Cesare Pavese est l’un des auteurs que Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ont le plus souvent mis en scène, au même titre qu’Heinrich Böll, Arnold Schönberg et Bertolt Brecht1. Les deux cinéastes sont revenus à maintes reprises sur l’œuvre de Pavese, notamment sur Dialoghi con Leucò (1947) : après avoir mis en scène six dialogues dans la première partie de De la nuée à la résistance (1979), Straub et Huillet en ont filmé cinq autres dans Ces rencontres avec eux (Quei loro incontri, 2005). Après le décès de Danièle Huillet, Straub reviendra seul sur d’autres Dialoghi : en 2008 dans Le genou d’Artémide et Le streghe. Femmes entre elles, enfin en 2010 et 2011 dans L’inconsolable et La madre.
Dans les pages qui suivent, nous nous intéresserons à la première rencontre entre le cinéma de Straub-Huillet et l’œuvre de Pavese. Notre repère cinématographique sera, donc, De la nuée à la résistance qui tire son inspiration de Dialoghi con Leucò et du dernier roman de Pavese, La luna e i falò (1950). Plus particulièrement, nous regarderons la manière dont Pavese et Straub-Huillet conçoivent la terre, la valeur que celle-ci acquiert dans glissement qui s’opère entre l’écriture et l’image. Pour ce faire, nous nous intéresserons aux compositions stratigraphiques que l’on retrouve dans la prose de Pavese et dans l’image de Straub-Huillet. Cette première étude comparative nous incitera, enfin, à mettre en parallèle l’épilogue littéraire et filmique de La luna e i falò.
1. Composition stratigraphique chez pavese
Un élément critique qui a souvent été relevé chez Pavese est la question du retour aux racines, qu’il s’agisse de sources expressives par le mythe – en tant que reprise de la mythologie grecque en deçà de « toute perspective véritablement historique sur le mythe lui-même » (Guerbo, 2020, p. 22)2 – ou bien de repères géographiques (Barberi Squarotti, 1976 ; Manieri, 2017), ce qui nous conduit d’emblée à la question de la terre. Le retour ou recours au mythe aussi bien que le retour dans sa terre natale sont au cœur des deux œuvres de Pavese mises en scène dans De la nuée à la résistance.
La narration de La luna e i falò est inaugurée par le retour d’Anguilla, le bâtard émigré aux États-Unis, qui revient dans ses terres (les Langhe du Piémont) après vingt ans d’absence. Le bâtard est une figure significative dans la mesure où la coupure avec son ascendance est directement liée à l’impossibilité, cette fois-ci partagée avec les autres paysans, de posséder sa propre terre. Dans le cinquième chapitre du roman, lorsque le narrateur – Anguilla justement – compare son destin d’exilé à celui d’un paysan qui n’a jamais quitté les Langhe il conclut que : « […] nous avions erré, erré, moi par le monde et lui à travers ces collines, sans jamais pouvoir dire : “Ce sont là mes terres. C’est sur ce banc que je vieillirai. Je mourrai dans cette pièce.” » (Pavese, 1949, p. 1262). Ce premier constat géographique et politique s’accompagne d’un deuxième, tout aussi désolant, mais qui relève du plan généalogique car, comme le souligne Louisette Clerc, Anguilla ne pourra être père que d’un enfant à son tour bâtard, un enfant qu’il se voit déjà contraint d’abandonner (Clerc, 2002, p. 4). La recherche problématique de la terre va de pair avec la paternité manquée, ce qui validerait l’intuition d’Italo Calvino selon laquelle l’œuvre de Pavese est marquée de bout en bout par une « conception à la fois mythologique et agricole » : d’une part, la fertilité « de la terre-mère qui donne la vie », d’autre part « le sentiment de stérilité de l’homme solitaire exclu du cycle naturel de la procréation » (Calvino ; Guglielminetti, 1998, p. 20)3.
Or, s’il est vrai, comme le dit Calvino, que la terre-mère est l’élément naturel qui donne la vie, le retour à la terre ne s’opère pas exclusivement sous le signe de la vie et de la présence chez Pavese. Ce dernier aspect est plus explicite dans La luna e i falò, mais nous pourrions élargir cette hypothèse au rôle des dieux dont il est question dans un certain nombre de segments de Dialoghi con Leucò. Ainsi, s’il est vrai que Pavese s’interroge au fil des dialogues sur la valeur du mythe et sur la relation entre mythe et logos (Clerc, 2002, p. 3), sans que le deuxième ne parviennent à destituer le premier, les dieux au cœur du mythe ne sont pas, en revanche, un repère pour les hommes qui les cherchent. Dans un certain nombre de dialogues, et dans tous ceux que Straub et Huillet ont mis en scène, les dieux sont moins une possibilité pour les hommes de comprendre la logique du monde, qu’une rencontre manquée, voire l’occasion de rappeler les injustices terrestres. Pour le dire avec Jacques Rancière » nous sommes [dans l’univers] de la tragédie antique où la justice se définit par rapport à des dieux qui n’ont pas besoin d’être justes eux-mêmes. » (Rancière, 2011, p. 115). Du reste, le titre de la deuxième mise en scène des Dialoghi par Straub-Huillet – Ces rencontres avec eux – reprend la dernière phrase du dernier dialogue de Pavese intitulé « Les dieux », où deux personnages anonymes, vraisemblablement contemporains, parlent de ce qu’ils ont perdu dans leur rapport aux divinités, et plus généralement de leur rapport au monde. Ce qui leur manque est précisément la rencontre avec les dieux, « quei loro incontri », pour reprendre la formule en italien. Quant à De la nuée à la résistance, trois dialogues de Pavese repris par les cinéastes renvoient explicitement à cette rencontre manquée : dans le dialogue II, Sarpédon est délaissé par les dieux après avoir tué la Chimère, dans le dialogue III Tirésias explique à Œdipe que la nature (« la Roche ») existait avant les dieux et que ceux-ci n’ont fait que leurrer les hommes ; tandis que dans le dialogue XV, un berger et son fils débattent sur le droit ou l’injustice de sacrifier un infirme pour que les dieux protègent leurs champs de la canicule.
Bien qu’ils soient presque systématiquement au cœur des dialogues des hommes4 – toujours présents dans les dialogues mis en scène par Straub et Huillet – les dieux de Pavese manquent leur rencontre avec les hommes, ou du moins peinent à se laisser saisir par les hommes. Dès lors, une stratification se crée entre une parole humaine qui cherche à monter au ciel, en s’adressant aux dieux, et ces derniers qui affectent la terre mais demeurent insaisissables pour ceux qui l’habitent. La composition stratifiée des Dialoghi devient véritablement géologique dans La luna e i falò, bien que le mouvement de la parole soit orienté vers le bas cette fois-ci. Dans son introduction pour l’édition italienne de l’année 2000, Gian Luigi Beccaria relève à la fois la présence de « symboles éternels du destin humain » dont les feux et les sacrifices, mais également des allers-retours entre présent et passé par lesquels Pavese fait surgir une strate sous-jacente, un passé « rude, marqué par les horreurs, par l’horreur du sacrifice du feu » (Beccaria, 2000, p. 6)5. Ainsi, le narrateur découvre progressivement la tuberculose d’Irene et les violences conjugales qu’elle a subies, le décès de sa sœur Silvia, morte des suites d’un avortement, ainsi que la dépression du père de ces dernières. Mais surtout, Anguilla entend parler des morts de la guerre, repubblichini et partigiani, dont les corps occupent à présent la couche inférieure de la terre. La trace du passé n’est pas détachée du sol car, au contraire, le passé y est enfoui ; il est présent mais invisible, il existe tout en gardant son opacité tellurique : « [le passé] incorpore l’histoire des hommes, qui a disparu dans le multiple sensible du lieu, tout en devenant elle-même de la matière sensible unifiée par la forme » (Cavazzini, 2015, p. 5).
2. Géographie de l’image chez straub-huillet
La composition stratifiée de Pavese est un procédé que l’on retrouve dans les adaptations de Straub-Huillet, même si le mot adaptation donne une mauvaise approximation de l’œuvre des cinéastes français. À cet égard, il nous semble pertinent de souligner avec Michel Serceau que l’adaptation « désigne une réalité trop factuelle [qui] ne suffit pas à rendre compte de l’usage que font les cinéastes des sources littéraires », y compris dans les « transferts historico-culturels » entre œuvres littéraires et cinématographiques françaises et italiennes dont il est question dans son étude (Serceau, 2021, p. 288). Il est également intéressant – voire surprenant – de constater que Serceau exclut expressément de son analyse les mises en scène de romans italiens par Straub et Huillet, dont les films, privés d’une véritable « exploitation commerciale », sont jugés « confidentiels » et « non représentatifs » pour une étude transnationale sur la réception de la littérature par le cinéma (Serceau, 2021, p. 287).
Toutefois, lorsque nous modifions la perspective de la réception au bénéfice d’une plus grande proximité avec le texte et l’image, nous découvrons une affinité décisive entre Pavese et Straub-Huillet. En ce sens, La luna e i falò est un roman qui aurait pu inspirer l’analyse deleuzienne de l’œuvre de Straub-Huillet, notamment en ce qui concerne les deux assises de son étude, ce que nous pourrions définir la disjonction et la stratification6. Dans L’image-temps, lorsqu’il parle de la rupture entre « sonore » et « visuel » dans les films de Marguerite Duras et Alain Robbe-Grillet, Deleuze explique que la séparation entre « parole » et « image visuelle » permet à l’image tout entière de devenir « archéologique, stratigraphique, tectonique », ce qui mène le philosophe à étudier de plus près le cinéma de Straub-Huillet (Deleuze, 1985, p. 332). Or, c’est peut-être dans Qu’est-ce que l’acte de création ?7 que Deleuze résume plus précisément la spécificité du travail des cinéastes : « Une voix parle de quelque chose et nous fait voir autre chose. Ce qu’on voit, c’est uniquement la terre déserte, mais cette terre déserte, elle est comme lourde de ce qu’il y a en dessous […] mais ce qu’il y a en dessous, […] c’est justement ce dont la voix parle. » (Deleuze, 2003, p. 298). Dès lors, Deleuze met en avant, chez Straub-Huillet, une nouvelle possibilité pour la parole de se présenter dans l’image, cette nouvelle possibilité étant le résultat de la non-coïncidence entre parler et voir (Deleuze, 1985, p. 331 ; Latour, 2008, p. 132)8. Dans la deuxième partie de De la nuée à la résistance consacré à La luna e i falò, cette non-coïncidence se réalise par une référence explicite à la terre, conformément au texte de Pavese. Or, plus généralement, le repère tellurique du roman de Pavese nous suggère un aspect structurel du cinéma de Straub-Huillet, un aspect qui scelle, à son tour, la porosité entre cinéma et géographie chez les deux cinéastes. D’ailleurs, Straub a lui-même employé le terme « géographe » pour définir son travail de réalisateur, pour lequel filmer devient « savoir comment se situer par rapport à ce que l’on montre. » (Straub & Huillet, 2007, p. 18-19)9. Dans cette géographie de l’image, il n’est pas surprenant que le plan devienne une longue unité temporelle, souvent dépourvue de mouvement, à partir de laquelle une image et une réalité disparates peuvent faire surface (Turquety, 2009).
À plus forte raison, il semble nécessaire de reconsidérer le terme d’adaptation pour le cinéma de Straub et Huillet, puisque la démarche des cinéastes consiste précisément à faire l’inverse, c’est-à-dire à tenir à distance le texte et l’image, à intégrer le texte dans l’image sans lui demander de s’adapter au dispositif filmique. Pour reprendre une définition de Franco Fortini, les cinéastes français fondent leur image sur une « malhonnêteté technique », puisqu’ils jouent avec les limites de l’image cinématographique (Fortini, 1988, p. 2)10. Cependant, cette même malhonnêteté permet de préserver le textuel dans le visuel, tout en laissant le visuel de se dégager in extremis dans une image foncièrement écrite et parlée. Par image écrite et parlée, nous entendons souligner la prédisposition, chez Straub et Huillet, à ne pas véritablement mettre en scène les extraits des œuvres dont les films sont tirés, mais à laisser que les textes soient lus ou récités devant la caméra. Cette mise en relief de la parole destitue l’idée même d’adaptation cinématographique d’un texte littéraire ou théâtral, ce qui explique aussi la tendance à limiter drastiquement les mouvements de caméra, au bénéfice d’un enchaînement de plans fixes11. Pour conclure avec Deleuze, nous dirons que chez Straub et Huillet, « l’acte de parole » s’arrache à l’image visuelle mais l’image visuelle « doit à son tour résister à l’acte de parole » auquel elle impose son « entassement silencieux ». Loin de simplement séparer la parole de la vision, le texte de l’image, le cinéma de Straub et Huillet contribue à raccorder sonore et visuel d’une manière tout à fait singulière, en les inscrivant dans « un rapport d’incommensurabilité » (Deleuze, 1985, p. 331).
Néanmoins, il nous semble important de souligner que la stratification qui caractérise l’image de Straub et Huillet et qui touche le rapport entre sonore et visuel, ainsi que la relation entre littérature et cinéma, existe déjà dans les deux œuvres de Pavese mises en scène dans De la nuée à la résistance. Dans La luna e i falò, nous avons déjà évoqué la manière dont le passé et la guerre enracinent littéralement leurs vestiges. Dans Dialoghi con Leucò, dans les segments qui concernent le rapport entre les hommes et les dieux, le logos devient la couche lisible (et audible) renvoyant invariablement à ce qui dépasse les locuteurs, tandis que les destinataires de cette parole (les dieux) forment la couche illisible et invisible. La parole des hommes surgit par sa lisibilité ; dans le même temps, les dieux descendent sur terre, précisément par le dialogue des hommes, tout en gardant leur opacité12. Les deux mouvements sont coprésents mais inconciliables, ils se résistent réciproquement, comme le sonore et le visuel chez Straub-Huillet.
3. De Pavese à Straub-Huillet : dépassement et cheminement
Notre discours sur la stratification en prose et au cinéma nous invite à regarder de plus près un aspect évoqué dans les études comparatives sur Pavese et Straub-Huillet. Il s’agit de l’idée selon laquelle les cinéastes français ont modernisé l’auteur italien, en fournissant une lecture plus politique où la lutte remplacerait le recours à la temporalité cyclique issue du mythe (Fortini, 1988). Plus précisément, Straub et Huillet auraient le mérite de concevoir la terre différemment, non pas comme l’espace qui incarne l’inéluctabilité du temps cyclique et l’amor fati typiquement pavesiens, mais comme un espace géologique et historique à parcourir verticalement. Au sujet de la mise en scène de La luna e i falò, Fortini affirme sans ambages que Straub et Huillet dépassent le « discours mythologique de Pavese incontestablement douteux » et sa « fatalité tellurique » au bénéfice de « la foi en une lenteur du positif qui n’a de cesse de refaire surface, sous la forme d’une aide et d’une libération réciproques et fraternelles, à travers, et par-delà, les défaites et les horreurs. » (Fortini, 1988, p. 3), le « positif » étant le mot que Fortini substitue au terme « humain » si cher à Pavese mais désormais désuet.
Ainsi, cette suggestion nous invite, avec Andrea Cavazzini, à mettre en parallèle la fin de La luna e i falò et celle de De la nuée à la résistance. Le roman se termine avec la mort tragique de Santina, coupable d’avoir trahi ses proches résistants en collaborant avec les nazis ; elle est exécutée par ordre de l’un des résistants nommé Baracca. Contrairement aux autres morts, le corps de Santina n’est pas enterré mais brûlé, ce qui semble confirmer l’idée d’un retour aux sacrifices archaïques chez Pavese. Straub et Huillet modifient légèrement la scène finale mais, bien que moindre, cette modification change foncièrement la portée de l’épilogue. La séquence finale n’est pas véritablement jouée, mais lue par Nuto qui, dans le roman, est l’interlocuteur privilégié du narrateur. Par ailleurs, l’acteur qui joue Nuto porte des lunettes pour la première fois dans le film et regarde vraisemblablement la page d’un livre situé hors-champ. Or, il est intéressant de relever que Straub et Huillet ajoutent au récit de la mort de Santina un échange expéditif mais d’une importance significative entre Nuto et Anguilla : « Baracca, lui, est mort avec ceux des Ca’ Nere », s’exclame Nuto ; Anguilla demande : « Pendu ? », ce à quoi Nuto répond par l’affirmative. Un échange qui reprend et développe la première ligne du dernier paragraphe du roman où le narrateur dit : « Moi, plutôt que Nuto, je voyais Baracca, cet autre mort, pendu » (Pavese, 1949, p. 1359).
Dès lors, selon Cavazzini, la séquence de clôture du long-métrage « suggère moins le triomphe final du mythe sur l’histoire que l’inachèvement du processus qui fait accéder l’humanité à son historicité », contrairement à Pavese (Cavazzini, 2015, p. 14). Nous partageons les grandes lignes de cette perspective sans toutefois l’épouser complétement. Il serait tout à fait légitime de voir chez Pavese, notamment dans La luna e i falò, l’occasion d’un retour et d’un recours aux croyances ancestrales. Néanmoins, à cela il faudrait ajouter une nuance qui est suggérée par le titre même du film de Straub et Huillet : « De la nuée », c’est-à-dire de Néphélé, la nymphe des nuages du premier des Dialoghi con Leucò, « à la résistance » qui est précisément l’histoire qui refait surface dans La luna e i falò. Plutôt qu’assimiler la deuxième œuvre à la première sous l’égide d’une fatalité tellurique que Fortini a peut-être raison de déplorer, il nous semble que Straub et Huillet offrent une lecture diachronique et indiquent un cheminement dans la dernière phase de l’œuvre de Pavese. Nous pourrions, donc, considérer De la nuée à la résistance comme une invitation à relever le glissement entre mythe et historicité, c’est-à-dire entre deux manières de regarder la terre chez Pavese : c’est comme s’il avait été nécessaire de partir des sacrifices archaïques que les hommes ont fait pour préserver la terre (Dialoghi con Leucò) pour, enfin, voir le paradoxe, ou l’inévitable paradoxe (amor fati), qui préserve ces mêmes sacrifices dans une terre meurtrie par son histoire, sans pour autant que le mythe prenne le dessus sur l’historicité. Cette position nous paraît davantage compatible avec la proposition de Rancière selon laquelle le tournant pavesien, au détriment de Brecht, de l’œuvre de Straub et Huillet s’est justement réalisé par une mise en lumière des apories de « l’histoire répétitive » du mythe, à rebours des « certitudes » de la dialectique marxiste brechtienne. Dès lors, « l’irrésolution tragique » devient l’opportunité de problématiser l’histoire et de repenser notamment « l’avenir du communisme » (Rancière, 2011, p. 112 et 120).
4. Conclusion
Les pages précédentes nous permettent à présent d’affirmer que Straub et Huillet ont moins proposé une adaptation cinématographique qu’une relecture critique en images de l’œuvre de Pavese. Comme nous l’avons relevé précédemment, la spécificité de leur dispositif filmique consiste justement à ne pas adapter le texte à l’image mais à les séparer au sein d’une image cinématographique essentiellement parlée. Mais c’est précisément dans cette séparation – cette mauvaise adaptation pour ainsi dire – que nous découvrons l’actualisation politique et esthétique des textes de Pavese. Plutôt que simplement dépasser Pavese, Straub et Huillet montrent un cheminement possible – voire souhaitable – dans l’œuvre de l’écrivain italien, ou du moins la possibilité de l’appréhender sous un angle plus politique à trente années de la parution de son dernier roman13. En fin de compte, c’est cette nuance politique, non sans modifier la portée initiale et communément reconnue de la pensée littéraire et poétique de Pavese (l’inéluctabilité du temps, l’amor fati), qui nourrit l’échange intellectuel entre l’auteur italien et les cinéastes français.