La ville de Troie dans l’épopée biblique d’Arator

DOI : 10.56078/atlantide.291

Resúmenes

Au VIème siècle, Arator écrit une paraphrase biblique en hexamètres qui suit la narration des Actes des Apôtres : le poète consacre le premier livre de son épopée à Pierre, tandis que dans la deuxième partie il expose les exploits de Paul. Lorsqu’il est en train de parler des voyages de ce dernier, Arator cite la ville de Troie, où a lieu l’épisode de la mort et de la résurrection d’Eutyche. Avant de décrire cet événement, l’auteur s’adresse directement à la ville de Troie, qui, d’après Arator, est digne d’être chantée bien plus à cause du miracle de saint Paul qu’à cause de toutes les entreprises des héros d’Homère, car le premier est un fait réel, tandis que les mythes élégamment narrés dans les épopées païennes appartiennent au domaine des ficta. Le personnage d’Eutyche peut donc être considéré comme une sorte de nouvel Elpénor : comme le héros homérique dont il est l’écho littéraire, ce jeune homme tombe du toit où il s’est endormi, mais les différences entre eux sont nombreuses et tendent toutes à montrer la supériorité de l’apôtre sur les héros païens.

In the 6th century, Arator wrote a biblical epos based on the Acts: in the first book he described Peter’s actions, while in the second part the main character is Paul. During the narration of his travels, Arator cites Troy, where, according to the Bible, Eutychus’ death and resurrection happened. Before describing this event, the author speaks directly to the city of Troy. Arator considers it a place to glorify thanks to the miracle of St. Paul and not because of the Homeric heroes: according to him, the former is a real event, whereas myths and pagan epic belong to ficta. Consequently Eutychus can be seen as a kind of new Elpenor: as his Homeric ‘model’, this young man falls from the roof where he is sleeping, but the differences between them are several and have the aim of showing the superiority of the Apostle on the pagan heroes.

Índices

Mots-clés

Arator, Elpenor, saint Paul, épique biblique

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1.  Tu quoque signa ferens : une apostrophe d’Arator à la ville de Troie

Au VIe siècle, le poète Arator écrit une paraphrase biblique1 en hexamètres qui suit la narration des Actes des Apôtres : il consacre le premier livre de son épopée à saint Pierre, tandis que dans la deuxième partie il expose les res gestae de saint Paul2. Il s’agit d’un poème épique sui generis, qui mêle la narration des événements néotestamentaires avec un commentaire de ces actions. En faisant cela, Arator inscrit son Historia apostolica à l’intérieur d’un genre bien connu à partir de Juvencus et Sédulius, mais il en augmente les traits exégétiques et allégoriques, dérivés des Pères3, au détriment des portions plus proprement narratives et descriptives.

Nous pouvons nous rendre compte de cette technique en lisant par exemple les soixante-huit vers du deuxième livre de son épopée dans lesquels le poète paraphrase le récit de la mort et de la résurrection d’Eutyche. Les Actes4 disent tout simplement que l’apôtre des Gentils, après avoir quitté Philippes, arrive à Troie, parle longtemps à l’assemblée des fidèles et prolonge son discours jusqu’à minuit. Un des hommes réunis dans la chambre, qui se trouve en haut de la maison, s’endort pendant qu’il est assis sur le bord d’une fenêtre et tombe du troisième étage : tout le monde croit qu’il est mort, mais Paul le ressuscite avec un grand soulagement général.

Or, comme l’a montré B. Bureau5, Arator ne raconte pas seulement les événements de la mort de ce personnage et sa résurrection, mais fait succéder alternativement à cette narration « une longue interpretatio du thème de la chute », « un commentaire quasiment allégorique de ces circonstances » et « une double exégèse du passage, en deux parties enchaînées, à partir du thème de l’arche de Noé et à partir des Épîtres de Paul »6.

2.  Entre guerre et poésie

Toutefois, avant toutes ces considérations, l’auteur consacre le début de ce passage au sujet d’Eutyche à une apostrophe qu’Arator en personne adresse à la ville de Troie : il ne s’agit que de quatre hexamètres, qui néanmoins montrent très efficacement le changement culturel capital de cette période envers tout ce que la légende de Troie représente. Au vers 753, en fait, le poète affirme:

Tu quoque signa ferens titulos in carmine nostro,
Troia, repone tuos et laudibus adde triumphos,
qui magis ex uero fulgent tibi clarius actu
quam quae pomposo reboant tua bella cothurno7.

La ville de Troie est évoquée prioritairement par des mots qui appartiennent – ou peuvent être attachés aussi – au domaine de la guerre : les signa du v. 753, avec le verbe ferre, indiquent les signaux, les enseignes et les drapeaux des combattants ; le terme titulus fait référence à l’honneur que la ville a obtenu en tant qu’objectif du plus célèbre des conflits ; les triomphes rappelés au vers suivant sont les victoires militaires des Grecs et des Troyens, objet de nombreux chants. En fait, à la sphère sémantique de la guerre répondent, d’une façon tout à fait traditionnelle, des expressions qui précisent ce qui rend grands ces événements, à savoir la poésie. Le carmen du v. 753, les louanges du v. 754, l’idée remarquée de la clarté dans l’hexamètre suivant, et surtout la référence au pomposo… cothurno du dernier vers sont autant de formules qui renvoient à la poésie.

Cependant, si Arator utilise correctement le mot carmen lorsqu’il fait allusion à son épopée, il faudrait s’interroger à propos de l’usage du terme « cothurne ». Il me semble étrange que le poète ait dans l’esprit la tragédie latine de sujet grec, qui est nommé fabula cothurnata : nous savons que Livius Andronicus, Névius, Ennius, Lucius Accius, Pacuvius et même Sénèque avaient écrit beaucoup de tragédies qui concernaient des thèmes troyens, mais il est difficile de croire qu’Arator pense à ces drames anciens et pour la plupart – sauf Sénèque – peu connus à l’époque du notre auteur. Le terme désignerait alors le style soutenu (c’est pourquoi Arator utilise l’adjectif pomposus) qui est typique à la fois de la tragédie et du poème épique : les deux épopée grecques par excellence, d’ailleurs, l’Iliade et l’Odyssée, narrent des événements ou des personnages liés à la guerre de Troie, ainsi que des œuvres latines du même genre comme l’Énéide virgilienne, l’Ilias Latina ou bien l’Achilléide de Stace. C’est très probablement à ces ouvrages qu’Arator pense comme à des sources thématiques8.

Mais – s’interroge Arator – les guerres et les combats décrits dans ces poèmes païens sont-ils de véritables triomphes ? Les louanges des poètes anciens sont-elles effectivement méritées ? L’auteur de l’Historia apostolica n’est pas de cet avis : selon lui, Troie reçoit bien plus de gloire du miracle authentique (v. 755 ueru… actu) de la résurrection d’Eutyche que des entreprises mythologiques narrées avec emphase (v. 756 pomposo reboant… cothurno) par les poètes classiques. À ce propos, il faut souligner que pour les anciens la chute de Troie est un événement réel, un des plus importants renversements de l’histoire universelle : cela vaut aussi pour les Pères de l’Église9. Pour eux c’est la façon dans laquelle les poètes ont raconté ce fait qui ne peut pas être considérée comme vraie. C’est pourquoi, par exemple, ils ont accordé plus d’attention aux Héroïques de Philostrate ou bien aux traductions latines de Dictys de Crète et Darès le Phrygien (qui prétendaient être des témoins directes de la guerre de Troie !) qu’à Homère et Virgile10.

Donc, d’après notre auteur chrétien, le miracle de saint Paul qui a eu lieu dans la ville de Troie est plus important et digne d’être chanté que toutes les entreprises des héros de l’épopée traditionnelle, car le premier est un factum, tandis que les mythes élégamment narrés par les légendes païennes appartiennent au domaine des ficta11.

Arator est bien conscient de cette différence. Dans la lettre dédicatoire en distiques élégiaques adressée au pape Vigile, qui précède dans la plupart des manuscrits l’Historia apostolica, il dit qu’il veut décrire les gestes des apôtres en suivant la narration des Actes et en confectionnant ainsi des carmina uera12. Par conséquent, avec sa prétention de représenter des faits réels, il s’inscrit consciemment dans la tradition inaugurée par Juvencus, qui oppose les actions authentiques du Christ et des saints aux mensonges des poètes anciens13. Arator se considère, en somme, comme un des ueros… uates nommés dans la lettre dédiée à son ami Parthénius, transmise par deux manuscrits parisiens14 : ils sont les poètes véridiques15 – parmi lesquels il rappelle Ambroise, Sidoine et (peut-être) Dracontius16 – que Parthénius et Arator lisaient dans les années de leur formation, à coté des œuvres des auteurs classiques, in quibus ars fallax, pompa superba fuit (v. 42).

Le lecteur s’apercevra que se répète dans ces vers le nom pompa, qui renvoie forcément au pomposo… cothurno du v. 756 : en outre, dans cette lettre, ce terme est associé à l’adjectif superbus et clarifié par le syntagme ars fallax, qui se trouve juste à coté et est mis en valeur par la césure du pentamètre.

Donc, tout ce qui est raconté par les écrivains païens est, d’après Arator, exagéré et artificiel : les poètes anciens sont, de ce point de vue, de vrais maîtres de mensonge. Déjà Sédulius, d’ailleurs, un siècle avant notre auteur, avait dit, dans les premiers hexamètres de sa paraphrase biblique, qu’il était tout à fait autorisé à chanter les louanges et les miracles du Christ. Si les poètes païens, grâce à leur astuces rhétoriques, pouvaient donner de la solennité à leur chants, qui étaient riches en épisodes inventés, celui qui récitait les gestes du Sauveur du monde ne devait pas se taire :

Cum sua gentiles studeant figmenta poetae
Grandisonis pompare modis, tragicoque boatu
Ridiculoue Geta seu qualibet arte canendi
Saeua nefandarum renouent contagia rerum
Et scelerum monumenta canant, rituque magistro
Plurima Niliacis tradant mendacia biblis:
Cur ego, Dauiticis assuetus cantibus odas
Cordarum resonare decem sanctoque uerenter
Stare choro et placidis caelestia psallere uerbis,
Clara salutiferi taceam miracula Christi?17

Encore une fois, aux figmenta (v. 17) et mendacia (v. 22) des auteurs classiques s’oppose la vérité des gestes saints ; à la rhétorique artificielle des poètes, à leur grandisonis… modis tragicoque boatu répondent les placidis… uerbis de Sédulius, qui parle de faits réels et utiles au monde entier. Le v. 756 du passage de l’œuvre d’Arator, pomposo reboant tua bella cothurno, renvoie clairement à cette préface de Sédulius : le verbe (pompare)18 devient là un adjectif (pomposus), le nom (boatus)19 se transforme en verbe (reboare).

3.  Eutyche nouvel Elpénor

Chez Arator, donc, le rapport entre les ouvrages classiques et les poètes chrétiens qui l’ont précédé est très vif : nous pouvons le voir au niveau de la littera et des choix sémantiques20, mais aussi dans un sens plus évident, qui concerne le contenu même de ce qu’Arator chante. C’est le cas des parallèles possibles entre deux épisodes – l’un païen, l’autre chrétien – très connus que le poète évoque lors qu’il décrit des événements néotestamentaires qui ont le même schéma (ou presque) qu’un fait narré dans un poème païen.

Le personnage d’Eutyche, par exemple, rappelle un des héros dont l’histoire est racontée dans l’Odyssée : il s’agit d’Élpenor, le plus jeune des compagnons d’Ulysse, qui, dit le rois d’Ithaque,

« alourdi par le vin, s’en était allé dormir sur la terrasse du temple de Circé. Au lever des mes gens, le tumulte des voix et des pas le réveille : il se dresse d’un bond et perd tout souvenir ; au lieu d’aller tourner par le grand escalier, il va droit devant lui, tombe du toit, se rompt les vertèbres du cou, et son âme descend aux maisons de l’Hadès »21.

Elpénor est la première parmi les âmes qu’Ulysse rencontre aux Enfers :

« la première qui vint fut l’ombre d’Elpénor. Il n’avait pas encore sa tombe sous la terre, au bord de grands chemins ; son corps était toujours au manoir de Circé, où nous avions eu là-bas besogne plus pressante. A sa vue, la pitié m’emplit les yeux de larmes et je dis, élevant la voix, ces mots ailés : Elpénor, te voici ! … aux brumes du noroît, tu nous as devancés ! … à pied, tu pus venir plus vite que moi-même avec mon noir vaisseau ! »

Le jeune homme, alors, raconte son triste destin et prie Ulysse de ne pas oublier son corps, mais de le brûler avec toutes ses armes et lui rendre les honneurs d’une sépulture, ce que le héros grec accepte de bon gré22. Ce personnage est cité une dernière fois dans l’Iliade (12, 10), lorsqu’Ulysse lui donne une sépulture : Virgile, ensuite, utilisera ces vers en tant que modèle pour décrire la sépulture de Misène en Aen., 6, 232-235.

Arator, donc, semble avoir choisi le miracle d’Eutyche non seulement parce que ceci est raconté dans les Actes, mais aussi parce qu’il rappelle un fameux épisode classique avec lequel le poète veut rivaliser et qu’il veut surclasser, selon un processus que nous pourrions qualifier, même si ce n’est pas stricto sensu, d’imitation contrastive23. C’est pourquoi, peut-être, le poète accorde beaucoup plus d’attention d’un point de vue quantitatif à cet événement que le texte sacré lui-même. Il est difficile de croire qu’Arator pouvait avoir sous les mains le texte grec de l’Odyssée, mais l’épisode d’Elpénor était sans aucun doute célèbre en Occident et pouvait donc être connu par un homme qui avait la formation culturelle d’Arator et de son public24.

Entre ces deux événements il y a des ressemblances évidentes : les deux hommes tombent d’un haut lieu de la maison au moment du réveil ; il sont tous les deux des adulescentes ; les compagnons de l’un et de l’autre sont tristes car ils ont perdu une jeune vie. Toutefois, les différences sont bien plus nombreuses : Eutyche tombe car il est fatigué (vu qu’il a passé toute la soirée et une partie de la nuit à écouter Paul), tandis qu’Elpénor chute du toit parce qu’il est ivre ; le premier, qui justement porte un nom parlant (celui qui jouit d’une bonne chance) est ressuscité, l’ami d’Ulysse, par contre, est définitivement mort et laissé sans sépulture ; d’un côté le héros d’Ithaque – voici la différence la plus importante, à mon avis – ne peut rien faire devant le décès de son compagnon, de l’autre Paul est capable de donner à nouveau la vie à Eutyche. C’est donc le miracle de ce véritable héros qui exalte la ville de Troie et qui s’ajoute aux triomphes du passé mythique et qui, bien plus, les remplace.

4.  Conclusions

La guerre de Troie et les mythes liés à cet événement fondamental de la culture ancienne et païenne ne sont plus, d’après Arator, des motifs qui amènent de la gloire à cette ville : les gestes des héros de la tradition épique sont remplacés par les miracles des nouveaux héros, c’est-à-dire les apôtres de l’Église. Cependant, c’est toujours à celle noble tradition que le poète fait prioritairement référence, surtout d’un point de vue formel : c’est par les modalités de la poésie héroïque en hexamètres qu’Arator narre la matière de son chant. En outre, du côté du contenu, bien qu’il y ait plusieurs différences entre le poème épique traditionnel et la paraphrase d’Arator, l’écho des épisodes les plus connus de ce genre est présent en filigrane derrière la littera de son ouvrage : l’épisode d’Eutyche / Elpénor peut être considéré comme une représentation plastique de ce rapport entre le passé classique et le présent chrétien.

Notas

1 Au sujet du genre de la paraphrase biblique voir Deproost, Paul-Augustin, « L’épopée biblique en langue latine. Essai d’une définition d’un genre littéraire », Latomus, 56, 1997, pp. 14-39 ; Consolino, Franca Ela, « Generi letterari e rapporti con la tradizione nella ‘parafrasi biblica’ latina », in Gualandri, Isabella et al. (dir.), Nuovo e antico nella cultura greco-latina di IV e VI secolo, Milano, 2005, pp. 447-526 ; Nazzaro, Antonio Vincenzo, «Riscritture metriche di testi biblici e agiografici in cerca del genere negato », Auctores nostri, 2006, 4, pp. 397-439; Id., « Parafrasi (biblica e agiografica) », in Di Berardino, Angelo (dir.), Nuovo Dizionario Patristico e di Antichità cristiane, III, Genova-Milano, 2008, pp. 3910-3911; Id., « El poema parafrasístico de Arator, Prudencio y el apóstol Pablo », Mayéutica, 36, 2010, pp. 21-59.

2 À propos du deuxième livre, voir Arator, História Apostólica. A gesta de S. Paulo, tradução do latim, introdução e notas de José Henrique Manso, Coimbra, 2010.

3 De ce point de vue, Arator fait souvent référence, entre autres, à Augustin, Maxime de Turin et Chromace d’Aquilée, bien qu’il ne les cite pas explicitement. Voir Bureau, Bruno, Lettre et sens mystique dans l’Historia Apostolica d’Arator: exégèse et épopée, Turnhout, 1997.

4 Voir Ac. 20, 6-12 : Nos uero nauigauimus post dies Azymorum a Philippis et uenimus ad eos Troadem in diebus quinque, ubi demorati sumus diebus septem. In una autem sabbatorum, cum conuenissemus ad frangendum panem, Paulus disputabat eis, profecturus in crastinum, protraxitque sermonem usque in mediam noctem. Erant autem lampades copiosae in cenaculo, ubi eramus congregati; sedens autem quidam adulescens nomine Eutychus super fenestram, cum mergeretur somno graui, disputante diutius Paulo, eductus somno cecidit de tertio cenaculo deorsum et sublatus est mortuus. Cum descendisset autem Paulus, incubuit super eum et complexus dixit: « Nolite turbari, anima enim ipsius in eo est! ». Ascendens autem frangensque panem et gustans satisque allocutus usque in lucem, sic profectus est. Adduxerunt autem puerum uiuentem et consolati sunt non minime.

5 Voir Bureau, Lettre, op. cit., pp. 294-295.

6 Voir Arator, Hist. apost., 2, 753-825 : Tu quoque signa ferens titulos in carmine nostro, / Troia, repone tuos et laudibus adde triumphos, / [755] Qui magis ex uero fulgent tibi clarius actu / Quam quae pomposo reboant tua bella cothurno. / Lingua colona Dei cum semina feta saluti / Spargeret, in seram produxit tempora noctem / Plus animis factura diem; micuere coruscae / [760] Lampades, ut uerbi lucerent igne fideles. / Solus ab excubiis uiuacibus Eutychus exul / Mersa sopore graui commisit membra fenestrae. / O male parta quies! O semper dedita somno / Pectora, nuda bono! Quantis patet ille ruinis / [765] Quem nox sola tenet numquamque resuscitat aegrum / Ad meliora caput! Nescit uigilare periclo / Qui patitur dormire Deo. Quid inane fenestrae / Quaeris, adulte, chaos quidue hac in parte quiescis / Qua ruiturus eris? Res est inimica saluti / [770] Pendula celsa sequi furtiuaque somnia prono / Carpere uelle toro; poteras meliore cubili / In uerbo recubare Dei Pauloque monente / Eius uelle aditum cui limine peruia recto / Ianua nomen inest, per quam de fonte leuatae / [775] Ad uitam gradiuntur oues; hanc quaerite cuncti / Si rabidas fauces cura est morsusque cruentos / Euitare lupi, cuius lacerabitur ore / A pastore fugax qui sparsos uocibus agnos / Euocat atque gregem propria de morte redemptum / [780] Non sinit insidiis et amari uulnere dentis / Rursus ab hoste capi. Maesto sonuere tumultu / Atria; concurrit gemitu miserata frequenti / Turba uidere locum qui funere tristis acerbo / Laetitiam facturus erit; cui Paulus adhaerens / [785] Pectore “uiuit” ait; quam uocem uita secuta est, / Morsque repulsa fugit. Quantum tua, Christe, potestas / In famulis operata facit! Tu redditus astris / Aequalisque Patri de maiestate perenni / Iura superna regis. Sed quod caro corpore matris / [790] Virginis orta tibi regnum spoliauit Auerni / Viuaque de proprio reuocasti membra sepulcro / Teque probans uoluisse mori qua parte resurgis / Et qua natus eras tam ferrea uincula soluis, / Lux aliis alterna redit te auctore simulque / [795] Exemplo donata tuo, qui subdita dudum / Cogis et electis succumbere Tartara seruis. / Interea felix surgit de morte cadauer / Et meliore uia tria per cenacula sospes / Ducitur ad Paulum, cuius conspectibus insons / [800] Coepit adesse puer uitae iam dignus honore / Cum leti conuertit iter. Quae gloria facti / Instruit ad ueterem causas aperire figuram: / Fulta tribus cameris Noe describitur arca / Ecclesiae documenta gerens; stetit ordine primae / [805] Pars hominum, pecudesque gradum tenuere secundae, / Tertia sors addicta feris; quae cuncta per undas / Arca quadrata tulit, uelut in baptismate fontis / Omnibus est nunc una salus, sed moribus unus / Non ualet esse locus; nam nidos fertur in illa / [810] Aedificasse Noe, quem Iustum dicit Hebraeus / Et Requiem, quod Christus inest, qui diuidit aequus / Praemia certa suis. Quisquis uirtutis amator, / Iungitur alta petens Noe; stat proximus infra / Ingenio breuiore minor; sors dedita saeuis / [815] Tartareum tenet ima sinum. Sic Eutychus ergo / Prima parte cadens inferni perditus oris / Haesit et humana uacuus ratione ferarum / Coepit habere locum; cui postquam pectore Paulus / Incubuit uerbumque suum sapientia fudit, / [820] Ore leuans animam carnali lege peremptam, / Ad Dominum de morte redit, quod Epistola clamat: / “Qui dormis, iam surge citus!” rursusque perurget: / “Teque uigil de morte leua!” Super ardua trina / Promeruit iam stare puer, quia dogmate trino / [825] Comperit aeternae quae sit substantia uitae.

7 « Toi aussi, tu portes des signes, Troie ; mets ton honneur dans notre poème et ajoute des triomphes aux louanges qui brillent pour toi de l’éclat plus grand de la vérité des faits que tes guerres qu’on célèbre pompeusement en ayant chaussé le cothurne ». (Traduction de Bureau, Lettre, op cit., p. 163 n. 500).

8 Déjà Martial dans l’épigramme 5, 5 utilise au v. 8 l’expression grande cothurnati… Maronis opus pour indiquer l’Énéide. Quatre siècles après, Dracontius dit explicitement dans son Orestes au v. 13: Te rogo, Melpomene, tragicis descende cothurnis / et pede dactylico resonante quiescat iambus.

9 Eusèbe, Jérôme ou bien Isidore de Séville citent la guerre de Troie comme un des événements fondamentaux de l’histoire universelle ; voir pour les détails le récent livre de Prosperi, Valentina, Omero sconfitto. Ricerche sul mito di Troia dall’Antichità al Rinascimento, Roma, 2013, p. 20, et sa riche bibliographie.

10 Ibid., pp. 10-22.

11 J’utilise ici la terminologie de Deproost, Paul-Augustin, « Ficta et facta. La condamnation du “mensonges dès poètes” dans la poésie latine chrétienne », Revue d’Études Augustiniennes, 44/1, 1998, pp. 101-121.

12 Ad Vigil. 19-20 : Versibus ergo canam quos Lucas rettulit Actus,/ historiamque sequens carmina uera loquar.

13 Voir par exemple Deproost, Paul-Augustin, L’apôtre Pierre dans une épopée du VIème siècle, Paris, 1990, p. 67 sq., qui cite la préface de Juvéncus; je trouve très intéressants surtout les vv. 5-18 : Quo cunctum torrens rapiat flamma ultima mundum. Sed tamen innumeros homines sublimia facta/ et uirtutis honos in tempora longa frequentant, / adcumulant quorum famam laudesque poetae. / Hos celsi cantus, Smyrnae de fonte fluentes, / [10] Illos Minciadae celebrat dulcedo Maronis. / Nec minor ipsorum discurrit gloria uatum, / quae manet aeternae similis, dum saecla uolabunt/ et uertigo poli terras atque aequora circum / aethera sidereum iusso moderamine uoluet. / [15] Quod si tam longam meruerunt carmina famam, / quae ueterum gestis hominum mendacia nectunt, / nobis certa fides aeternae in saecula laudis / inmortale decus tribuet meritumque rependet. À propos de cette praefatio voir aussi Nazzaro, Antonio Vincenzo, « Praefatio ed epilogus negli Evangeliorum libri di Giovenco », Analecta Nicolaiana, 13, 2012, pp. 11-35, et sa bibliographie.

14 Il s’agit de Paris, BNF, lat. 9347 (IXe siècle) et Paris, BNF, lat. 2773 (IXe-Xe siècle).

15 Ad Parth. 41-48 : Cantabas placido dulcique lepore poetas / in quibus ars fallax, pompa superba fuit. / Sed tamen ad ueros remeabas, optime, uates / quorum metra fides ad sua iura trahit / qualis in Hyblaeis Ambrosius eminet hymnis / quos posito cunis significastis, apes, / qualis in hac eadem Decentius arte manauit, / Aruernisque canis, Sidoniana chelys. À propos de ces vers voir aussi Deproost, « Ficta et facta. La condamnation », op. cit., p. 105.

16 ‹Sido›niana chelys est une intégration de Arntzen (Aratoris subdiaconi De actibus apostolorum libri duo et epistulae tres ad Florianum, Vigilium et Parthenium, éd. H. J. Arntzenius, Zutphaniae, 1769) et est imprimée par tous les éditeurs suivants. Decentius est sans aucun doute une erreur: Arntzen propose Licentius ; Deproost, L’apôtre, op. cit., p. 272, est favorable à la solution Dracontius, avis que partage Romano, Domenico, Studi draconziani, Palermo, 1959, p. 85 ; Manitius, Max, Geschichte der lateinischen Literatur des Mittelalters, 1, München, 1911, lit le mot Sedulius, tandis que Mastandrea, Paolo, « Aratore, Partenio, Vigilio coetanei (e amici?) di Massimiano elegiaco », Incontri triestini di filologia classica, 3, 2003-2004, p. 337, propose Prudentius.

17 Sedul., Carm. pasch., 1, 17 sq. À propos du même thème voir aussi Ennod., carm., 10, 9, 1 sq.

18 D’après le ThlL, pompare n’est utilisé que dans l’Antiquité tardive, par exemple par Augustin, Sedulius et Cassiodore.

19 Voir aussi Anth. Lat. 664, 4, Melpomene tragico proclamat maesta boatu; Anth. Lat. 664a, 3, Tertia Melpomene tragicos fert flendo boatus; Anth. Lat. 88, 4, Melpomene reboans tragicis feruescit iambis.

20 À propos du rapport entre Arator et Virgile, par exemple, voir Coucelle, Pierre, Lecteurs païens et lecteurs chrétiens de l’Énéide, 1, Paris, 1984, et Angelucci, Piero, « I modelli classici di Aratore. Per una tipologia dei rapporti poeta / fonte », Bollettino di Studi Latini 15, 1985, pp. 40-50.

21 Horn., Odyss., 10, 551-559: Έλπήνωρ δέ τις έσκε νεώτατος, ούτε τι λίην / άλκιμος έν πολέμω ούτε
φρεσίν ήσιν άρηρώς. / δς μοι άνευ& έτάρων ίεροΊς έν δώμασι Κίρκης, /ψύχεος ίμείρων, κατελέξατο
οίνοβαρείων/. [555] Κινυμένων δ έτάρων ομαδον καί δοΰπον άκούσας / έξαπίνης άνόρουσε καί έκλά&ετο φρεσίν ήσιν/ άψορρον καταβήναι ίων ές κλίμακα μακρήν, / άλλα καταντικρυ τέγεος πέσεν έκ δέ οί αύχήν / άστραγάλων έάγη, ψυχή δ ’Άϊδόσδε κατήλ&εν. J’utilise le texte établi et traduit par V. Bérard dans son édition (Homère, L’Odyssée, Paris, 1959).

22 Hom. Odyss. 11, 51-59, Πρώτη δέ ψυχή Έλπήνοροςήλθεν εταίρου. /ού γάρ πω έτέθαπτο ύπό χθονός
εύρυοδείης. / σώμα γαρ έν Κίρκης μεγάρω κατελείπομεν ημείς / άκλαυτον καί άθαπτον, έπεί
πόνος άλλος επει,γε. / [55] Τον μέν εγώ δάκρυσα ίδών ελέησα τε θυμώ, / καί μι,ν φωνήσας έπεα πτερόεντα προσηύδων. / « Έλπήνορ, πώς ήλθες ύπό ζόφον ήερόεντα; έφθης πεζός ίων ή εγώ συν νηί
μελαίνη. ». Cf. aussi w. 59-80.

23 Voir Herzog, Robert, Die Bibelepik der Lateinischen Spätantike. Formgeschichte einer erbaulichen Gattung, I, München, 1975 ; et Stella, Francesco, « Imitazione interculturale e poetiche dell’alterità nell’epica biblica latina », Incontri triestini di filologia classica, 5, 2005/2006, pp. 9-24. Pour une analyse du concept d’intertextualité voir aussi Pasquali, Giorgio, Pagine stravaganti, Firenze, 1968, pp. 275-282; Conte, Gian Biagio et Barchiesi, Alessandro, « Imitazione e arte allusiva: modi e funzioni dell’intertestualità », in Cavallo, Guglielmo, Fedeli, Paolo e Giardina, Andrea (dir.), Lo spazio letterario di Roma antica, vol. I, La produzione del testo, Roma, 1989, pp. 81- 114.

24 Dans le monde latin c’est surtout Ovide qui mentionne Elpénor : dans les Métamorphoses, 14, 252 (nimiique Elpenora uini), à l’intérieur de l’épisode d’Ulysse et Circé ; en Trist. 3, 4, 19, où il compare sa chute sociale à la chute réelle du héros homérique (miser Elpenor tecto delapsus ab alto) ; et enfin dans Ibis 483-484 (Neue gradus adeas Elpenore cautius altos, / uimque feras uini quo tulit ille modo). Cfr. aussi Hyg., 125, 11-12 (inde proficiscitur ad lacum Auernum, ad inferos descendit, ibi que inuenit Elpenorem socium suum, quem ad Circen reliquerat, interrogauit que eum quomodo eo peruenisset; cui Elpenor respondit se ebrium per scalam cecidisse et ceruices fregisse, et deprecatus est eum cum ad superos rediret sepulturae traderet et sibi in tumulo gubernaculum poneret. ibi et cum matre Anticlia est locutus de fine errationis suae. deinde ad superos reuersus Elpenorem sepeliuit et gubernaculum, ita ut rogauerat, in tumulo ei fixit ; Martial, 11, 82, 3, où le poète parle d’un certain Philostratus, qui paene imitatus obit saeuis Elpenora fatis ; et Iuv., 15, 21-22 (crediderim aut tenui percussum uerbere Circes / et cum remigibus grunnisse Elpenora porcis). Le mythe est donc très répandu dans le monde romain, si plusieurs auteurs peuvent y faire allusion sans être trop détaillés dans la narration.

Para citar este artículo

Referencia electrónica

Roberto Mori, « La ville de Troie dans l’épopée biblique d’Arator », Atlantide [En línea], 2 | 2014, en línea desde el 01 décembre 2014, consultado el 09 octobre 2025. URL : https://atlantide.pergola-publications.fr/index.php?id=291

Autor

Roberto Mori

Docteur de recherche en littérature latine à l’Université de Milan, Roberto Mori s’occupe principalement d’Antiquité tardive latine et de paraphrase biblique en particulier : il a écrit une monographie au sujet de Sedulius et a participé à des conférences concernant le rapport entre ces auteurs du IV-VI siècles et les poètes classiques. Des articles à propos de la figure de Moïse dans le Carmen paschale et de la lettre d’Arator à Vigile sont à paraître.

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