centrisme6. Il est donc impossible de catégoriser Yang comme un « terroriste » ou comme un « éco-terroriste ». Dans une même logique, il n’est pas non plus possible de qualifier les actes de rice-bombing comme un geste relevant de l’éthique environnementale.
3. Le paradoxe de l’héroïsme dans l’éco-terrorisme
Cette deuxième partie propose de comparer les actes de Yang Ju-men tels qu’ils sont représentés dans ses écrits autobiographiques d’une part et tels qu’ils sont transposés dans l’adaptation des faits par Cho Li d’autre part. À partir de cette comparaison, on étudiera la mise en scène de l’appréciation héroïque ou au contraire d’une forme de dépréciation de l’acte « éco-terroriste ».
En examinant l’autobiographie de Yang, on observe une représentation littéraire livrée dans un style brut et direct. Les mots qu’il emploie n’essaient pas de nous offrir la description détaillée et raffinée de ses sentiments, mais présente un tableau, supposé sincère, de ses pensées et de ses réflexions. Formellement, le livre est structuré selon un ordre chronologique. Les deux premiers chapitres racontent la vie insouciante de l’auteur pendant son enfance à la campagne, ses aventures durant son voyage autour de l’île de Taïwan, ses mauvaises expériences ainsi que ses souvenirs lors de son service militaire. Tous ces récits servent à délimiter son caractère et sa personnalité. On constate ainsi que Yang est quelqu’un qui a les pieds sur terre. Il est direct, curieux, téméraire et franc, mais parfois idéologiquement très naïf. On repère en effet le caractère naïf de l’investissement idéologique de Yang dans certaines histoires de son passé. Par exemple, Yang croit fermement en l’égalité entre les hommes. Il estime que personne ne doit être maltraité ou tyrannisé par d’autres. Pour Yang, il est important de lutter contre les mauvais traitements et lutter soi-même pour ses droits : un individu ne doit jamais accepter d’être maltraité sans réagir. C’est pourquoi, lorsqu’il a été l’objet de brimades de la part de son supérieur lors de son service militaire, il a pris la décision de se confronter à lui et de le provoquer en duel. Yang lui a dit :
你朋友來的時候,並不是我要故意讓你難堪,拒絕你賭博的提議;借錢也是,你借去不還沒有關係,不過你實在欺人太甚,太過火了。我們有什麼深仇大恨,你非得處處針對我不可?⋯⋯ 現在給你時間,馬上裝子彈上膛,跑的是「俗仔」,不敢的也是『俗仔。(Yang Ju-men, 2007, p. 58)
Je n’avais pas l’intention de vous humilier quand j’ai refusé de jouer à des jeux d’argent avec vos amis. Pour l’argent que je vous ai prêté, si vous ne me le rendez pas, ce n’est pas un problème. Mais vous êtes allé trop loin et vous avez causé du tort. Quelle est cette haine que vous avez contre moi ? Pourquoi est-ce toujours après moi que vous en avez ? … Maintenant, je vous donne un peu de temps, chargez votre arme. Ne soyez pas un lâche. Ne fuyez pas.
Dans la deuxième partie de ce livre, on observe une évolution progressive dans les principes éthiques formulés par l’auteur. Les histoires racontées du chapitre 3 au chapitre 5 nous expliquent clairement sa vision du monde par rapport aux inégalités dont il a été le témoin dans la société taïwanaise. Les lecteurs peuvent attester de son ouverture envers les autres et envers son entourage. Ses principes éthiques ont été formés lors de ses rencontres avec des « personnes handicapées » qui faisaient la manche dans la rue ou avec une vieille dame qui vendait des oignons à côté de l’autoroute. Selon Yang, les personnes qu’il a croisées ne sont pas vraiment des personnes handicapées, mais des gens qui prétendaient être handicapés (p. 81). Pourtant, ces personnes lui ont fait penser à l’inégalité dans le monde, que ce soit au préjugé social sur leurs difficultés ou à leurs conditions de vie en général.
En dehors de ces anecdotes qui l’amènent à réfléchir à l’inégalité dans le monde, il y a deux personnes dans sa vie qui ont joué un rôle essentiel dans sa vision du monde et ses principes éthiques : Si-gin-a (Sĭ Jiănzĭ 死囝仔) et Chap-chhap-kha (Jiăo Huòjiăo 攪和角). Le premier est un enfant abandonné qui a vécu dans un temple déserté en compagnie de ses frères et sœurs, avec peu d’argent et de nourriture. Ayant échangé ses opinions avec Si-gin-a, Yang s’est rendu compte que dans l’ambiance paisible et insouciante de la société taïwanaise moderne, l’habitude est de fermer les yeux sur les souffrances qui ne font pas partie de la vie quotidienne individuelle. Qui plus est, cette souffrance n’est pas considérée comme relevant de la responsabilité morale et comme devant être assumée. En réfléchissant à ces échanges avec Si-gin-a, Yang s’est demandé en quoi il était interpellé moralement par sa rencontre avec cet enfant :
但我的使命,竟然是死囝仔那個王八蛋嗎?老天,你該不會是在跟我開玩笑吧![⋯]我真的不服啊!我⋯⋯放棄了囡囡,撂下了家裡,禁斷、苛求自己,拋下一切,為的是什麼?難道只「配」幫助「他」「而己」嗎? (p. 121)
Est-t-il vraiment mon destin ce petit con, Si-gin-a ? Oh Dieu, vous plaisantez ? [...] Je ne le supporte pas ! J’ai… quitté Yin-yin (l’ex-compagne de Yang) et ma famille. J’ai coupé mon lien avec la société. Je suis dur avec moi-même et j’ai tout abandonné. Tout ça pour quelle cause ? Pour « gagner » le droit de l’aider ?
Ayant ce doute, Yang s’est finalement rendu compte après la mort soudaine de Si-gin-a que cet enfant, qui vivait sans espoir et sans avenir, a été pour lui une motivation qui l’a conduit à s’engager dans des luttes sociales (voir p. 171-182 et p. 238).
La deuxième personne est une amie d’enfance. Avec Chap-chhap-kha, Yang a appris deux choses : (1) trouver le courage de se confronter à la domination économique de la classe moyenne et des nouveaux riches et (2) se mettre totalement au service des autres. Pour des raisons de confidentialité personnelle, Yang n’a pas voulu donner trop d’informations personnelles sur Chap-chhap-kha. Pourtant, selon sa description, on sait que le père de Chap-chhap-kha est un homme qui a un pouvoir et une influence économique et sociale importants (voir p. 148, p. 53-154 et p. 17). Après avoir grandi dans une famille économiquement et politiquement puissante, Chap-chhap-kha n’est pas devenue pour autant une personne qui cherche à exercer cette sorte de pouvoir. Au contraire, elle méprise la classe moyenne et les valeurs qui lui sont propres. Selon la description de Yang, Chap-chhap-kha est une fille qui aurait la puissance et la force de l’IRA (Irish Republican Army, voir p. 153). Dans l’autobiographie, Yang a évoqué une situation où elle s’est comparée aux frères et aux sœurs de Si-gin-a : Chap-chhap-kha a commencé à éprouver du ressentiment contre le statut social hérité de son père, c’est-à-dire son absence d’amis, de liberté, et de travail (voir p. 181).
La deuxième chose que Yang a apprise avec Chap-chhap-kha est à se mettre entièrement au service des autres. Lors d’une autre occasion, Chap-chhap-kha est tombée gravement malade en raison d’une dépression qui l’a empêchée de manger pendant neuf jours. Voyant son état, Yang a décidé de l’amener dans une maison au milieu de la montagne pour qu’elle puisse se reposer et récupérer des forces. Pour arriver jusqu’à cet endroit, Yang a dû porter Chap-chhap-kha sur son dos pour monter de nombreux escaliers. À propos de cette expérience, Yang écrit :
今天以前,若是叫我背著攪和角四處亂跑的話,我一定會拒絕,因為那太丟臉了。[⋯]但現在我才明白,一個比生命更重要的人,看到他不快樂的臉龐,露出一股不想存在的神情,其實很傷人,讓我心痛惜,別說背著他走一小段山路去市場買東西,永遠背著他,我都不會拒絕。(p. 158-159)
Avant ce jour-là, si quelqu’un m’avait demandé de porter Chap-chhap-kha sur mon dos et de l’amener ici ou là, je suis sûr que j’aurais refusé. J’aurais sûrement eu honte de faire ça. [...] Mais maintenant, je me suis rendu compte que ça me fait de la peine de voir que quelqu’un qui a autant d’importance dans ma vie reste malheureux, et que cette personne n’a pas du tout envie de vivre ni d’exister. Cela me fait mal au cœur. Je l’ai porté sur mon dos pour aller chercher des choses au marché, et ce n’est rien du tout pour moi. Si on me demandait de la porter pour toujours, je ne refuserai pas.
Pendant leur séjour à la montagne, Yang était entièrement au service de Chap-chhap-kha et il a découvert que se mettre ainsi à la disposition d’autrui lui donne plus de courage et de motivation pour faire le bien autour de lui.
C’est dans les deux derniers chapitres du livre que se trouvent des développements sur la pensée politique de Yang ainsi que sur l’éthique environnementale. Peu à peu, on observe l’évolution de ses principes éthiques, notamment vers une dimension écologique. Comme il est dit dans son « autobiographie », à partir de 2006, Yang a été transféré à la prison extérieure de Ziqiang (Zìqiáng wàiyì自強外役). Pendant un an, il a eu l’occasion de cultiver des fruits et des légumes de saison dans le jardin de la prison. Cette expérience concrète acquise dans cette prison lui a permis d’avoir une autre perspective sur les questions éthiques et politiques. En sortant de prison grâce à l’amnistie, Yang a commencé à s’intéresser davantage à l’éthique de l’environnement et moins à la défense des agriculteurs. Dans un chapitre précédent de l’ouvrage, Yang s’était exprimé sur le fait que la difficulté économique que ses grands-parents ont vécue — en vendant des choux et des brocolis au prix de moins de cinq cent dollars taïwanais (équivalent de 12,5 euros à l’époque) — l’avait rendu triste (voir p. 230-231). Il éprouve de la peine à voir ses grands-parents mener une vie rendue encore plus difficile par les nouvelles réglementations imposées par l’OMC. Mais, après son expérience en prison, il se préoccupe davantage des conditions environnementales de la culture des produits agricoles. Il écrit :
今天去拉蕃薯藤,草長得比地瓜好,每三、四株就有一個窟窿,顯出被老鼠啃了一半或全部的地瓜殘骸。在想,有機無毒的栽種,是取決於品質、樣貌、大小、健康的訴求,或是與土地的一種和平共存?(p. 245)
Aujourd’hui, je suis allé dans le champ de patates douces. Les mauvaises herbes poussent mieux que les patates douces. En plus, tous les trois ou quatre plants, il y a un trou creusé par les rats. Il ne reste que des patates douces à moitié mangées par les rongeurs. Je me demande quels sont les critères de l’agriculture dite bio et non touchée par les pesticides ? Est-ce la qualité, la forme et la taille de produits ? Ou bien, s’agit-il de critères de santé ? Ou bien encore de critères qui prennent en compte notre façon de cohabiter en paix avec la terre ?
Penchons-nous à présent sur l’analyse du film de Cho-li, The Rice Bomber. Le film a été réalisé avec l’intention de mobiliser et d’éveiller les consciences sur les problèmes sociaux et environnementaux. L’adaptation est globalement fidèle au livre : la chronologie est la même, certains dialogues sont directement puisés dans le texte de l’autobiographie. Néanmoins, la critique que l’on pourrait formuler est que la réalisatrice attribue une dimension héroïque au personnage principal afin de rendre l’histoire plus séduisante auprès des spectateurs. De manière générale, cette façon hollywoodienne de construire un héros unidimensionnel — c’est-à-dire un héros qui défend une cause ou une idée en réalisant un acte héroïque car il a déjà en lui cette qualité héroïque intrinsèque — plaît au grand public. Souvent, dans les films taïwanais, notamment les films qui traitent de sujets comme les mouvements sociaux, les conflits ethniques, les conflits de gangsters, ou les minorités politiques dans la société, les protagonistes sont confinés dans une image héroïque pour des raisons de marketing. C’est le cas par exemple dans Cape Nr. 7 (Haijiao chihhao / Hăijiăo 7 hào 海角7號), Seediq Bale (Sàidékè bālái 賽德克・巴萊), Monga (Bang-kah / Mĕngjiă 艋岬) et GF*BF (Nüpéngyou nánpéngyou 女朋友・男朋友). Certes, il n’y a pas qu’à Taïwan que la production cinématographique met l’accent sur les personnages héroïques pour que le film devienne le blockbuster de la saison, cependant, on peut dire que ce phénomène a progressé particulièrement à Taïwan après le grand succès de Tigre et Dragon (Wòhŭ cánglóng 臥虎藏龍) de Ang Lee (Lĭ Ān 李安) — un film de 2000 qui met en scène les figures héroïques de la tradition des arts martiaux. Selon Chang Hsiao-hung (Zhāng Xiăohóng 張小虹), en tant que film américano-taïwanais réalisé dans la tradition hollywoodienne mais évoquant une spécificité chinoise (« chineseness ») en termes de références culturelles, Tigre et Dragon a été un succès commercial mondial (voir Chang, 2007, p. 95). Après ce succès, les réalisateurs taïwanais ont eu tendance à mettre en scène ce type de héros. Toutefois, la référence à Tigre et Dragon me semble injustifiée dans le cas du rice-bomber : le film de Ang Lee est un beau film dans le genre wŭxiá (武俠), mais il n’a aucune prétention politique comme le film de Cho Li
Or, dans son « autobiographie », Yang affirme qu’il ne croit pas au héros, et insiste sur le fait qu’il ne se considère pas comme un héros après tous les efforts qu’il a entrepris pour s’opposer à la participation de Taïwan à l’OMC : « Je l’ai déjà dit, dans mon esprit, il n’existe pas de concept de héros. » (「我說過,在我眼中,沒有英雄這回事 。」) (Yang Ju-men, 2007, p. 229). Étrangement, Yang ayant été désigné comme un poseur de bombe et condamné pour avoir enfreint la loi, la réalisatrice juge nécessaire de justifier son action en lui associant une image » positive », celle d’une « saine » moralité. Yang, ainsi que son entourage, font donc l’objet d’une héroïsation dans le film The Rice Bomber.
Le film commence par citer la question que Yang se pose tout au début de son livre : « Où est le Jiānghú ? » (「江湖在那裡?」). Le mot Jiānghú, littéralement « rivières et lacs », vient des romans de redresseurs de torts7 (wŭxiá xiăoshuō 武俠小說), et désigne un code moral fondé sur la fraternité et les valeurs chevaleresques. Les qualités proprement martiales ne suffisent pas pour faire un véritable redresseur de torts, il faut également détenir la sagesse et le respect propres au Jiānghú. Cett notion de Jiānghú est essentielle pour Yang : il se représente finalement comme un héros « anti-système », qui défend des minorités : les agriculteurs, les mendiants, les enfants, les sans domicile fixe, etc., contre une majorité oppressante. Cependant, Yang semble bien comprendre que cette imagination héroïque ne reste qu’un rêve de son enfance. Dans le livre, il se moque de lui-même en plaisantant sur sa naïveté (voir p. 19, 22 ou 229). Le film, en revanche, s’appuie sur l’imaginaire du Jiānghú pour construire les personnages de Yang et de son amie, Chap-chhap-kha. On peut citer quelques exemples.
Yang évoque son admiration pour le personnage de Zatoichi (Zatōichi 座頭市), un héros aveugle japonais qui se bat contre des adversaires avec un sabre. Le film ajoute d’ailleurs une scène où Yang s’amuse à combattre au sabre avec son amie Chap-chhap-kha.
Dans son « autobiographie », Yang décrit Chap-chhap-kha comme une fille rebelle ; elle est horrifiée par la richesse et le statut social de son père ; mais il ne dit jamais que Chap-chhap-kha est une révolutionnaire. Or, Cho Li, la réalisatrice du film, décide de renforcer l’image de la fille rebelle par une dimension révolutionnaire associée à la jeune femme : elle explique elle-même qu’elle a délibérément inventé un personnage qui ressemblait à un membre de l’Armée Républicaine Irlandaise pour former le caractère de Chap-chhap-kha (voir Cho, 2014b). Non seulement son personnage porte tout le temps une chemise militaire dans le film, mais qui plus est, sa chambre a été décorée de fusils, le symbole de la paix et un portrait de Che Guevara. Cette association entre le caractère rebelle et l’héroïsme révolutionnaire est omniprésente dans le film.
La mort de Si-gin-a et le suicide raté de Chap-chhap-kha ont effectivement eu un impact sur Yang. Mais ses réflexions sur l’inégalité dans la société viennent surtout des échanges et des discussions qu’il a eus avec ses deux amis. Or, le film insiste sur les gestes « héroïques » qu’il a pu accomplir, plutôt que sur les échanges verbaux entre personnages : ainsi, par exemple, il se jette à l’eau pour sauver son amie Chap-chhap-kha, qui était en train de se suicider.
Enfin, il est bien indiqué dans l’« autobiographie » de Yang que Chap-chhap-kha méprise la classe moyenne et les valeurs qui lui sont associées. C’est pourquoi le film tente à plusieurs reprises de mettre l’accent sur la défense de l’injustice sociale, mais sans atteindre une véritable portée politique. Par exemple, Cho Li insère des scènes où Chap-chhap-kha s’oppose de façon violente à son père. Or, le film ne fait que restituer le caractère insoumis de Chap-chhap-kah sans évoquer les pensées qui sont à l’origine de cette opposition. Comme l’affirme la journaliste Hu Muh-chyng (Hú Mùqíng 胡慕情) dans sa critique du film The Rice Bomber, le personnage de Chap-chhap-kha est en définitive un personnage de bobo (voir Hu, 2014). Hu nous montre aussi que le conflit violent qui oppose le père et la fille relève de la tragédie familiale, et ne traduit pas une confrontation idéologique entre classes sociales. Selon nous, en effet, le film de Cho li ne parvient pas à restituer l’éthique environnementale de Yang Ju-men, qui constitue pourtant une partie essentielle de sa vision du monde. En définitive, à regarder le film, on assite au parcours d’un héros formidable par ses actes radicaux, mais on a peu de détails concernant ses engagements contre l’injustice sociale ou concernant les causes de son jeûne politique contre la participation de Taïwan à l’OMC.
4. Conclusion
Nous voudrions, pour conclure, poser deux questions. D’un point de vue sociologique et philosophique, est-ce qu’un acte radical peut permettre de mener une réflexion positive sur notre environnement ? Mais, d’un point de vue littéraire, n’est-ce pas plutôt l’héroïsation opérée par le film par rapport à l’« autobiographie » qui est à même de provoquer des changements positifs dans la société taïwanaise ?
Concernant la première question, il faut distinguer deux formes de réaction face à l’acte de rice-bombing : celle du gouvernement et celle de la société. En effet, pour le gouvernement, l’image politique de Yang est aujourd’hui capitale. Yang est bien devenu une figure influente politiquement, relayant les revendications des syndicats et l’indignation du peuple (particulièrement celle des agriculteurs). Lors du débat public de l’élection présidentielle de 2012 à Taïwan, Yang a été invité à poser des questions de la part de la société civile aux trois candidats à la présidence. Récemment, il a été désigné au poste de directeur de la Taipei Agricultural Products Marketing Co. Malheureusement, c’est souvent son image et sa présence devant la télévision qui comptent pour le gouvernement, davantage que les causes qu’il défend. Yang exprime souvent ses regrets face au fait que les gens donnent plus d’importance à son image qu’aux mouvements qu’il défend8. À une des questions que Yang a posée aux trois candidats à la présidence — « Si vous étiez élus, envisageriez-vous de changer le parking devant l’hôtel de ville de Taipei en un espace vert où l’on pourrait cultiver des légumes locaux issus de l’agriculture biologique pour les écoliers ? » —, une candidate a choisi de ne pas répondre à cette question, tandis que les deux autres ont donné une réponse floue et seulement spéculative. Ces réactions indiquent que le monde politique d’aujourd’hui ne prend pas encore très au sérieux les enjeux écologiques.
Quant au grand public, il est divisé à propos de la légitimité de son action violente. Pour la plupart des gens, Yang reste associé au rice-bomber (voir Cho, 2014b). Mais pour ceux qui se consacrent aux mouvements socio-politiques et au syndicat agricole, Yang leur donne beaucoup d’inspiration et de motivation pour poursuivre leur combat (voir Lin, 2013). Étant donné la tendance générale qui va vers une prise de conscience de l’importance de la qualité de la nourriture consommée quotidiennement, la société taïwanaise commence à reconnaître l’importance des questions environnementales. De plus en plus, elle manifeste la volonté de comprendre ce que Yang essaie de faire depuis sa sortie de prison. Les Taïwanais sont de plus en plus conscients non seulement de l’importance de la consommation et de la production d’aliments locaux issus de l’agriculture biologique, mais aussi de l’importance de transformer les espaces urbains en espaces verts (comme les toits des maisons, par exemple). Dans les faits, l’histoire de Yang nous montre qu’il est possible de mener une réflexion positive sur notre environnement en s’appuyant sur des actes radicaux, à la condition que ces actes ne soient pas faits de telle manière qu’ils puissent blesser des êtres vivants et que l’idéologie qui les sous-tend soit bien intentionnée. Un combat idéologique peut prendre la forme d’une révolution ou d’un acte violent. Toutefois, le réel changement ne se produit que s’il existe une continuité et une cohérence pertinentes au niveau des actions.
Concernant la seconde question, portant sur la portée de l’acte artistique (littéraire et cinématographique), nous dirions que l’héroïsation opéré par le film de Cho Li par rapport à l’« autobiographie » de Yang a sans doute produit une influence positive dans la sphère publique. Malgré le fait que Yang n’ait jamais eu l’intention de passer pour un héros au regard des autres, il est indéniable que l’image héroïque à laquelle il a donné lieu a changé l’avis du grand public, forçant en quelque sorte la société taïwanaise à reconsidérer l’événement de rice-bombing. C’est en effet avant tout grâce à la sortie du film The Rice Bomber que les enjeux politiques concernant l’agriculture et la gestion des sols à Taïwan ont été repris par le discours politique. Pour citer à nouveau Hu Muh-chyng, le film, considéré comme un média relevant du monde de l’art et du spectacle, est également un moyen de communiquer et de diriger l’attention des citoyens sur des enjeux socio-politiques (voir Hu, 2014). Selon Hu, le film de Cho Li nous permet de prendre en considération les conséquences négatives de l’entrée de Taïwan dans l’OMC, notamment en ce qui concerne la cession des terrains agricoles et la revente des terrains au profit de l’État. Certes, le personnage du film est une construction, si bien que le grand public ne voit plus Yang comme un jeune antisocial dangereux (voir Juan, 2006, p. 99). Mais aujourd’hui, grâce à la construction de cette image héroïque, il est devenu une figure importante dans les mouvements sociaux révolutionnaires à Taïwan et son avis est largement valorisé par les intellectuels taïwanais. Récemment, il a même été invité à contribuer à un article dans une revue mensuelle littéraire en commentant le Mouvement « Tournesol des étudiants »9 (Tàiyánghuā xuéyùn 太陽花學運), qui a eu lieu au printemps 2014 (voir Yang, 2014). En conclusion, on peut dire que cette image héroïque, construite à partir du film et de l’autobiographie, n’est pas une condition nécessaire pour réaliser des objectifs de nature socio-politique, mais elle a pu conférer aux actes radicaux de Yang un aspect positif, et, en définitive, permettre de mener une réflexion et de faire évoluer la société taïwanaise.