La littérature espagnole du Siècle d’Or présente une grande porosité générique qui répond au goût de la variété, cultivé dans toute sorte de compositions et notamment dans les œuvres miscellanées, mosaïques littéraires sophistiquées au contenu encyclopédique1.Dans l’ensemble composite des fictions où la trame narrative est l’élément principal, on trouve de très nombreuses œuvres qui reposent sur l’alternance de prose et de vers. Au-delà des romans pastoraux, à la mode depuis la publication de La Diana de Jorge de Montemayor (1559), dans toutes leurs grandes œuvres aux caractéristiques génériques hydrides, Lope de Vega et Cervantès pratiquent la mixité discursive comme un véritable système d’écriture2.
Il faut attendre la fin du XXe siècle pour que l’on cesse de considérer que les vers constituent au mieux des variations inutiles, au pire des obstacles au déroulement de l’intrigue3. Dans la lignée des travaux qui envisagent l’écriture mixte comme élément structurant4, je propose d’utiliser le terme de prosimètre. Le prosimètre, sorte de genre transversal, de dynamique, suppose en effet une alternance motivée des formes d’écriture, d’un point de vue tant stylistique (forme) que diégétique (signification)5.
Le prosimètre apparaît comme une constante d'écriture chez Cervantès6, depuis sa première œuvre narrative, le roman pastoral La Galathée (1585), jusqu’au roman grec Les Épreuves et travaux de Persilès et Sigismunda (1617), publié à titre posthume.
Le relevé exhaustif des compositions versifiées dans les Nouvelles exemplaires nous permet de constater qu’un tiers des nouvelles ne contiennent pas de vers du tout et que, parmi celles qui incluent des vers, trois d’entre elles en comptent un nombre relativement important. Le prosimètre est ainsi à géométrie variable dans le recueil, comme un aspect supplémentaire qui ajoute au principe de varietas.
Le prosimètre dans les Nouvelles exemplaires sera à envisager de manière souple dans la mesure où il ne connaît pas de détermination générique ou thématique : les vers investissent plus ou moins les nouvelles teintées de picaresque (L’illustre Laveuse de vaisselle, Rinconete et Cortadillo), le roman grec utilisé comme hypotexte peut ne pas contenir de vers du tout (Madame Cornelia), tout comme la cuestión de amor pourtant traditionnellement traitée en prose et en vers (Les deux Jeunes Filles).
Nous nous centrerons pour cette étude sur les trois nouvelles qui présentent une quantité significative de vers : La petite Gitane, L’illustre Laveuse de vaisselle et Le Jaloux d’Estrémadure7. Chacune d’elles sera lue comme représentante d’une virtualité du prosimètre, qui correspond à différentes techniques d’écriture (combinaison des écritures ou vers en condensé et prose déliée). Les Nouvelles sont alors exemplaires d’un point de vue poétique, illustrant chacune différents effets d’écriture.
1. Le Jaloux d’Estremadure, technique de la condensation : la séduction de la musique et des vers
Aurora Egido, dans une reformulation étymologique toujours latente chez les exégètes du prosimètre, voit dans les vers un retour synthétique (versus) de ce que la dynamique de la prose (prorsa) a développé8. Ce pouvoir de condensation est particulièrement manifeste dans les œuvres qui présentent un nombre limité de vers ou de poèmes. Dans Le Jaloux d’Estrémadure, qui compte seulement une quarantaine de vers, Nadine Ly montre que c’est grâce à leur pouvoir que le jeune Loaysa a raison de l’eunuque noir qui garde la maison de Leonora, la jeune épouse du vieillard jaloux Carrizales. Loaysa, une fois dans la maison de la jeune fille, interprète la letrilla « Mère, ma bonne mère » :
C’est une chanson de femme en forme de glose qui fait entrer dans l’enceinte murée l’un de ces couplets traditionnels et enchanteurs (coplillas) qui, de tous temps, ont dit la force du désir réprimé […]. Il n’en faut pas plus pour ruiner la fantasmatique autorité du mari. Lui qui avait tout d’un père, le voici converti par la chanson en une instance maternelle, jalouse de la virginité de sa fille. La letrilla, loin d’être un ornement superflu, infléchit le sens du récit9.
La musique et les vers sont les instruments d’une stratégie de séduction de la part de l’enjôleur Loaysa, qui, grâce à la musique de sa guitare et aux romances qu'il interprète, parvient à pénétrer dans la maison du vieillard jaloux Carrizales, en feignant de vouloir donner des cours de musique à l’eunuque noir qui monte la garde. Les nombreux romances qui ont eu raison du gardien apparaissent dans le texte sous la forme d’allusions. Après une longue description des conditions dans lesquelles Carrizales a converti sa maison en forteresse et en couvent, les évocations de la musique et des airs traditionnels interprétés par Loaysa s’accumulent dans le récit. Voici le recensement des passages successifs où il est question de la musique et de ses effets :
Loaysa, sacaba una guitarrilla […], y, como él era algo músico, comenzaba a tañer algunos sones alegres y regocijados, mudando la voz por no ser conocido. Con esto, se daba priesa a cantar romances de moros y moras, a la loquesca, con tanta gracia, que cuantos pasaban por la calle se ponían a escucharle; [...] y Luis, el negro, poniendo los oídos por entre las puertas, estaba colgado de la música del virote, y diera un brazo por poder abrir la puerta y escucharle más a su placer: tal es la inclinación que los negros tienen a ser músicos10.
Loaysa sortait une petite guitare […], et, comme il était quelque peu musicien, il se mettait à jouer des airs pleins d’entrain et de gaieté, en changeant sa voix pour ne pas être reconnu. Là-dessus, il s’empressait de chanter des romances d'échanges bouffons entre des maures et leurs dames, et ce, de si bonne grâce que tous ceux qui passaient dans la rue prenaient place pour l’écouter […]. Quant à Luis, le nègre, l’oreille aux aguets dans l’entre-deux-portes, il était suspendu à la musique du dard pointu, et eût donné un bras pour ouvrir la porte et l’écouter plus à loisir ; tant les nègres ont d’inclination à être musiciens11 !
La musique charme naturellement tous les passants qui deviennent des auditeurs et à plus forte raison le gardien, condamné par sa fonction à être immobile, et littéralement charmé par les vers. Les deux hommes engagent le dialogue, chacun d’un côté de la porte, pour parler de la musique. La promesse de la chanson prochaine devient la clé qui permettra de franchir la porte interdite :
y ahora [dijo Luis] no me dejéis de cantar algo, porque me vaya a acostar con gusto […]
− [...] y por ahora [dijo Loaysa] escuchad esta tonadilla, que cuando esté dentro veréis milagros.
[…]
Y, acabado este largo coloquio, cantó Loaysa un romancito agudo, con que dejó al negro tan contento y satisfecho, que ya no veía la hora de abrir la puerta12.
et dès à présent [dit Luis] ne laissez pas de me chanter quelque chose, afin que je m’en aille au lit tout aise […]
— […] écoutez-moi cette chansonnette [dit Loaysa]. Quand je serai à l’intérieur, je vous ferai voir des merveilles !
[…]
Le long colloque terminé, Loaysa chanta un petit romance subtil, dont le nègre fut si content et si aise qu’il ne se tenait déjà plus d’attendre l’ouverture de la porte13.
L’effet va crescendo : le gardien est littéralement « hors de lui » (« fuera de sí »), abandonnant déjà un peu le soin de la forteresse :
Encendió luego Luis un torzal de cera y, sin más aguardar, sacó su guitarra Loaysa; y, tocándola baja y suavemente, suspendió al pobre negro de manera que estaba fuera de sí escuchándole14.
Luis alluma aussitôt une torche de cire, et Loaysa, sans plus attendre, sortit sa guitare, et en joua tout bas et tout doux. Le pauvre nègre en fut si saisi qu’il demeurait extasié à l’écouter15.
Un progrès supplémentaire est souligné dans l’auditoire, puisque l’eunuque est accompagné des servantes de la maison, postées derrière le tour de la porte pour écouter en « troupeau » (« rebaño »), dont le musicien devient le berger. Les effets envoûtants de la musique ont bel et bien traversé les murailles de la forteresse voulue par le mari jaloux.
tocando mansamente la guitarra, tales sones hizo que dejó admirado al negro y suspenso el rebaño de las mujeres que le escuchaba16
jouant tout doux de la guitare, il en tira de tels sons qu’il laissa le nègre émerveillé, et en suspens le troupeau de femmes qui l’écoutaient17
Cette fois, la jeune Leonora, objet du désir du poète, est présente et les servantes pressent leur maîtresse de trouver un moyen pour faire entrer le musicien pour pouvoir l’entendre encore :
tomó Loaysa la guitarra, y cantó aquella noche tan estremadamente, que las acabó de dejar suspensas y atónitas a todas, así a la vieja como a las mozas18
Loaysa prit la guitare et chanta cette nuit-là si superbement qu’il acheva de les laisser toutes en suspens et bouche bée, tant la vieille que les jeunes19
Seul l’effet des vers est décrit par le narrateur, qui insiste sur la séduction que la musique et les chansons de Loaysa exercent sur les personnages condamnés à l’enfermement (« suspendu », « saisi », « extasié », « émerveillé », « en suspens et bouche bée »). La stratégie d’écriture ne consiste donc pas à accumuler des vers à la façon d’un exercice de style que la tradition permet et encourage, mais bien à distiller les vers comme une substance signifiante. Ce n’est qu’une fois dans les appartements, après que Leonora a endormi Carrizales à l’aide d’un onguent, que Loaysa est encouragé par la duègne Marialonso à interpréter une chanson :
En esto, la dueña tomó la guitarra, que tenía el negro, y se la puso en las manos de Loaysa, rogándole que la tocase y que cantase unas coplillas que entonces andaban muy validas en Sevilla, que decían: Madre, la mi madre, / guardas me ponéis. Cumplióle Loaysa su deseo. Levantáronse todas y se comenzaron a hacer pedazos bailando. Sabía la dueña las coplas, y cantólas con más gusto que buena voz; y fueron éstas:
Madre, la mi madre,
guardas me ponéis;
que si yo no me guardo,
no me guardaréis. Dicen que está escrito, y con gran razón,
ser la privación causa de apetito; crece en infinito encerrado amor; por eso es mejor
que no me encerréis; que si yo no me guardo, no me guardaréis20.
Là-dessus la duègne prit la guitare que tenait le nègre et la plaça entre les mains de Loaysa, le priant d’en jouer, et de chanter certains petits couplets qui étaient alors fort prisés à Séville, et qui disaient : « Mère, ma bonne mère, qui m’entourez de gardes. » Loaysa exauça son désir et les voilà qui toutes se lèvent, et dansent à se désosser. La duègne savait les couplets, et les chanta, avec plus de plaisir que de voix, de la sorte :
Mère, ma bonne mère, qui m’entourez de gardes, si moi je ne me garde, point ne me garderez !
On dit qu’il est écrit, non sans bonnes raisons, que c’est la privation
qui cause l’appétit. L’amour, d’être enfermé, infiniment grandit.
C’est pourquoi il ne sied
que vous m’enfermiez :
si moi je ne me garde,
point ne me garderez21 !
Les vers décrivent la situation diégétique, faisant de Carrizales, le vieillard époux d’une très jeune fille, une mère jalouse. L’incitation de la duègne, qui convoite le jeune homme, lui sert à manifester son désir avant de l’annoncer explicitement au jeune séducteur (« No quiso la buena dueña perder la coyuntura que la suerte le ofrecía de gozar, primero que todas, las gracias que ésta imaginaba que debía tener el músico22 » ; « La brave duègne ne voulut pas gâcher l’occasion que le sort lui offrait de jouir avant toute autre de tous les attraits qu’elle prêtait en imagination au musicien23 »). Le poème a aussi un rôle de mise en garde sur la suite prévisible des événements. La fin du récit se précipite après la letrilla, lorsque Carrizales à son réveil découvre son épouse endormie dans les bras du séducteur et succombe peu après par la force du choc reçu. L’annonce du danger de la chute de Leonora à trop vouloir la préserver est mortelle à son époux, même si elle a préservé son innocence (« las fuerzas villanas de su astuto engañador [...] no fueron bastantes en vencerla24 » ; « les viles forces de son rusé séducteur […] ne suffirent pas à vaincre sa résistance25 »). La poésie et la musique s’imposent comme instruments de mise en garde et de séduction. L’utilisation par le poète-séducteur du pouvoir de son chant à la manière des sirènes est suggérée par l’écriture, qui montre que le prosimètre, au-delà d’un jeu stylistique, est une savante question de dosage.
2. L’illustre Laveuse de vaisselle : retour spéculaire sur le prosimètre
Le cadre picaresque de l’auberge dans L’illustre Laveuse de vaisselle offre une autre déclinaison du prosimètre : elle présente quatre poèmes, relativement étendus. Ils sont au centre de la nouvelle et se succèdent à quelques pages d’écart. La seule composition italianisante, le sonnet galant récité au son d’une harpe par le fils du corrégidor pour la belle Costanza, l’« illustre laveuse de vaisselle », est aussitôt raillé par l’assistance :
uno de los que a la reja estaban [dijo]: "¡Que tan simple sea el hijo del Corregidor que se ande dando músicas a una fregona! Verdad es que ella es de las más hermosas muchachas que yo he visto, y he visto muchas; mas no por esto había que solicitarla con tanta publicidad26.
l’un de ceux qui se tenaient aux grilles [dit] : « Faut-il être qu’il soit nigaud, le fils du corrégidor, pour aller ainsi donner la sérénade à une laveuse de vaisselle ! Il est vrai qu’elle est une des plus belles filles que j’aie jamais vues, moi qui en ai vu des quantités! Mais ce n’était pas une raison pour faire tout ce tintamarre, histoire de la courtiser27 !
Le texte souligne le manque d’adéquation du poème avec le cadre de l’histoire : un poème galant n’a pas sa place dans l’univers de l’auberge. La chanson traditionnelle qui suit apparaît comme le contrepoint de cette pièce. Le jeune gentilhomme Diego de Carriazo, devenu le pícaro Lope l’Asturien pour le plaisir de l’aventure, est requis pour chanter une chanson au son de sa guitare lors d’une soirée :
De tal manera tocaba la guitarra Lope, que decían que la hacía hablar. Pidiéronle las mozas, y con más ahínco la Argüello, que cantase algún romance; él dijo que, como ellas le bailasen al modo como se canta y baila en las comedias, que le cantaría, y que, para que no lo errasen, que hiciesen todo aquello que él dijese cantando y no otra cosa. [...] Mondó el pecho Lope, escupiendo dos veces, en el cual tiempo pensó lo que diría; y, como era de presto, fácil y lindo ingenio, con una felicísima corriente, de improviso comenzó a cantar desta manera:
Salga la hermosa Argüello,
moza una vez, y no más;
y, haciendo una reverencia,
dé dos pasos hacia atrás28.
Lope jouait si bien de la guitare qu’on disait qu’il la faisait parler. Il lui fut demandé par les servantes, et plus ardemment encore, par la Argüello, de chanter quelque romance, il répondit que, si elles le dansaient comme on le chante et danse au théâtre, il en chanterait un, [...]. Lope se récura la gorge en crachant par deux fois, le temps de songer à ce qu’il dirait, et comme il avait de l’à-propos, de la facilité et un bel esprit, qui jaillissaient avec beaucoup de bonheur et de verve, il se mit à improviser la chanson suivante :
Que la belle Argüello s’avance
— jeune une seule et bonne fois —, qu’elle tire sa révérence,
et puis recule deux pas29 !
Le contexte d’insertion de la chanson constitue un détournement de la présentation traditionnelle de l’interprétation de poèmes30. Le moment de recueillement traditionnel avant un poème, que constitue le temps de l’accord de l’instrument et de la voix, se change en crachats qui donnent une contenance à l’interprète, le temps de trouver une idée. Le chanteur adresse une chanson à sa fausse belle31, en accord avec la description de la Argüello qu’il a faite à son ami Tomás juste avant la soirée32. Au moment où Lope s’apprête à « poursuivre avec d’autres chansons de plus de poids, de substance et de prix que celles qu’il venait de chanter33 » (« pasar adelante cantando otras cosas de más tomo, sustancia y consideración de las cantadas34 »), la chanson est étouffée par les injures de l’assistance et un début de bagarre, entre les hommes qui regardent la danse et enjoignent Lope de se taire (« ¡Calla borracho! ¡Calla, cuero! ¡Calla, odrina, poeta de viejo, músico falso! » ; « Tais-toi, ivrogne ! Tais-toi, bonbonne ! Tais-toi, sac-à-vin, poète de brocante, faux musicien ! ») et les garçons muletiers fâchés de l’interruption (« los mozos de mulas lo tuvieron tan mal, que si no fuera por el huésped […] allí fuera la de Mazagatos » ; « les valets muletiers le prirent, eux, si mal que sans l’intervention de l’aubergiste [...] c’eût été la Grande Peignée des Matous ! »). La scène fait place à l’interprétation d’une autre chanson, introduite cette fois de façon tout à fait canonique :
llegó a los oídos de todos los que en el barrio despiertos estaban una voz de un hombre que, sentado sobre una piedra, frontero de la posada del Sevillano, cantaba con tan maravillosa y suave armonía, que los dejó suspensos y les obligó a que le escuchasen hasta el fin. [...] lo que el músico cantó fue este romance:
¿Dónde estás, que no pareces,
esfera de la hermosura,
belleza a la vida humana
de divina compostura35 ?
voici que parvint aux oreilles de tous ce qui ne fermaient pas l’œil dans le quartier, la voix d’un homme qui, assis sur une pierre, en face du logis du Sévillan, chantait avec une si admirable et harmonieuse douceur qu’ils en demeurèrent saisis, et ne purent que l’écouter jusqu’au bout. [...] ce que le musicien chanta fut le romance suivant :
Où donc es-tu, parfaite sphère,
ô beauté qui te dissimule,
privant le monde des humains
de ta divine contexture36 ?
Le romance pour Costanza est diversement apprécié, puisque le narrateur indique que, d’une part, il est récompensé par des jets de briques de la part de Barrabas le muletier, et que, d’autre part, les auditeurs apprécient la voix de l’interprète et le gentilhomme déguisé Tomás Pedro admire les vers :
El acabar estos últimos versos y el llegar volando dos medios ladrillos fue todo uno; que, si como dieron junto a los pies del músico le dieran en mitad de la cabeza, con facilidad le sacaran de los cascos la música y la poesía. [...] A todos los que escuchado habían la voz del apedreado, les pareció bien; pero a quien mejor, fue a Tomás Pedro, que admiró la voz y el romance37.
Achever ces vers et voir venir par les airs deux moitiés de brique, ce fut tout un. Eussent-elles chu, au lieu de choir aux pieds mêmes du musicien, en plein milieu de sa tête, qu’elles auraient eu vite fait de déloger de sa caboche et musique et poésie ! [...] Tous ceux qui avaient écouté la voix du lapidé l’avaient appréciée, mais nul autant que Tomás Pedro, qui admira la voix et le romance38.
Une longue tirade de Barrabas introduit un autre point de vue sur Costanza, faisant d’elle un portrait, en opposition aux vers, qui insiste sur l’inconvenance de la célébrer comme une dame, alors qu’elle est une souillon :
¿quién diablos te enseñó a cantar a una fregona cosas de esferas [« esfera de la hermosura », v. 2] y de cielos [« cielo empíreo », v. 5], llamándola lunes y martes [« resplandor de la luna », v. 40], y de ruedas de fortuna [« envidian vuestra fortuna / las soberbias por linaje », v. 50-51]? Dijérasla, enhoramala para ti y para quien le hubiere parecido bien tu trova, que es tiesa como un espárrago, entonada como un plumaje, blanca como una leche, honesta como un fraile novicio, melindrosa y zahareña como una mula de alquiler, y más dura que un pedazo de argamasa; que, como esto le dijeras, ella lo entendiera y se holgara; pero llamarla embajador [« grave embajador », v. 33], y red [« red invisible y sutil », v. 25], y moble [« primer moble», v. 7], y alteza y bajeza [« la alteza con que encumbran / el gran Jove », v. 22-23], más es para decirlo a un niño de la dotrina que a una fregona39.
Qui diable t’a appris à dégoiser à une laveuse de vaisselle ces chansons pleines de sphères, et de cieux, et de lundis, mardis et roues de la fortune comme façon de nommer ? Ah ! si tu avais dit — hou les cornes pour toi et pour tout amateur de tes rimailleries ! — qu’elle est droite comme une asperge, rengorgée comme un plumage, blanche comme un laitage, chaste comme un moinillon novice, minaudière et ombrageuse comme une mule de louage, et plus dure qu’un morceau de mortier, oui, si tu lui avais dit cela, elle aurait compris, elle aurait aimé ! Mais l’appeler ambassadrice, et filet, et mobile, et altesse et bassesse, mieux vaut dire cela à un écolier de l’orphelinat qu’à une laveuse de vaisselle40.
Chaque fois qu’il désigne la jeune femme, Barrabas reprend les métaphores courtoises en contrepoint. Ainsi peut-on retrouver très exactement :
Réplique de Barrabas |
Romance |
« sphères » |
parfaite sphère (v. 1) |
« cieux » |
ciel empyrée (v. 5) |
« lundis et mardis » |
la splendeur du clair de lune (v. 40) |
« roues de la fortune » |
jalousent votre fortune / celles qui font sonner leur race (v. 50-51) |
« ambassadrice » |
grave ambassadrice (v. 33) |
« filet » |
filet invisible et subtil (v. 25) |
« mobile » |
mobile premier (v. 7) |
« altesse et bassesse » |
trône altier (v. 22) |
Barrabas trouve les comparaisons qui relèvent de l’univers de la terre (l’asperge, le lait, la mule, le mortier) plus convenables que les éléments d’un blason.
Les coups et les insultes viennent clore aussi bien le poème grivois que le poème galant récités dans la soirée. L’auditoire présente des réactions mitigées, entre le plaisir à les écouter et les manifestations physiques très concrètes de ce plaisir (danse effrénée d’une part et écoute immobile d’autre part), et l’expression verbale et physique de l’agacement qu’ils provoquent. Le poème licencieux, inconvenant pour les auditeurs masqués, est apprécié par les garçons muletiers ; le poème courtois est apprécié par Tomás Pedro, gentilhomme déguisé, mais semble inconvenant au garçon muletier Barrabas, dont la critique remporte l’adhésion de tous (« Todos los que escucharon a Barrabás recibieron gran gusto, y tuvieron su censura y parecer por muy acertado41 » ; « Tous ceux qui écoutèrent Barrabas y prirent grand plaisir, et tinrent pour fort judicieux son avis et sa censure42 »), comme si le poème d’amour ne pouvait convenir à Costanza qu’une fois sa véritable identité noble révélée43. Le désaccord poétique repose sur le mélange des milieux provoqué par le déguisement de Carriazo et d’Avendaño en pícaros et par la présence de Costanza, jeune fille noble déguisée en souillon depuis sa naissance jusqu’à ce que sa famille vienne la remettre à sa place sociale. Le désordre de l’intrigue est pointé du doigt par le jugement négatif que porte chaque poème sur la catégorie de personnages à laquelle il ne convient pas. Les poèmes pour célébrer la beauté de Costanza auront leur juste place à l’issue de l'histoire, comme l’indique le narrateur : « Dio ocasión la historia de la fregona ilustre a que los poetas del dorado Tajo ejercitasen sus plumas en solenizar y en alabar la sin par hermosura de Costanza44 » (« L’histoire de l’illustre laveuse de vaisselle donne l’occasion aux poètes du Tage doré d’exercer leurs plumes à solenniser et à exalter l’incomparable beauté de Costanza45 »). Les personnages montrent que le prosimètre est à la fois une sorte d’intrus et un révélateur de l’ordre caché dans certaines circonstances diégétiques.
3. La petit Gitane, technique de combinaison : la tradition revisitée
La petit Gitane est la nouvelle qui contient le nombre le plus élevé de poèmes. La combinaison de prose et de vers devrait donc apparaître sous son jour le plus traditionnel : les vers alternent plus fréquemment avec la prose et la présence de vers correspond à l’univers gitan, traditionnellement représenté comme enclin à la danse et au chant. Dès l’incipit les poèmes apparaissent définis comme la principale source de revenus de la petite Gitane Preciosa :
Salió Preciosa rica de villancicos, de coplas, seguidillas y zarabandas, y de otros versos, especialmente de romances, que los cantaba con especial donaire. Porque su taimada abuela echó de ver que tales juguetes y gracias, en los pocos años y en la mucha hermosura de su nieta, habían de ser felicísimos atractivos e incentivos para acrecentar su caudal46.
Preciosa devint riche de villanelles, couplets, séguedilles, sarabandes et autres sortes de chansons, plus spécialement des romances, qu’elle chantait avec une grâce particulière. Comme la matoise grand-mère se rendait bien compte que toutes ces amusettes et divertissements, avec le si jeune âge et la grande beauté de sa petite-fille, seraient d’heureux et alléchants appâts pour faire prospérer son bien47.
Le prosimètre est donc motivé par le fait que la poésie devient un gagne-pain, ce qu’elle n’est nulle part ailleurs, poète et pauvre étant quasiment synonymes. « Riches de villanelles, etc. » est donc à comprendre au pied de la lettre : elle connaît beaucoup de poèmes, qui font sa fortune. Quand les gitanes dansent pour attirer la foule, Preciosa propose d’interpréter un romance comme le clou du spectacle :
— Si me dan cuatro cuartos, les cantaré un romance yo sola, lindísimo en estremo, que trata de cuando la Reina nuestra señora Margarita salió a misa de parida en Valladolid y fue a San Llorente.
[...] Apenas hubo dicho esto, cuando casi todos los que en la rueda estaban dijeron a voces: « ¡Cántale, Preciosa, y ves aquí mis cuatro cuartos! » Y así granizaron sobre ella cuartos, que la vieja no se daba manos a cogerlos. Hecho, pues, su agosto y su vendimia, repicó Preciosa sus sonajas y, al tono correntío y loquesco, cantó el siguiente romance:
Salió a misa de parida
la mayor reina de Europa,
en el valor y en el nombre
rica y admirable joya.
[...] Apenas acabó Preciosa su romance, cuando del ilustre auditorio y grave senado que la oía, de muchas se formó una voz sola que dijo: « ¡Torna a cantar, Preciosica, que no faltarán cuartos como tierra48! »
— Si l’on me donne quatre sols, je chanterai, moi seule, un romance, très très joli, qui traite du jour où Margarita, notre reine, se rendit à Saint Laurent, à Valladolid, pour sa messe de relevailles.
[…] À peine eut-elle dit cela que presque tous ceux qui étaient là autour se mirent à crier : « Chante-le Preciosa, voilà mes quatre sols ! » Une grêle de pièces s’abattit sur elle, et la vieille n’avait pas assez de ses deux mains pour les ramasser. Moisson et vendanges faites, Preciosa fit résonner les grelots de son tambourin et, sur le ton de la ballade, à la fofolle, chanta le romance suivant :
La plus grande reine d’Europe
par sa valeur et par sa gloire
s’en alla, joyau sans égal,
à sa messe de relevailles.
[…] À peine Preciosa eut-elle achevé son romance que, de toutes les voix de l’illustre auditoire et noble assemblée qui l’écoutait, il s’en forma une seule pour dire : « Recommence à chanter, Preciosica, tu vas récolter des pièces à gogo49 ! »
Dire les poèmes est le métier de Preciosa, sans qu’elle soit poète elle-même : elle met à profit son talent d’interprète et négocie le tarif de ses prestations avec un page qui lui propose de faire figurer un poème dans son répertoire qu’il a composé pour elle :
— mire, señor, que no me deje de dar los romances que dice, con tal condición que sean honestos; y si quisiere que se los pague, concertémonos por docenas, y docena cantada y docena pagada; porque pensar que le tengo de pagar adelantado es pensar lo imposible50.
— écoutez, monsieur, donnez-moi sans faute les romances que vous dites, mais à condition qu’ils soient honnêtes, et si vous voulez que je vous les paye, mettons- nous d’accord sur la douzaine, douzaine chantée, douzaine payée, parce que s’imaginer que je vais payer d’avance, c’est croire à l’impossible51.
Les poèmes sont monnayés, ils sont la marchandise de Preciosa. Lors de la lecture du poème d’amour écrit dans le billet du page, l’argent éclipse les tendres paroles : dans la salle de jeux où les jeunes gitanes sont entrées dans l’espoir d’obtenir quelques pièces, un gentilhomme lit le poème, après avoir découvert que le billet contenait un écu d’or. Le seul commentaire de Preciosa sur ce poème d’amour concerne le dernier vers :
Preciosa joya de amor,
esto humildemente escribe
el que por ti muere y vive,
pobre, aunque humilde amador.
— En « pobre » acaba el último verso — dijo a esta sazón Preciosa —: ¡mala señal! Nunca los enamorados han de decir que son pobres, porque a los principios, a mi parecer, la pobreza es muy enemiga del amor52.
Preciosa, ô joyau d’amour,
voilà ce qu’humblement écrit
celui qui pour toi meurt et vit,
pauvre mais humble amant toujours.
— Sur pauvre finit le dernier vers, dit alors Preciosa, mauvais signe ! Jamais les amoureux ne doivent dire qu’ils sont pauvres, parce que dans les débuts, ce me semble, la pauvreté est grande ennemie de l’amour53.
Preciosa, par l'acuité de ses réflexions, force l’admiration de l’assistance et en retire un nouveau bénéfice (« cogió la hucha de la vieja treinta reales54 » [La sébile de la vieille récolta trente réaux55]). Insensible aux mots d’amour, Preciosa se montre au début de la nouvelle comme une interprète professionnelle, mue par ses intérêts ; elle se sert de la séduction des vers et de l’interprétation qu’elle en fait mais elle n’est nullement touchée par eux. La nouvelle montre un prosimètre renouvelé : elle met en scène la forme traditionnelle comme une source de profit, comme si le poète considérait son activité créatrice dans le miroir de la fiction.
Une seconde entrevue permet au page de donner à Preciosa une leçon de poésie, ce qui introduit dans l’intrigue une association toute nouvelle entre poésie et richesse :
— Hase de usar de la poesía como de una joya preciosísima, cuyo dueño no la trae cada día, ni la muestra a todas gentes, ni a cada paso, sino cuando convenga y sea razón que la muestre. La poesía es una bellísima doncella, casta, honesta, discreta, aguda, retirada, y que se contiene en los límites de la discreción más alta. Es amiga de la soledad, las fuentes la entretienen, los prados la consuelan, los árboles la desenojan, las flores la alegran, y, finalmente, deleita y enseña a cuantos con ella comunican.
— Con todo eso — respondió Preciosa —, he oído decir que es pobrísima y que tiene algo de mendiga.
— Antes es al revés — dijo el paje —, porque no hay poeta que no sea rico, pues todos viven contentos con su estado: filosofía que la alcanzan pocos. [...] Tomad, preciosa perla, este segundo papel y este escudo segundo que va en él [...].
Sacó Preciosa el escudo del papel, y quedóse con el papel56.
— Il faut se servir de la poésie comme d’un bijou de grande valeur, que son possesseur ne porte pas tous les jours et qu’il n’étale pas devant tout le monde, ni à tout bout de champ, mais seulement quand il est bienséant de le porter, et qu’il y a une raison à cela. La poésie est une pucelle d’une exquise beauté, chaste, honnête, sage, fine, réservée, qui se maintient dans les limites de la plus haute discrétion. Elle se plaît à la solitude, muse parmi les ruisselets, se console dans les près, se délasse parmi les arbres, se réjouit parmi les fleurs et fait les délices enfin, et le profit, de tous ceux qui aiment sa compagnie.
— Malgré tout, répondit Preciosa, j’ai entendu dire qu’elle était très pauvre, au point d’en être réduite à la mendicité.
— C’est plutôt le contraire, dit le page, car il n’y a point de poète qui ne soit riche ; tous sont contents de leur état, philosophie à laquelle accèdent bien peu. [...] Tenez, précieuse perle, prenez ce second papier et ce second écu qui est plié dedans [...].
— [rendant l’écu] on a plus vite fait de se passer d’un écu, de quelque teneur qu’il soit, que d’un romance de bonne facture. [...]
Preciosa enleva l’écu de son pli, et garda le papier57.
L’affinité entre la définition de la poésie et le personnage de Preciosa, dont le nom et les caractéristiques résonnent tout au long des paroles du poète (en espagnol « hase de usar de la poesía como de una joya preciosísima »), apparaît de façon évidente. Un tournant poétique se produit à partir du moment où elle accepte de rendre l’écu qui accompagne le texte que lui offre le poète : elle accepte la poésie comme une richesse, mais non plus comme au départ, elle est maintenant « riche d’un poème », mais au sens figuré. C’est à partir de ce moment qu’elle est disposée à recevoir la cour d’Andrés, à qui elle demande de partager sa vie de gitane pendant deux ans avant d’accepter de devenir sa femme58.
Les deux rencontres avec le page montrent un retournement de son rapport à la poésie : Preciosa va différencier la poésie de métier, qu’elle monnaye, de la poésie intime, qui n’a pas de prix. Le dernier poème de la nouvelle, des redondillas de Preciosa interprétées en réponse au chant amébée de ses deux prétendants, est finalement le seul à apparaître dans un contexte tout à fait traditionnel :
Sucedió, pues, que, estando el aduar alojado en un valle cuatro leguas de Murcia, una noche, por entretenerse, sentados los dos, Andrés al pie de un alcornoque, Clemente al de una encina, cada uno con una guitarra, convidados del silencio de la noche, comenzando Andrés y respondiendo Clemente, cantaron estos versos:
ANDRÉS
Mira, Clemente, el estrellado velo
[...]
Señales iban dando de no acabar tan presto el libre y el cautivo, si no sonara a sus espaldas la voz de Preciosa, que las suyas había escuchado. Suspendiólos el oírla, y, sin moverse, prestándola maravillosa atención, la escucharon. Ella [...] con estremada gracia, como si para responderles fueran hechos, cantó los siguientes:
En esta empresa amorosa,
donde el amor entretengo,
por mayor ventura tengo
ser honesta que hermosa59.
C’est ainsi qu’un soir, alors que le douar était installé dans un val, à quatre lieues de Murcie, pour se distraire, tous deux assis, Andrés au pied d’un chêne-liège et Clemente au pied d’un chêne, chacun avec sa guitare, conviés par le silence de la nuit, Andrés pour commencer et Clemente lui répondant, ils chantèrent les vers que voici :
ANDRÉS
Ô Clemente, regarde le voile étoilé
[…]
Rien n’indiquait que tous deux, le libre et le captif, allaient en terminer de si tôt si ne s’était élevée derrière eux la voix de Preciosa, qui avait écouté les leurs : surpris de l’entendre, ils s’arrêtèrent, et, sans bouger, merveilleusement attentifs, l’écoutèrent. Elle […] avec une grâce extrême, comme s’ils avaient été faits pour leur répondre, chanta [les vers] que voici :
En ces amoureuses conquêtes
où l’amour fougueux je contiens,
pour meilleure chance je tiens
bien plus que belle d’être honnête60.
La poésie apparaît finalement comme un divertissement désintéressé et comme un moyen d’exprimer ses sentiments quand elle est proférée dans l'intimité et dans la nature, conformément à la leçon de Clemente (« Es amiga de la soledad, las fuentes la entretienen, los prados la consuelan, los árboles la desenojan, las flores la alegran61 » ; « Elle se plaît à la solitude, muse parmi les ruisselets, se console dans les près, se délasse parmi les arbres, se réjouit parmi les fleurs62 »). La nouvelle est close comme par une dernière révérence au prosimètre le plus traditionnel, le pastoral, largement métacommenté et manipulé mais aussi profondément admiré. Dans ce retour à la situation la plus traditionnelle, celle du chant d’amour alterné dans le cadre du locus amoenus, le prosimètre n’est pas un simple hommage mais une sorte de rappel. Tout au long de la nouvelle il a été question de la valeur de la poésie, valeur marchande, objet de travail, objet d’art et vecteur de l’expression des plus profonds sentiments de l’âme. La poésie fait partie de l’intrigue, le débat sur sa pertinence n’a pas lieu d’être. Le texte est un prosimètre et en devient une théorie en contexte : il se définit comme un entrelacs nécessaire, un réseau signifiant ancré dans une tradition et aussi dans son époque.
La forme brève de la nouvelle permet au prosimètre de se montrer dans toute sa souplesse et sa variété. Cervantès l’utilise comme soupape de légèreté et de rire, soulignant la vie de cette forme d’écriture et prenant tout à la fois une distance vis-à-vis de la tradition. Tout au long de ces exemples, il appert que le prosimètre cervantin s’accompagne toujours de son propre métadiscours. Les trois nouvelles étudiées montrent que le prosimètre obéit chez Cervantès à ses propres règles : la poésie, dont la présence est constante, tantôt allusive tantôt explicite, intervient seulement quand elle est nécessaire à l’intrigue, dont elle infléchit le cours. La forme condensée de quelques dizaines de vers suffit ainsi à en dire long sur la trame du Jaloux d’Estrémadure, ramassant les descriptions diégétiques de la situation (le vieux mari jaloux castré, les tentations de l’amour pour la jeune femme) et agissant comme moteur du dénouement. Les deux poèmes d’inspiration courtoise de L'illustre Laveuse de vaisselle apparaissent encadrés par une prose qui souligne leur manque d’adéquation à l’univers diégétique picaresque, comme un antidote à la tradition de la cour par les vers, desquels tout le monde rit de bon cœur. Dans La petit Gitane, où les vers investissent davantage l’intrigue, Preciosa doit faire évoluer son point de vue sur la poésie, jugée d’abord à la façon de la pièce de monnaie mallarméenne, discours-gagne-pain, pour apprendre de la leçon du poète à considérer la poésie comme un discours de l’essentiel et de l’intime. L’ultime hommage à la tradition bucolique à la fin de La petit Gitane permet de lire l’ensemble des compositions du recueil écrites en prosimètre à la lumière nouvelle d’une écriture tout à fait remaniée et autoréflexive.