Le roman italien postmoderne. Spécificités et évolutions

DOI : 10.56078/atlantide.1537

Résumés

Le roman historique italien contemporain connaît depuis quelques années une transformation notable. S’il est certain qu’il s’adapte à présent aux critères littéraires du postmodernisme, l’évolution actuelle de l’histoire et son rapprochement toujours plus m- portant avec le domaine de la littérature, les aller-et-venues constantes entre ces deux disciplines déterminent à présent une spécificité particulière de ce genre.

The contemporary historical novel has undergone considerable change these past few years. While there is no doubt it now fits more closely the criteria of postmodernism, the current evolution of history together with the blurring of the line between history and fiction and the growing interconnections between the two genres have given it a distinct twist, accounting for its current specificities.

Plan

Texte intégral

Le roman historique1 (c’est-à-dire pour le définir très brièvement un texte fictionnel re- posant sur la liaison organique entre des événements historiques, la description d’une société et les aventures plus ou moins imaginaires d’un héros ou d’un groupe de per- sonnages), ne cesse de se développer, tant en France qu’en Italie, connaissant des tirages de plus en plus importants et touchant un public de plus en plus large.

Mais ce genre littéraire, s’il multiplie les références, agrandit également toujours plus son champ d’activités et s’intéresse à une palette également toujours plus étendue d’époques, de lieux et de personnages ainsi que de modes d’écriture : autobiographies romancées, mémoires imaginaires, policiers historiques, biographies subjectives, sagas ... Le genre semble donc à la fois florissant et multiple. En Italie, ce type de roman qui connaît à présent une grande évolution semble particulièrement lié à la postmodernité littéraire telle qu’elle apparaît à la fin du vingtième siècle et s’est développée depuis. Il nous faut donc commencer par étudier le rapport que le roman historique italien entretient avec la postmodernité et quels sont les critères qu’il met en œuvre pour s’adapter à cette dernière.

1.  Postmodernisme et roman historique

La notion même de postmodernisme demande tout d’abord un effort de définition et de périodisation. Le mot apparaît dès 1947, sous la plume du britannique Arnold Toynbee, et fait référence à une mutation alors en train de se produire dans les cultures occidentales. Dans le domaine littéraire, il va d’abord caractériser la littérature américaine de l’après- guerre puis s’imposer dans le champ de la critique dans les années 60. Il définit alors un mode d’écriture qui refuse tant le roman sociologique que les expérimentations formalistes. En Europe, les premières manifestations de l’écriture postmoderne s’observent dans la décennie 1960-1970 mais leurs effets ne seront véritablement visibles dans la production romanesque qu’autour de 1980. En France, c’est Jean-François Lyotard qui impose le mot à la fin des années 1970 avec son livre La condition postmoderne. Rapport sur le savoir dans les sociétés les plus développées2 dans lequel il présente une théorie du postmodernisme. En Italie, Remo Ceserani3 voit lui aussi dans les années 60-70 le début de la postmodernité. La fin de la période, elle, ne fait pas consensus. Certains critiques estiment qu’elle n’est toujours pas advenue, alors que d’autres, comme Romano Luperini4 ou le collectif Wu Ming5, pensent que les attentats du 11 septembre constituent la date de sortie de cette période.

Si ses bornes temporelles ne sont pas encore sûrement fixées, ce qui est certain, c’est que le postmodernisme ne constitue ne constitue ni un genre ni une école. En tant qu’esthétique il se manifeste dans les domaines les plus divers de la représentation, de l’architecture, aux arts plastiques, au cinéma, à la musique et, bien sûr, à la littérature dans laquelle un certain nombre de genres littéraires (comme le roman historique) se sont emparés de thématiques et de modes d’écriture spécifiques à ce courant.

2.  Adaptation du roman historique au postmodernisme

Le fait que le roman historique à présent si florissant semble ainsi s’épanouir dans la postmodernité peut pourtant paraître au premier abord constituer un véritable paradoxe. La pensée postmoderne6 se fonde en effet sur une réalité discontinue, fragmentée, archipélagique où la seule temporalité est celle de l’instant présent ; elle implique souvent également une écriture de l’interruption rejetant toute continuité narrative ainsi qu’un rapport parti- culier au temps qui récuse toute différence entre les catégories temporelles et qui remet en question l’idée d’une histoire avançant dans une direction déterminée, vers un progrès toujours en devenir.

Le roman historique, dont la relation à l’histoire et au passé constitue une des caractéristiques principales, se fonde, lui, sur le postulat d’une continuité verticale (ne serait-ce qu’interprétative) entre le passé et le présent qui s’oppose ainsi à une vision postmoderne rhizomique et horizontale. Les spécificités traditionnelles du roman historique peuvent ainsi sembler difficilement conciliables avec le postmodernisme qui implique souvent une écriture du discontinu rejetant toute continuité narrative ainsi qu’un rapport particulier au temps qui récuse toute différence entre les catégories temporelles et qui réfute alors l’idée même d’histoire. Les textes romanesques postmodernes se construiraient donc désormais sur une sorte d’aplatissement historique ou, si l’on préfère, sur une dilatation extrême d’un présent désormais pensé et représenté comme une catégorie unique de la temporalité. L’histoire au- rait alors perdu à travers eux toute épaisseur et, surtout, toute direction.

Mais en contestant ainsi le sens moderne de l’histoire, les écrivains postmodernes refusent la catégorie du nouveau et celle d’un progrès se développant dans une seule direction. Ils choisissent alors de revisiter et de revivifier les formes du passé. C’est cette thématique qui affleure, par exemple, dans les œuvres d’Umberto Eco7. Par ce biais, l’histoire est donc bien réintégrée dans l’écriture postmoderne, même si c’est avec de nouvelles modalités et caractéristiques.

Mais la pensée postmoderne ne contient pas qu’une relation particulière au temps et à la chronologie. Elle se présente avant tout comme un imaginaire qui se manifeste dans les domaines les plus variés de la représentation artistique et qui renferme un ensemble de propriétés bien précises. C’est ainsi qu’en matière littéraire, une relative unanimité se fait autour d’éléments qui reviennent de manière récurrente dans le texte postmoderne et qui, ainsi que l’indique Marc Gontard88 sont repérables autour du concept d’altérité et d’hétérogénéité : l’intertextualité, le métissage des codes et des genres, la déréalisation. A cela s’ajoute aussi l’autoréflexivité, l’ironie et la parodie, la destruction de l’illusion mimétique, une pratique habituelle de la déconstruction ainsi que la destruction des grandes utopies émancipatrices, le retour de l’éthique, l’hybridation de la culture savante et de la culture de masse.

Mais dans l’écriture postmoderne, on observe également le retour de la référentialité et du sujet de l’énonciation (sous une forme de fragment et avec l’apparition d’une subjectivité exacerbée) ainsi que le refus d’une différenciation entre sujet et objet. Le discours narratif est réhabilité, tout comme sont souvent réactualisés les genres anciens et est recherchée la participation, au moins émotionnelle, du lecteur au sens de l’œuvre.

Toutes ces pratiques et ces modalités particulières du texte postmoderne peuvent dès lors trouver un écho certain dans le roman historique envisagé sous un jour nouveau et vont se traduire dans ce genre littéraire par une écriture mêlant les genres, dissociant les points de vue, s’intéressant à des situations ou des personnages jusqu’ici considérés comme mineurs ou périphériques, privilégiant également souvent la subjectivité, l’émotion et la mémoire et définissant ainsi un nouveau rapport à l’histoire.

Ce nouveau rapport se traduira d’ailleurs immédiatement dans la renarrativisation qui s’observe dans l’écriture postmoderne : après les recherches formelles et déstructurantes du Nouveau Roman, le besoin d’une nouvelle lisibilité du texte se caractérise par une volonté de linéarité et de retour au modèle de l’histoire comme parangon de la narrativité.

C’est que le roman historique (en Italie comme en France) va, à travers son lien avec le postmodernisme, éprouver le besoin de se redéfinir et de recentrer son écriture sur de nouvelles pratiques scripturales qui vont affecter tant la nature des thèmes qu’il aborde que le type même de genre littéraire auquel il appartient.

3.  Le roman historique italien postmoderne : vers une redéfinition du genre littéraire classique ?

Remarquons tout d’abord que la notion même d’appartenance du roman historique à un genre littéraire précis, codifié et aux limites fixées de manière intangible ne va pas de soi. C’est Claudie Bernard9 qui note qu’il s’agit d’un genre sans règles fixes ni archétypes in- contestés qui s’ouvre à toutes sortes de spécifications complémentaires et divergentes. C’est cette caractéristique qui a permis à Jean Molino10 de définir le roman historique comme un « macrogenre » englobant de très nombreux genres littéraires différents.

Toutes ces diverses caractéristiques déterminent au cours des années un positionnement différent de la notion de genre qui évolue alors, s’éloignant des canons qui pouvaient être observables lors de la naissance du roman historique, au début du dix-neuvième siècle. C’est ainsi qu’en Italie, par exemple, avec la fin de l’époque romantique et risorgimentale, ce type de roman a intégré de nouveaux critères, principalement parodiques et polémiques. Déjà en 1958, une œuvre comme Il Gattopardo de Giuseppe Tomasi di Lampedusa présente une nette hybridation de genres littéraires11. Doit-on le caractériser comme politique, historique, psychologique, autobiographique… ? Comme un roman d’aventure ou même de formation (pour les personnages de Tancredi et d’Angelica) ? Mais ce roman intégre également déjà une vision très critique et polémique du Risorgimento en Sicile.

A la fin du vingtième siècle, le roman historique italien postmoderne évolue vers un re- cours très important à l’ironie et à l’autoréférentialité (cf Le Nom de la rose) ainsi qu’au mélange de registres savants et populaires. Finalement, pour Margherita Ganeri12, le roman historique italien, plus qu’un genre, apparaît plutôt comme un mode d’écriture caractérisé par l’utilisation de documents et de témoignages.

A partir de la fin des années 1980, le roman historique italien explore également une autre direction qui est celle du métissage des genres. Il Nome della rosa d’Umberto Eco13 est particulièrement exemplaire de ce type de texte historique qui mêle avec brio une pluralité de genres (policier, philosophique…) et de modes d’écriture, quand ce n’est pas de langues (italien, latin...). Margherita Ganeri remarque également que ce roman historique transalpin des années 1980 connaît une autre caractéristique qui en fait toute la spécificité : il intègre un retour tout à fait remarquable aux critères dix-neuviémistes du genre, tout en subvertissant en vérité ces derniers par un recours à la nostalgie (aussi bien celle des auteurs que du public envers le modèle narratif qui s’est épanoui en Italie à la fin du dix-neuvième siècle) ainsi que par une tendance qu’elle qualifie d’« affabulation pédagogique et parfois moralisatrice14 ».

Une volonté didactique et soucieuse d’exemplarité semble en effet se faire jour dans des œuvres comme La Storia d’Elsa Morante1515 qui apparaît comme le roman historique le plus représentatif de ce nouveau filon historico-litttéraire lié tant au roman sicilien qu’à une volonté désormais affirmée de laisser la parole à des personnages ou groupes sociaux jusqu’ici discriminés comme les femmes, les enfants ou les couches populaires. Dans le roman d’Elsa Morante, les deux personnages principaux que sont Ida et son fils Useppe constituent les représentants emblématiques de cette tendance. Mais La lunga vita di Marianna Ucria de Dacia Maraini (1990), Retablo deVincenzo Consolo (1987) ainsi que Notte tempo casa per casa du même auteur (1992) appartiennent également à ce type de narration historique.

En Italie (comme d’ailleurs en France), c’est la relation du genre à l’histoire qui a connu une transformation assez radicale et qui crée ainsi une spécificité particulière : le roman historique ayant désormais souvent tendance à remplacer l’histoire (envisagée d’un strict point de vue scientifique) par la mémoire, cela afin de mettre désormais plus en valeur les aspects émotionnels et individuels. La dernière partie du vingtième siècle voit en effet s’opérer un renversement significatif dans le traitement des grands événements de l’histoire par la fiction. Ceux-ci (et les grands personnages qui les accompagnent) sont désormais souvent mis à l’écart, ravalés parfois au rang de simples anecdotes alors que se trouvent placés au premier plan des histoires individuelles et privées, souvent familiales ou intéressant un nombre restreint d’individus.

On peut être alors amené à noter que cette remarquable plasticité du genre constitue sans doute un élément non négligeable de rapprochement avec le postmodernisme qui, lui aussi, possède un côté éminemment ductile et connaît de nombreuse et multiples évolutions. Dans la redéfinition des normes et des modes d’écriture à laquelle se livre le roman historique italien postmoderne, on peut donc distinguer une évolution et même une remise en question parfois drastique de tous les éléments qui font l’identité habituelle de ce type de texte. Evoquant le cas italien, Margherita Ganeri peut alors se demander s’il est encore licite de parler de roman historique ou s’il ne faudrait pas plutôt utiliser à présent le terme de « romans à tendance historique16 ».

Ce problème du genre littéraire (sa définition, ses caractéristiques, son évolution) transcende bien évidement les frontières nationales, même si, on l’a vu, des spécificités apparais- sent d’un pays à un autre. Pieter De Meijer observe ainsi que :

Quand il se pose un problème de type « générique », on se trouve d’une part en face d’un problème qui dépasse le milieu national (…) et d’autre part, on est alors contraint de se rendre compte combien les solutions du problème, que ce soit du côté de la production ou de celui de la réception ou de la critique, font partie de situations de communication qui diffèrent d’un pays à un autre17.

Quoi qu’il en soit, depuis Les genres du discours de Todorov, il est d’usage d’aborder le problème plus sous un angle empirico-historique que logico-normatif. Désormais, (et également à la suite des travaux de Hans Robert Jauss ou, en Italie, de Cesare Segre), la notion de genre doit être mise en relation avec une approche historique et sociologique qui envisage ce concept comme un modèle rhétorique à relier aux compétences linguistiques et culturelles de ses producteurs comme de ses destinataires.

Il est dès lors évident que la notion de genre devient éminemment plastique et évolue dans le temps. Le roman historique, quelle que soit sa nationalité, est tributaire des évolutions chronologiques et culturelles du milieu dans lequel il apparaît. Le succès exceptionnel du Nome della rosa ou de Fortune de France, (Robert Merle de 1977 à 2003, 5 millions d’exemplaires vendus !) est le signe qu’à la fin du vingtième siècle et au début du vingt-et-unième, aussi bien en France qu’en Italie, le marché éditorial comme les attentes du lectorat changent. Un public toujours plus large et non spécialisé arrive alors sur le marché et demande des œuvres différentes, avec pour conséquences un élargissement de l’offre littéraire mais également une hétérogénéité du répertoire qui peut désormais difficilement être ramené à une typologie unitaire. Mais du coup la notion de genre littéraire (son évolution, ses limites…) devient de plus en plus cruciale dans la question du modèle (national ou non) du roman historique.

Une autre question centrale dans ce domaine se pose également alors, entraînant des répercussions possibles sur la définition ou non d’un type particulier de roman historique : c’est le rapport que ce dernier entretient à l’historiographie.

4.  Le roman historique et l’historiographie : des écritures de plus en plus convergentes

Les liens entre la littérature et l’histoire, le rapport qui existe entre elles fait de ressemblance et de différence a déjà été mis en lumière par Aristote, au chapitre 9 de La Poétique18. Chez le philosophe grec, c’est la philosophie qui constitue la connaissance la plus élevée et la plus parfaite ; la poésie, représentant la réalité suivant des critères de vraisemblance et de nécessité et tendant à l’universalité se montre pour cette raison plus proche d’elle que l’historiographie qui s’intéresse plutôt au particulier. Mais avec l’époque moderne, la philosophie a perdu la position suprême qui était la sienne dans l’antiquité grecque et l’histoire s’est dé- gagée de la fonction qu’elle avait alors et qui la cantonnait à un rôle de collectrice d’anecdotes ou de simple chroniqueuse.

En s’affirmant comme matière scientifique, au dix-neuvième siècle, l’histoire va alors in- verser la position de subordination qui avait été la sienne par rapport à la littérature, et va désormais parfois regarder de haut cette dernière. Le statut du roman historique sera lié au rapport de force qui s’instaure alors entre les deux matières. Mais quels que soient les liens de subordination qui existent entre elles, les relations croisées qui s’instaurent entre le roman historique et l’histoire demeureront toujours tout à fait fondamentales. D’une part parce que l’histoire constitue le sujet même de ce type de roman, mais également parce que cette dernière étant une construction narrative et humaine, elle a finalement beaucoup à voir avec la fiction.

On peut rappeler à cet égard la définition éclairante que donne Claudie Bernard du roman historique et des liens de celui-ci avec l’historiographie :

Je définirai donc le roman historique comme un roman, soit une histoire fictive (anglais story), qui traite d’Histoire effective (anglais History), c’est-à-dire qui représente une tranche d’Histoire, de passé, en transitant inévitablement par l’Histoire ou historiographie, et ce, en vue d’un public qui partage son Histoire contemporaine… Dans son essence, le roman historique se caractérise par une tension entre la vocation fictionnelle inscrite dans le substantif roman –et bien sensible dans le glissement de l’adjectif romanesque vers l’illusoire, le chimérique- et l’attraction vers une Histoire à majuscule happée depuis deux siècles par le prestige de la science (humaine), et seule bénéficiaire des dérivés historique et historien.19

Si ces rapports semblent à présent entrés dans une phase différente (ainsi qu’on le verra par la suite), ils ont cependant fait l’objet d’examens approfondis, tant en Italie qu’en France, tout au long du vingtième siècle. Les réflexions qui s’en emparent se fondent sur une hiérarchisation entre histoire et roman historique qui trouverait sa justification dans le caractère avant tout scientifique de l’histoire, une affirmation développée avec toujours plus de force au dix-neuvième siècle et dans la première moitié du vingtième. Cette volonté de mettre en avant de manière toujours plus importante le côté scientifique de l’histoire a alors pour corollaire une certaine dévalorisation de la nature littéraire du roman historique, et c’est le lien entre les deux disciplines, abordé sous cet éclairage, qui va constituer le principal sujet de discussion avant l’apparition et le développement du postmodernisme. A cet égard les réflexions d’historiens et de philosophes comme Marc Bloch ou Benedetto Croce, bien que quelque peu divergentes, sont très éclairantes

Tout en commençant par affirmer le caractère scientifique de l’histoire, Marc Bloch, indique ensuite dans son ouvrage Comment et pourquoi travaille un historien que « l’Histoire romancée est toujours anachronique20 ». Ce type d’histoire qui intègre les schémas littéraires a en effet pour lui le tort de se référer au passé avec des jugements venus du présent. Bloch indique ici sans ambiguïté les enjeux souvent idéologiques de la représentation historique qui sont particulièrement apparents, selon lui, quand les deux domaines se rapprochent.

Les liaisons entre histoire et littérature sont donc dangereuses et mènent à l’affaiblissement du caractère scientifique de l’histoire qui triomphe dans la première moitié du XXème siècle. Cependant, dans Apologie pour l’Histoire ou métier d’historien, écrit en 1942, Marc Bloch étudie plus à fond les liens qui existent précisément entre le roman historique et l’histoire et atténue le jugement sévère porté auparavant : « Les lecteurs d’Alexandre Dumas ne sont peut-être que des « historiens en puissance, auxquels manque seulement d’avoir été dressés à se donner un plaisir pur et, à mon gré, plus aigu : celui de la couleur vraie21. » En rapprochant ainsi le roman historique et l’histoire, Marc Bloch affirme la légitimité de l’un par rapport à l’autre ; mais c’est au prix d’une réduction du premier à la seconde : les amateurs de roman historique ne constituent pas de véritables historiens et leur goût indique en fait l’indice d’un manque, celui de la véracité. C’est l’absence de ce critère du vrai qui dévalorise le roman historique aux yeux de Bloch, suspect selon lui de laisser une part trop belle à l’imagination et à l’interprétation.

Mais paradoxalement, pour lui, l’imagination constitue également une des caractéristiques de l’histoire ainsi qu’une des raisons de son succès auprès du public comme du professionnel qui la pratique :

L’Histoire, pourtant, on n’en saurait douter, a ses jouissances esthétiques propres, qui ne ressemblent à celles d’aucune autre discipline. C’est que le spectacle des activités humaines, qui forme son objet particulier, est, plus que tout autre, fait pour séduire l’imagination des hommes. Surtout lorsque, grâce à leur éloignement dans le temps ou l’espace, leur déploie- ment se pare des subtiles séductions de l’étrange… Gardons- nous de retirer à notre science sa part de poésie. Gardons-nous, surtout, comme j’en ai surpris le sentiment chez certains, d’en rougir.22

« Etrange », « imagination », « poésie » : toutes ces caractéristiques de l’histoire pour Marc Bloch la rapprochent étroitement et légitimement de la littérature et, bien entendu, du genre littéraire où elle s’exprime le mieux : le roman historique. Pour Bloch, il n’y a donc pas de césure entre les deux domaines : l’historien et le romancier pratiquent deux types d’activités qui ne s’opposent pas mais au contraire se recoupent souvent. C’est que leur matière commune est l’humain et, ainsi que l’écrit plus loin Bloch : « Le bon historien, lui, ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier23 ». L’historien est ainsi réintégré dans la littérature et devient lui-même un personnage littéraire (« l’ogre de la légende »). Histoire et littérature sont définitivement et consubstantiellement liées, même si ce lien peut parfois s’avérer problématique et périlleux.

Pour Benedetto Croce, philosophe libéral qui publie en 1938 en Italie La Storia come pensiero e come azione, l’histoire et la littérature constituent deux domaines particulièrement riches et importants de la connaissance humaine et de l’esprit : « La poésie et l’historiographie sont donc les deux ailes du même organe qui respire, les deux moments liés entre eux de l’esprit qui connaît24 ». Liées entre elles de manière organique et non hiérarchique, la littérature et l’histoire constituent un organisme vivant, une conscience agissante. Mais cela n’empêche pas Croce d’affirmer que toutes deux doivent être par la suite radicalement séparées afin d’éviter les « dérapages » et les déviations auxquels donne lieu à son époque l’historiographie nationaliste.

Commencent alors les stériles tentatives de convictions pour conférer une unité logique à ce qui ne peut en avoir et aux subtilités qui ne sont pas uniquement et sévèrement historiques mais pour le moins poétiques succèdent les rhéteurs et les sophistes qui imaginent et théorisent le concept de France, d’Allemagne, d’Espagne, d’Angleterre, de Russie, de Suisse et de Belgique : des faits particuliers et éphémères qui, s’ils sont tels, ne constituent pas, ainsi qu’il est clair, des concepts à définir mais une matière historique à discerner et à interpréter suivant d’éternelles catégories conceptuelles25

Pour Croce, le caractère littéraire que prend l’historiographie de son époque confère à cette dernière un élément illogique et non scientifique, purement idéologique, qui transparaît et se répercute dans sa forme même. Il s’ensuit que cet élément littéraire apparaît comme la traduction de la pure subjectivité de l’auteur introduisant dans un texte qui devrait être objectif un élément qui ne possède plus rien de scientifique. L’histoire se laisse alors subvertir et envahir par l’imagination et la littérature qui en constitue le véhicule privilégié. Ce que Croce pointe là du doigt, c’est la dangereuse capacité de la littérature à idéologiser l’histoire. Par l’utilisation de l’imagination qui lui permet d’inventer aux nations auxquelles elle s’intéresse une soi-disant essence éternelle, elle peut ainsi transformer l’histoire en une histoire nationaliste et idéologique qui a perdu tout caractère scientifique. Cet exemple particulier et conjoncturel permet à Croce de dégager les « tares » qui affligent l’historiographie de son époque :

Et voici comment on se trouve de nouveau devant l’idée d’une histoire doublement asservie par l’imagination et la probabilité : à cause des témoignages sur lesquels elle s’appuie, qui ne sont que « probablement » dignes de foi, et également des récits qu’elle construit, lesquels, à travers tous les éléments qui taisent leurs sources probables, ne représentent que « probable- ment » les choses telles qu’elles se sont passées. C’est l’idée, en somme, que l’histoire constitue une forme infime (si tant est que l’on puisse parler en ce cas de forme) du savoir humain, chancelante dans ses fondations et avec des murs cimentés par l’imagination26.

Soumise à la puissance affabulatrice de l’imagination et à l’approximation du « probable », l’histoire ne devient plus qu’une discipline qui se contente de l’à peu-près et du flou dans la représentation des événements qu’elle rapporte. Si les fondations de l’édifice qu’elle construit sont chancelantes du fait de leur manque de véracité, les murs qu’elle élève ensuite n’ont plus rien de réel et ne sont édifiés que grâce à l’imagination.

Croce prend cependant soin de discerner entre « imagination poétique » et imagination combinatoire » :

Il faut les désabuser sur ce dernier point [les écrivains] : la faculté dont ils notent dans leurs travaux la présence n’est pas en effet l’imagination des poètes mais l’imagination combinatoire ; ce sont là deux pouvoirs bien différents que la meilleure esthétique et la meilleure cri- tique d’art ont toujours nettement distingués, et qui ne sont même pas unis dans l’expérience… L’imagination dont nous parlons intervient, au contraire, directement dans le travail historiographique pour combler les vides qui subsistent dans la série des images fournies par les informations que la critique atteste, à moins que l’on ne se restreigne à transcrire ou à résumer les sources ; elle intervient toujours pour surmonter la discontinuité des informations et pour tisser un récit dont le fil puisse courir sans interruption et qui reste, dans toutes ses parties, transparent, un récit qui « persuade par les images » selon la formule même des anciens27.

On peut cependant noter que cette imagination combinatoire, distincte de l’imagination poétique, est précisément celle que l’on retrouve à l’œuvre dans le récit historique : c’est en effet elle qui autorise l’écriture romanesque et l’élaboration d’un texte cohérent et logique. Elle permet, ainsi que le signale Croce, de combler les vides documentaires, d’inventer un destin aux personnages sur lesquels on connait trop peu de choses ou de restituer aux événements relatés une logique apparemment absente de leur déroulement.

Il est extrêmement intéressant de noter que pour Croce (dont la pensée longtemps hégémonique a marqué durablement le paysage culturel italien), il n’y a pas de réelle différence de nature entre le roman historique et ce type d’histoire. La différence entre eux ne peut être que quantitative et « graduelle ». Croce se montre d’accord avec Bloch en ce qui concerne la nécessité de préserver le côté scientifique de l’histoire ; mais il dévalorise plus que lui le roman historique qui, pour l’historien français, constitue une première étape sur la voie de l’appréciation de l’histoire dans ce qu’elle a de plus scientifique. Pour Croce, au contraire, le roman historique est à envoyer dans les mêmes oubliettes qu’un certain type d’histoire, celle qui confine à la vulgarisation et qui peut même, parvenue à certaines extrémités, constituer un dévoiement complet de la notion même d’histoire. C’est sur cette base d’une méfiance tant italienne que française vis-à-vis du roman historique de la part de l’histoire, que va se développer la réflexion postmoderne sur le sujet, une réflexion qui emprunte des chemins très différents et qui va réévaluer de manière importante les rapports entre histoire et littérature, accordant à cette dernière un rôle de plus en plus marquant.

5.  Les rapports histoire/littérature dans la réflexion critique postmoderne

Le souhait de « renarrativisation » observé dans l’écriture postmoderne, ce retour à la linéarité suivant le modèle traditionnel de la fiction, mais également d’après des pratiques scripturales du champ de l’historiographie doit d’ailleurs être mis en parallèle avec l’évolution la plus actuelle de l’historiographie qui se dirige à présent vers une volonté affirmée d’utilisation des modèles littéraires. Il est en effet frappant de constater une proximité nouvelle et de plus en plus étroite entre l’« écriture de l’Histoire » et l’ « écriture littéraire », ainsi qu’a pu le constater le récent colloque de l’EHESS Littérature et Histoire en débats28 qui s’est déroulé à Paris du 10 au 12 janvier de cette année. Bien qu’au plan institutionnel les disciplines de- meurent toujours très fortement cloisonnées, l’idée semble à présent de plus en plus s’imposer d’un rapprochement entre les deux champs d’activités : la littérature s’« historicise » tandis que l’histoire s’empare des modes d’écriture et des pratiques littéraires. Avec le développement d’une « nouvelle philologie » influencée par la linguistique structurale selon la- quelle les textes ne constituent plus des sources mais des témoins ou des monuments, on peut observer un renouvellement historiographique certain.

On assiste également actuellement à un intérêt de plus en plus important dans le domaine littéraire pour les notions d’archives, de documents, de témoignages. Certains des romans historiques les plus actuels intègrent dans leur texte même des éléments documentaires comme des lettres authentiques, des listes, des archives… C’est cette nouvelle répartition des rôles entre histoire et littérature qui a amené Carlo Ginzburg29 à remarquer que les romanciers font des découvertes techniques que les historiens peuvent utiliser comme des dispositifs cognitifs et qu’il y a donc un mouvement de va-et-vient constant entre fiction et Histoire. Reprenant la remarque de Paul Veyne selon laquelle l’histoire est un roman vrai, il ajoute :

D’une part c’est un roman vrai au sens où le côté narratif de l’histoire est souligné, et il est vrai qu’il y a un côté narratif, même lorsqu’il s’agit de statistiques parce qu’on les intègre dans une narration construite. Mais on sait aussi que le roman ce n’est pas seulement une intrigue, puisqu’il inclut toutes sortes de digressions, de descriptions, d’essais, même… Depuis Proust et Musil, on peut parler de « roman vrai », dans le sens où la narration constitue la base cognitive du travail de l’auteur30.

Il y aurait donc à présent un rapport contemporain particulier du texte romanesque à l’histoire, dû peut-être au fait que le concept moderne d’histoire devient en effet de plus en plus problématique quand on s’interroge de manière toujours plus approfondie sur les notions mêmes de « documents », de « témoignage » ou d’« archives ». C’est cette nouvelle répartition des rôles entre histoire et littérature qui a d’ailleurs amené le colloque de l’EHESS à souligner que « du côté des historiens, on parle de procédés littéraires de l’historiographie, d’un raisonnement historique présent au sein du littéraire, de découvertes techniques des romanciers mués par les historiens en procédés cognitifs31 »

C’est également ce qu’assure Carlo Ginsburg quand il remarque que les romanciers font des découvertes techniques que les historiens peuvent utiliser comme des dispositifs cognitifs et qu’il y a donc un mouvement de va-et-vient constant entre fiction et histoire32.

On peut penser en France aux Bienveillantes, de Jonathan Littell (avec l’inclusion dans le texte romanesque d’éléments archivistiques sonores ou filmés) ou en Italie au roman de Vincenzo Consolo Il sorriso dell’ignoto marinaio33 dans lequel des minutes de procès, des graffitis ou un certificat de décès deviennent des éléments de la trame romanesque. C’est désormais plus la dimension individuelle et personnelle, subjective et même sentimentale qui est censée faire et dire l’histoire. On passe ainsi directement à un concept de mémoire et on assiste à un effondrement de celui d’histoire scientifique.

En Europe, ce que Jorge Semprun qualifie de « fer rouge de la mémoire34 » marque désormais une quête placée sous l’unique signe d’un présent qui dure et « ne passe pas ». L’historicité apparaît alors bloquée, contraignant le roman à rechercher et à collectionner toutes les traces mémorielles qui peuvent encore subsister.

Cette situation de blocage constitue peut-être une des raisons qui font que l’histoire voit désormais son champ d’action se dilater : elle se rapproche en effet de plus en plus de ses disciplines « sœurs » : l’ethnographie, la sociologie, l’économie… et de la littérature. Ce mouvement d’élargissement extrême du champ littéraire avait déjà été critiqué en Italie par Carlo Ginzburg35, qui s’élevait contre le relativisme rhétorique marquant une sorte d’envahisse- ment par la littérature de nombreux autres domaines. Sa critique d’Hayden White à propos de la Shoah portait sur le fait qu’il réfutait l’affirmation de l’historien américain assurant qu’il est impossible de tracer une distinction rigoureuse entre narrations fictives et narrations historiques, ignorant ainsi les recherches préalables (le travail d’enquête ou l’analyse philologique) qui ont rendu possible ces dernières. Carlo Ginzburg notait par la suite également :

« Il me semble que le récit historique peut se prêter aux expériences narratives36 », ce que corroborait l’action d’un certain nombre d’écrivains italiens. C’est ainsi que les rapports entre histoire et littérature se trouvent au centre de la réflexion et de la pratique d’un collectif d’auteurs de romans historiques postmodernes : Luther Blissett et Wu Ming.

6.  Le cas de Wu Ming : de nouveaux rapports entre l’histoire et le mythe

En 1999, les membres du collectif d’écriture Luther Blissett (qui deviendra ensuite Wu Ming) se font connaître du grand public en faisant paraître un roman historique (Q) se dé- roulant au seizième siècle et qui sera traduit ensuite en français avec le titre de L’œil de Ca- rafa37. La thématique historique est ainsi projetée d’emblée en bonne place dans l’écriture du groupe qui, quelques années plus tard, prendra le nom de Wu Ming38. Composé de cinq auteurs (Wu Ming signifie en chinois « sans nom » ou « cinq noms », suivant la prononciation de la première syllabe), le collectif produit des œuvres qui sont tantôt des romans de science- fiction, des romans historiques et des œuvres hybrides. Il souhaite véhiculer une nouvelle conception de la littérature, tant dans sa forme (romans, nouvelles, articles) que dans son écriture même (collective, individuelle, ouverte aux internautes) et dans sa diffusion, sous forme papier ou sur le Net.

L’inspiration historique est très présente dans les œuvres de Wu Ming : sur 53 écrits divers produits par le collectif, 11 sont de véritables romans historiques, les autres récits contenant souvent à un moindre degré des éléments ressortissant à ce genre. Dans ces œuvres (comme dans le manifeste littéraire New Italian Epic qu’il rédige en 2008), Wu Ming a alors l’occasion de proposer une redéfinition des rapports entre l’histoire et l’écriture fictionnelle et de composer un type particulier de roman historique.

Les thèmes développés dans ces écrits sont ceux du postmodernisme. Remo Ceserani repère ainsi :

Le thème du complot, de la dimension oppressive et foucaldienne du pouvoir et des limites de nos consciences ; la revisitation de l’histoire comme objet de consommation culturelle et comme fresque décorative, le goût des mystères et des énigmes ; le mélange des genres et des intrigues qui rapproche le roman policier, le roman gothique, le roman historique, le conte philosophique et le roman encyclopédique ; la citation de mille autres romans de même que Casablanca a constitué la citation de mille autres films39.

Ceserani note que l’histoire constitue un des thèmes les plus présents dans les écrits de Wu Ming, mais on peut remarquer qu’il s’agit d’une discipline envisagée d’une façon bien particulière et ayant perdu toute prétention scientifique. Il s’agit d’une histoire racontée avant tout d’un autre point de vue : celui des vaincus, des humiliés et des sans-grades. Elle devient l’objet d’une réécriture présentant une version alternative dans laquelle la parole est désormais donnée aux figures secondaires. Cette histoire, qui, ainsi que le dit Wu Ming, se trouve désormais « du mauvais côté de l’histoire40 », emprunte ses références au concept de « microhistoire41 » développé par Carlo Ginzburg42 dans les années 1970. Il s’agit là de la vision « hypocalyptique43 » d’une histoire envisagée dans sa dimension la plus quotidienne et prosaïque que le critique Andrea Cortellessa44 qualifie de post-marxiste et de post-freudienne. Dans les textes littéraires qui s’inspirent de cette vision historique particulière, le continuum historique est par ailleurs constamment remis en question. Le roman déconstruit la trame chronologique, mêle les temps du récit, inverse même parfois le flux temporel et donne l’illusion constante d’un présent où tout est possible, y compris quand l’histoire narre des faits déjà réellement advenus et connus du lecteur.

On constate ainsi une évacuation de la dimension historique du roman et même une in- version pure et simple : c’est désormais le récit qui fait l’histoire. Ce processus s’inscrit clairement dans la dilatation et l’expansion du littéraire aux dépens de l’histoire auxquelles on assiste actuellement, tant en France qu’en Italie. Mais on peut tout de même remarquer qu’en Italie, le processus est plus radical encore et confine chez Wu Ming à la disparition presque totale de l’histoire (comprise d’une manière traditionnelle) dans le récit. Il y a là de la part de Wu Ming une volonté évidente de réélaboration des codes littéraires présents dans le roman historique classique et de redéfinition des rapports entre histoire et récit fictionnel. L’histoire apparaît comme un décor dont les éléments sont interchangeables et ne reçoivent de sens que quand ils sont réinterprétés et réordonnés par une mémoire individuelle. La relation du récit à l’histoire change donc, cette dernière devenant un simple élément narratif et non plus le référent qu’elle était dans un roman historique traditionnel.

Stella del mattino, un roman écrit par Wu Ming et publié en 2008 chez Einaudi se déroule dans les années 1919-1920. Le récit revisite le mythe en proposant une interprétation de l’histoire de Lawrence d’Arabie, présenté comme une figure archétypique du chevalier des romans arthuriens, élément de la mémoire collective britannique. Le personnage de Lawrence est également envisagé comme un héros homérique : son ami Robert le surnommant « l’Achille de Grande Bretagne ». Ce recours au mythe est d’ailleurs constitutif de l’écriture du collectif qui a théorisé son utilisation à travers le concept de mythopoïèse. Il constitue le troisième principe fondateur de l’activité du groupe, avec le condividuo (un néologisme créé par Luther Blissett pour exprimer le refus des écrivains de s’enfermer dans des identités individuelles et le recours à un nom collectif) et le copyleft (la fin de la notion d’auteur et de propriété intellectuelle).

La mythopoïèse (un concept précédemment développé par Tolkien dans les années 1930), constitue un genre narratif dans lequel l’auteur recrée tous les éléments de son texte de toutes pièces : les personnages, l’univers qui les entoure, leur histoire et celle de ce monde ainsi que la géographie et même le langage de celui-ci. Wu Ming, inspiré par ces conceptions de Tolkien mais également par celles des mythologues John Campbell et Furio Jesi, va placer au centre de son œuvre toute une création mythopoïétique destinée à exprimer une vision du monde et du combat politique. Avec cette mythopoïèse, le collectif n’entend pas créer de nouveaux mythes mais entreprendre plutôt tout un travail de déconstruction. Ainsi que le montre l’exemple de Stella del mattino, les mythes font l’objet d’une véritable mise en pièce : le roman les recompose en éléments signifiants du récit et leur fait exprimer une vision du monde que l’on peut qualifier de politique. La puissance de la fiction est alors mise au service d’une volonté de transformation sociale. Le mythe (mais il en va de même pour l’histoire mythifiée) devient un élément de transformation du réel et une arme non négligeable dans la volonté de redéfinition de la société qui est celle de Wu Ming. Cette importance conférée au mythe dans l’œuvre de Wu Ming est certainement à mettre en rapport avec le développement remarquable particulièrement observable en Italie de l’histoire orale ainsi qu’avec la nouvelle attention que cette dernière porte au mythe et à la relation avec la fiction. Wu Ming a sans doute trouvé dans l’affirmation des thèses de l’histoire orale le cadre théorique dont il avait besoin pour procéder à ses expérimentations d’écriture historique.

7.  L’importance de l’histoire orale

L’histoire orale45 (oral history), bien que née aux Etats Unis dans les années 1960, s’est particulièrement développée à partir des années 1980 en Italie et dans l’Europe du Nord. Revêtant l’aspect d’une contre-histoire (à la fois parce que son statut épistémologique de- meure quelque peu flou et qu’elle privilégie les sources non écrites, généralement tenues en peu d’estime par l’histoire officielle), elle opère un renversement historiographique radical tant du point de vue de ses objets que de ses méthodes. S’intéressant désormais à la parole des humbles, des obscurs et des discriminés, dans sa recherche de sources, elle invoque par ailleurs Hérodote contre la tradition positiviste et redonne ainsi au littéraire, au récit du mythe, une place prépondérante. En conférant à l’histoire le rôle de conserver, à l’instar du poème épique, la mémoire des héros morts au combat, Hérodote posait déjà la science en rivale du mythe et opposait le réel à la fiction. L’histoire orale, en confrontant ainsi le mythe et les sources liées à l’oralité au dogme de l’unique valeur accordée aux sources écrites par une histoire positive, trace une nouvelle frontière entre la littérature et l’histoire. Elle re- trouve ainsi l’intérêt constant manifesté par l’histoire et la littérature romantiques pour les cultures populaires, les premiers contes de Grimm inspirés par la naissance de la Volkskunde allemande ou les enquêtes de Walter Scott pour ses romans historiques.

En Italie, l’histoire orale connaît un succès certain en affrontant les pesanteurs du criticisme historique de Croce et prend très rapidement un aspect engagé. Ernesto De Martino conçoit une critique anthropologique de la culture des élites et renoue avec le monde de la magie et du mythe46, à l’inverse d’une histoire trop originaire et immémoriale, tandis que des enquêteurs adeptes de cette nouvelle forme d’histoire recueillent les interviews de paysans et d’ouvriers. Investissant dans les années 1970-1980 la sphère universitaire, l’histoire orale connaît un second souffle avec les travaux de Sandro Portelli et de Luisa Passerini mais elle continue d’affirmer son opposition au positivisme et au fétichisme de la source écrite ainsi que son aspect militant et sa volonté de réforme sociale. Ce désir d’action politique à travers une nouvelle pratique historique et littéraire se retrouve également ailleurs que dans l’histoire orale. Déjà dans son manifeste New Italian Epic, Wu Ming avait élaboré une poétique collective qui lui permettait de définir la nouvelle mission éminemment politique de la littérature au service d’une volonté de transformation de la société. Cette conception a trouvé sa traduction pratique dans l’engagement des membres de Wu Ming dans des mouvements politiques comme ceux des Tute Bianche, un groupe altermondialiste actif entre 1994 et 2001.

Cet idéalisme ou même utopisme de Wu Ming se retrouve dans le rôle (ainsi que d’autres avant-gardes l’ont fait avant lui !) qu’il assigne à l’écrivain comme visionnaire et guide spirituel chargé de mener l’humanité vers des lendemains plus justes et de participer à la création d’une société alternative. Dans les apostilles au recueil Anatra all’arancia mecanica, le collectif indique qu’avec cette nouvelle, il affronte la question, à savoir :

Le rôle social et nouvellement fondateur d’une littérature qui embrasserait l’existence humaine toute entière, depuis l’origine jusqu’à un futur antérieur que nous ne pouvons pas voir mais au sujet duquel nous pouvons faire travailler notre imagination47.

Les rapports entre littérature et histoire sont ici clairement envisagés en fonction du rôle politique et social que la première a pour mission d’assumer. La littérature, élément fondateur de l’existence sociale, exprime et contient tout le devenir humain, du passé au futur. Elle inclut désormais l’histoire et, si elle ne peut en distinguer tous les éléments et épisodes, elle peut les recréer grâce à la puissance de son imagination. Il peut cependant être intéressant de constater que comme chez Croce, cette dernière assume un rôle essentiel de lien entre les deux domaines. Wu Ming tente donc de définir de nouvelles relations entre litté- rature et histoire et de donner une place également nouvelle au roman historique conçu comme le lieu privilégié de rencontre entre ces deux domaines. Le collectif a pour ambition de renouveler l’écriture de ce dernier par l’introduction de la mythopoïèse et de l’utilisation la plus large possible de genres littéraires variés ainsi que par une pratique différente du rap- port à l’histoire qui apparaît désormais plus comme l’endroit de la mémoire et de l’expérience subjective. Cette nouvelle et primordiale place accordée au mythe peut rappeler par certains côtés les analyses de Joseph Yerushalmi48 qui souligne la résistance de ce dernier à l’historiographie dans la mémoire collective.

8.  Conclusion

Tant en France qu’en Italie, il apparaît ainsi que le roman historique connaît, dans la période postmoderne, d’intenses mutations. Que ce soit du point de vue de l’évolution du genre, grâce à une redéfinition de ses limites ou même à l’introduction en son sein de types narratifs différents (autobiographie, roman d’aventure, roman d’apprentissage…) ou bien encore à travers une nouvelle relation nouée avec l’historiographe, il semble bien que le roman historique notamment italien, soit en train de vivre un moment de bouleversement. La postmodernité dans laquelle il se développe et se modifie marque une crise de la rationalité et un divorce d’avec les Lumières qui trouvent leur origine dans l’effondrement des grandes idéologies

Le roman historique épouse quant à lui les grandes lignes de développement de la post- modernité et en reprend tant les différents thèmes que les principales modalités. Les thématiques qui se développent à présent largement dans le domaine historique (recherche et exploitation privilégiée de sources non scientifiques, montée en puissance de la mémoire et de la subjectivité…) affectent de manière notable l’écriture du roman historique qui trouve là une série de nouveaux thèmes particulièrement en phase avec le goût actuel du public. Tenu d’autre part par son lien évident à l’histoire à une évolution qui suit celle de l’historiographie, il semble à présent accompagner et traduire une dilatation de la sphère littéraire qui se fait jour à l’époque postmoderne et qui affecte notablement les écrits historiques. C’est désormais la frontière entre historiographie et production romanesque qui semble plus floue et cette évolution ouvre un champ d’action bien plus large au roman historique et à son exploration de la réalité historique. Car le roman historique, par sa quête incessante des causes, des zones demeurées dans l’ombre, des événements passés restés plus ou moins inconnus constitue un élément particulièrement important dans le dispositif de connaissance et d’interprétation de l’histoire. Mais également de celles de la contemporanéité en tant que cette dernière est conditionnée et rendue possible par la connaissance en amont des faits du passé. Nul doute qu’il ait ainsi de beaux jours devant lui et que, tant français qu’italien, il participe de manière active à l’émergence d’une condition littéraire et culturelle nouvelle.

Notes

1 Parmi les nombreux ouvrages et études consacrés au genre du roman historique, on peut citer : Philippe Aries. Le temps de l’histoire. Paris, éd. du Seuil. 1986 ; Claudie Bernard. Le Passé recomposé : le roman historique français du dix-neuvième siècle. Paris, Hachette Supérieur, 1996 ; Jean Bessières. Récit et histoire. Paris, PUF. 1984 ; Emmanuel Bouju. La Transcription de l’Histoire. Essai sur le roman européen de la fin du XXème siècle. PUR, coll « Interférences », mars 2006 ; Michel de Certeau. L’Ecriture de l’histoire. Paris, Gallimard 1975 ; Gérard Gingembre. Le Roman historique. 50 questions. Paris, Klincksieck. 2006 ; Hans Robert Jauss. Pour une esthétique de la réception. Paris, Gallimard ; 1978 ; Georg Lukacs. Le Roman historique, trad Robert Sailley. Paris, Payot. 1965 ; Alessandro Manzoni Del Romanzo storico. Prose minori. Firenze, Sansoni, 1967 ; Paul Ricoeur Temps et Récit. Paris, éd. du Seuil, 1984 ; Bertrand Solet. Le Roman historique, invention ou vérité ? Paris, Sorbier 2003 ; Paul Veyne. Comment on écrit l’histoire. Paris, éd. du Seuil, coll « Points-histoire », 1971 ; Gérard Vindt, Nicole Giraud. Les Grands Romans historiques. Paris, Bordas, coll « Les Compacts », 1991 ; Michel Zérafa. Roman et Sociéte. Paris, PUF, 1976. Numéros spéciaux de revues et ouvrages collectifs : La Nouvelle Revue Française. « Le Roman historique » octobre 1972, n° 238 ; Revue d’histoire littéraire de la France. « Le Roman historique ». 75ème année, mars-juin 1975 ; Les Nouvelles littéraires. Dossier « Grandeurs et ambigüités du roman historique », 23 mars 1978 ; Jean. Bessière. Récit et histoire. Université de Picardie, Centre d’études du roman et du romanesque, Paris, PUF, 1984. Dans cet ouvrage, plus particulièrement : Mario Fusco « Images et mirages de l’immobilisme ; à propos des romans historiques italiens » ; Dominique Peyrache-Leborgne et Daniel Couégnas (dir), Le Roman historique, récit et histoire. Nantes, Pleins Feux, 2000. Articles : Roland Barthes « Le Discours de l’histoire ». In- formations sur les sciences sociales, Unesco, VO-4. Août 1967 ; Jean Molino. « Qu’est-ce que le roman historique » RHLF, mars-juin 1975.

2 Jean-François Lyotard. La condition postmoderne. Paris, Editions de Minuit, 1979

3 Remo Ceserani. Raccontare il postmoderno. Torino, Bollati Boringhieri, 1997, p. 102

4 Romano Luperini : « Avec le 11 septembre se conclut la saison du postmodernisme. C’est le début d’une nouvelle période qui n’a pas encore de nom et qui demande des engagements et des responsabilités différentes. » La fine del postmoderno, Napoli, Guida, 2008, p. 20. Traduction (ainsi que les suivantes) réalisée par nos soins.

5 Wu Ming. : « Je situe la fin du postmoderne- et je ne suis évidemment pas le seul à le faire-à hauteur du 11 septembre 2001. […] La période temporelle que nous vivons actuellement ne possède pas encore de nom et cela est bien. » New Italian Epic, Torino, Einaudi, 2009, p. 66-68

6 Jean Baudrillard. Simulacres et simulation. Paris, éd. Galilée. 1981 ; Yves Boisvert. Le postmodernisme. Boréal, Québec, 1995 ; Remo Ceserani. Raccontare il postmoderno. Torino, Bollati Boringhieri. 1997 ; Antoine Compagnon. Les cinq paradoxes de la modernité. Paris, Le Seuil. 1990 ; Umberto Eco. Apostille au « Nom de la rose ». trad fr. Paris, Librairie générale française, 1987 ; Marc Gontard. « Le postmodernisme en France : définition, critères, périodisation » in Le Temps des Lettres- quelles périodisations pour l’histoire de la littérature française du XXème siècle (sous la direction de Michèle Touret et Francine Dugast-Portes) Rennes, PUR, coll. Interférences ; Jurgen Habermas. « La modernité, un projet inachevé », trad fr. Critique 41, octobre 1981 ainsi que : Le discours philosophique de la modernité, trad fr. Paris. Gallimard 1988 ; Fredric Jameson. Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, trad fr, ENSBA. 2007 ; Monica Jansen. Il dibattito sul postmoderno in Italia. Firenze, Franco Cesati, 2002 ; Gilles Lipovetski. L’Ere du vide. Essai sur l’individualisme contemporain. Paris, Gallimard 1983 ; Romano Luperini La fine del postmoderno. Napoli, Guida, 2008 ; Paolo Spedicato. Postmoderno e letteratura. Milano, Bompiani 1984 ; Jean-François Lyotard. La Condition postmoderne-rapport sur le savoir dans les sociétés les plus développées. Paris, éd. de Minuit. 1979 ainsi que : « Réponse à la question : qu’est-ce que le post-moderne ? » Critique. 419, avril 1982 ; Henri Meschonnic. Modernité, modernité. Paris, Verdier 1988 ; Gianni Vattimo. La fin de la modernité. Nihilisme et herméneutique dans la culture post-moderne, trad fr. Paris, éd. du Seuil. 1987

7 Umbert Eco. Il Nome della rosa. Milano, Bompiani 2004. Traduit en français par Jean Noël Schifano. Le Nom de la rose, Paris, Grasset 1987

8 Marc Gontard. : « Toutefois des constantes apparaissent dans les modes de représentation, autour du principe général d’altérité qui engendre des dispositifs d’hétérogénéité et de chaotisation (fragmentation, métissage) dont l’effet de complexification contredit la « pureté » de l’esthétique moderniste. » Le roman français postmoderne. Une écriture turbulente. Halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/02/96/…Le Roman postmoderne.pdf, p. 63.

9 Claudie Bernard. « Genre sans règles fixes ni archétypes incontestés, le roman [historique] s’ouvre à toutes sortes de spécifications complémentaires ou divergentes. Tel roman historique sera aussi roman noir (Han d’Is- lande de Hugo), roman d’éducation (Nanon de Georges Sand, roman initiatique (Consuelo de Sand, L’Homme qui rit de Hugo), roman philosophique (L’Ile des pingouins d’Anatole France). », « Si l’histoire m’était contée » in Problèmes du roman historique. Présentation A.Tassel, A.Deruelle. Paris, L’Harmatan, 2005, p. 15

10 Jean Molino. « Histoire, roman, formes intermédiaires » in L’Histoire comme genre littéraire. Mesure, N° 1, Paris, José Corti, 1989, p. 26

11 Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Il Gattopardo, Milan, Feltrinelli, 2008. Traduit en français : Le Guépard, Le Seuil, Paris, 1980.

12 Margherita Ganeri. « Plus qu’un genre au sens étroit du terme, le roman historique pourrait être défini comme un mode littéraire. » Il Romanzo storico in Italia. Il Dibattito critico dalle origini al postmoderno, Lecce, Piero Manni, 1999, p. 9.

13 Umberto Eco. Il Nome della rosa, op cit.

14 Margherita Ganeri, op. cit, p. 101.

15 Elsa Morante, La Storia, t. I, t. II, Torino, Einaudi, 2001. Traduit en français. La Storia, t. I, t. II. Paris, Gallimard, 1980.

16 Margherita Ganeri, Il Romanzo storico in Italia. Il dibattito critico dalle origini al post-moderno, op. cit., p. 21-23.

17 Pieter De Meijer. La Questione del genere, in Letteratura italiana diretta da Alberto Asor Rosa, Einaudi, Torino, vol IV. P. 247.

18 Aristote. La Poétique, Paris, Les Belles Lettres, 1969.

19 Claudie Bernard. « Si l’histoire m’était contée » in Problèmes du roman historique, op cit, p. 14.

20 Marc Bloch, Comment et pourquoi travaille un historien (octobre 1940), dans L’Histoire, la Guerre, la Résistance, édition établie par Annette Becher et Etienne Bloch, Paris, Gallimard, « Quarto », 2006, p. 841.

21 Marc Bloch, Apologie pour l’Histoire ou métier d’historien, in L’Histoire, la Guerre, la résistance, op. cit., p. 854.

22 Ibid.

23 Marc Bloch. Apologie pour l’Histoire ou métier d’historien, in L’Histoire, la Guerre, la résistance, op. cit., p. 866.

24 Benedetto Croce .La storia come pensiero e come azione. A cura di Maria Conforti, con una nota al testo di Gennaro Sasso, Napoli, Bibliopolis, 2002, p. 307.

25 Benedetto Croce. .La storia come pensiero e come azione., op cit, p. 19-20.

26 Benedetto Croce. La storia come pensiero e come azione., op cit, p. 129.

27 Benedetto Croce. La storia come pensiero e come azione, op cit, p. 125.

28 Colloque Littérature et histoire en débats, EHESS/CRAL. Labex « Arts et médiations humaines » Paris, 10- 12/O1/2013. Les interventions filmées sont éditées par Annick Louis sur le site du CRAL, EHESS : http://www.youtube.com/user/cralehesscnrs/videos

29 Carlo Ginsburg. « L’historien et l’avocat du diable », Genèses, n° 54, 2004/1, p. 15.

30 Carlo Ginzburg. « L’historien et l’avocat du diable », op cit, p. 112-129.

31 Colloque de l’EHESS Littérature et histoire en débats http://www.youtube.com/user/cralehesscnrs/videos

32 Carlo Ginsburg. « L’historien et l’avocat du diable », Genèses, n° 54, 2004/1, p. 34.

33 Vincenzo Consolo. Il Sorriso dell’ignoto marinaio, Milano, Mondadori, 1997, p. 168-169.

34 Jorge Semprun. Le fer rouge de la mémoire, coll. Quarto, Paris, Gallimard 2012.

35 Carlo Ginzburg, Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Lagrasse, Verdier, coll. Verdier Poche, 2019, p. 120.

36 Carlo Ginzburg, « Les anomalies sont plus riches que les cas soi-disant normaux », article publié dans Le Point, 08/03/2011.

37 Luther Blissett, Q., Turin, Einaudi 1999. Traduit de l’italien par Nathalie Bauer, L’Œil de Carafa, Paris, Seuil, 2001.

38 Marco Amici, Elisabetta Mondello. Scritture nere : narrativa di genere. New Italian Epic o post-noir ? Roma, Robin, 2010 ; Gaia De Pascale. Wu Ming. Non soltanto una banda di scrittori, Genova, Il Melangolo, 2000 ; Andrea Grilli. Luther Blissett, il burattinaio della notizia, Bologna, Punto Zero, 2000 ; Monica Jansen. Dal futurismo al maodadaismo a Wu Ming : rivoluzione ma con lentezza, Firenze, Franco Cesati Editore, 2012 ; Hanna Serkowska. Finzione, cronaca, realtà –scambi, intrecci e prospettive nella narrative italiana contemporanea, Massa, transeuropa, 2011 ; Luigi Salsi. Quête identitaire et lecture historique-Luther Blissett, Q et Wu Ming 54 in Cahiers d’études romanes, Université de Provence, 2006.

39 Remo Ceserani. Raccontare il postmoderno, Turin, Bollati Boringhieri, 1997.p. 141, cité par Estelle Paint dans Les projets Luther Blissett et Wu Ming : les prémices d’une nouvelle ère de la littérature ? Ou comment, à l’heure d’internet et de la mondialisation, un collectif d’auteurs italiens remet en cause le façonnement de l’œuvre littéraire, les modalités de sa diffusion et le statut de l’auteur. Thèse de doctorat dirigé par Mme Silvia Contarini et soutenue à Paris X le 14 décembre 2012, p. 194.

40 Wu Ming, Manituana, Turin, Einaudi, 2007, quatrième de couverture. Roman traduit de l’italien par Serge Quadruppani, Manituana., Paris, Métailié, 2009.

41 Influencée par Edward Palmer Thompson, la microhistoire (microstoria) délaisse l’étude des masses ou des classes sociales pour s’intéresser aux individus. Elle prône une réduction d’échelle pour examiner les phénomènes historiques à la loupe. En Italie, deux courants traversent cette historiographie : la microhistoire sociale, avec pour chef de file Giovanni Levi et la microhistoire culturelle, représentée par Carlo Ginsburg et Carlo Poni. A propos de la microhistoire : Jacques Revel, « Microstoria », dans Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia, Nicolas Offenstadt (dir), Historiographies, concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010, 2 tomes, Folio Histoire, T.I, p. 529-534 ; Carlo Ginsburg, Carlo Poni, « La microhistoire », Le Débat, décembre 1981 ; Jacques Revel (dir), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, EHESS/Gallimard/seuil, 1996

42 Carlo Ginsburg. Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier frioulan du XVIème siècle, Paris Aubier, 1980

43 Luigi Salsi, « Quête identitaire et lecture historique-Luther Blisset » [sic], Q et Wu Ming 54 in Cahiers d’Etudes Romanes, « Roman policier et Histoire », Université de Provence, 2006, p. 71-84.

44 Andrea Cortellessa. « Ipocalittici o integrati- Romanzo a chiave di un falsario collettivo con ambizioni di conflitto sociale », in L’indice dei libri, n° 7/8, année XVI, juillet/août 1999.

45 Paul Thompson. The Voice of the Past, Oral History, New York, Oxford University Press, 1978 ; Nicole Gagnon et Jean Hamelin. L’Histoire orale, Saint-Hyacinthe, Québec, Edisem 1978 ; Danièle Voldman. L’Histoire Orale en France à la fin des années 1980, Bios, 1991 ; Luisa Passerini. « Travaux récents d’histoire orale en Italie », bulletin de l’IHTP, 2 dec 1980, pp 14-21 ; Storia e soggettività,- Le fonti orali e la memoria, La Nuova Italia, Firenze, 1988 ; Giovanni Contini. « Towards a Story of Oral History in Italy », Bios, 1982 ; Nuto Revelli. Il Mondo dei vinti, Torino, Einaudi, 1977.

46 Ernesto De Martino. Magia e civiltà. Un’anthologia critica fondamentale per lo studio del concetto di magia nella civiltà occidentale. Milano, Garzanti 1962.

47 Wu Ming, Anatra all’arancia mecanica, Turin, Einaudi, 2011, « le rôle social et nouvellement fondateur d’une littérature qui embrasserait l’existence humaine toute entière, depuis l’origine jusqu’à un futur antérieur que nous ne pouvons pas voir mais au sujet duquel nous pouvons faire travailler notre imagination ».

48 Joseph Yerulshami. Zakhor, Histoire juive et mémoire juive, Paris, Gallimard, 1984.

Citer cet article

Référence électronique

Catherine de Wrangel, « Le roman italien postmoderne. Spécificités et évolutions », Atlantide [En ligne], 3 | 2015, mis en ligne le 01 juillet 2015, consulté le 09 octobre 2025. URL : https://atlantide.pergola-publications.fr/index.php?id=1537

Auteur

Catherine de Wrangel

Maître de conférences au département d’italien de l’université de Nantes, la recherche de Catherine De Wrangel, depuis un doctorat consacré aux sources russes dans l’oeuvre romanesque de l’écrivain italien Tommaso Landolfi, puis une HDR portant sur l’influence de la philosophie libérale dans les écrits de ce dernier, est tournée vers la littérature italienne contemporaine, et plus précisément vers les thématiques du fantastique et celles du roman historique.

Droits d'auteur

Licence Creative Commons – Attribution 4.0 International – CC BY 4.0