Comment se forme un regard de princesse : l’écriture des figures masculines au sein des années de jeunesse dans les Mémoires de La Grande Mademoiselle

DOI : 10.56078/atlantide.646

Riassunti

Cette étude analyse les jeux de regard et les interactions entre la petite-fille d’Henri IV et les trois hommes qui ont le plus compté dans sa jeunesse jusqu’à son implication dans la Fronde en 1652 : son père, Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, son cousin haï puis admiré, le prince de Condé, et son principal prétendant, le roi déchu d’Angleterre, futur Charles II. Confrontée à cet extraordinaire triumvirat, la princesse apprend à déchiffrer les comportements masculins dans un contexte tendu de manœuvres politiques. L’image des hommes est saisie sous différents angles de vue, à mesure que l’écriture alterne entre des scènes de retrouvailles dramatisées, des regards d’ensemble sur des opérations militaires et une attention rapprochée aux expressions du visage masculin. En maniant cet art de la description vivante, la mémorialiste juge ses interlocuteurs à l’aune d’un idéal de relation, fait de complicité et de confiance.

This study analyzes the way King Henri IV’s grand-daughter considers and deals with the three men who played a major role in her youth until her involvement in the Fronde in 1652: her father, Gaston of Orléans, Louis XIII’s brother, her hated and then admired cousin, Prince of Condé, and her principal suitor, the deposed King of England, future Charles II. Facing this amazing triumvirate, the princess learns how to decipher male behaviors in a tense political context. The picture of men is considered from various angles, as the writing dramatizes some scenes of reunion, offers general overviews on military operations, or pays a close attention to the expressions on men’s face. Handling this art of living description, the memorialist judges her partners by an ideal of a relationship based on complicity and trust.

Struttura

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Ne pas se contenter d’être spectatrice des exploits masculins mais se révéler aux yeux de tous comme une actrice sur la grande scène de l’Histoire, telle est bien la vocation héroïque que la Grande Mademoiselle (Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, 1627-1693) a réalisée en intervenant dans les événements de la Fronde. Elle voulut incarner dans la vie réelle l’esprit de sacrifice et de fierté qui anime les princesses de tragédie dans le théâtre de Corneille, comme l’ont amplement souligné les spécialistes des Mémoires au XVIIe siècle, à commencer par Jean Garapon, qui a tant fait pour éclairer l’œuvre de cette autrice. De fait, l’héroïsme féminin et l’édification de soi par l’écriture constituent le principal horizon d’attente dans la réception actuelle des Mémoires de la duchesse de Montpensier1. Dès lors, s’intéresser au regard de la princesse sur les hommes pourrait impliquer de la décentrer quelque peu de son propre héroïsme, et donc de notre propre fascination à l’égard du rôle exceptionnel qu’elle a su endosser dans le Grand Siècle.

C’est l’occasion de restituer au regard, c’est-à-dire à la compréhension visuelle de l’autre, une valeur qui pourrait lui être déniée toutes les fois que l’on exalte l’action ou l’activité, aux dépens des facultés qu’on rangerait d’ordinaire parmi les attitudes « passives ». La finesse, l’intelligence ou l’exigence qui s’expriment à travers un regard sont pourtant des qualités qui méritent d’être soulignées, car elles peuvent donner aux relations entre hommes et femmes une vivacité bienvenue.

On s’intéressera ici en priorité à la façon dont la duchesse de Montpensier brosse le portrait de trois hommes qui ont marqué sa jeunesse : deux d’entre eux au moins sont des noms bien connus du public qui s’intéresse au XVIIe siècle. Tous deux ont joué un rôle de meneurs dans la Fronde des princes.

Vient en premier lieu le père de la princesse, Gaston d’Orléans, dit « Monsieur », frère de Louis XIII. À côté de lui, le chef militaire de la révolte contre les « mazarins », le prince de Condé, dit « Monsieur le Prince », qui, après avoir été haï de Gaston d’Orléans et de sa fille, est devenu leur allié à partir de février 1651. En marge de la cour de France, un troisième homme apparaît régulièrement dans les Mémoires comme intimement lié à la formation de la princesse : il s’agit de son prétendant le plus assidu, le jeune prince de Galles, futur Charles II, banni de son royaume d’Angleterre par la Révolution de Cromwell. Voici dessiné le triangle masculin dont la narratrice des Mémoires occupe le centre de gravité, au croisement de relations agitées qui engendrent bon nombre des péripéties de la narration.

L’importance de ces trois figures masculines ne saurait surprendre les commentateurs versés dans l’œuvre de la Grande Mademoiselle, tant les livres de Jean Garapon ont identifié nombre de scènes marquantes où on les voit intervenir. Les valeurs et les imaginaires qui colorent le récit des Mémoires sont également présents à notre esprit : on devine la force des modèles littéraires, avec ce rôle majeur de configuration éthique et passionnelle dévolu aux héros et héroïnes du théâtre cornélien, guidés par une gloire à conquérir dans l’action et dans le choix amoureux d’un être digne d’être élu pour sa vaillance2.

Ce qui peut en revanche être précisé, c’est la façon dont la mémorialiste nous donne à voir ces hommes en s’attachant à écrire la rencontre, l’entrevue, les retrouvailles, bref, le mouvement d’apparition et d’évolution de ces personnages réels en réponse à la curiosité de la princesse. Au lieu de portraits qui viseraient à résumer la personnalité de ces hommes, les Mémoires nous proposent une série discontinue de confrontations, où la dimension visuelle prend un sens concret qu’il s’agira d’analyser.

En parallèle, il faudra questionner « l’ombre portée » de chaque figure masculine sur les deux autres du triangle ; car même s’ils ne sont pas sur le même plan, les trois hommes sont cependant jugés l’un par rapport à l’autre au fil des Mémoires. La mise en récit invite à la comparaison : elle tend à dresser un bilan personnel après la fin décevante de l’aventure frondeuse.

Ces trois hommes et l’autrice ont en commun d’être en quête d’un pouvoir qui s’offre et se dérobe à eux en même temps : si Charles veut reconquérir son trône d’Angleterre, « Monsieur » et « Monsieur le Prince » veulent peser sur le gouvernement de la France en faisant entendre leur voix de princes de sang aux dépens des ministres cardinaux, Richelieu puis Mazarin. Mademoiselle, quant à elle, se soucie de confirmer par un brillant mariage la puissance dont son lignage et sa fortune constituent le socle : elle jouit déjà d’un grand prestige en tant que petite-fille d’Henri IV et plus riche héritière du royaume. Mais c’est une fois qu’elle s’est s’éloignée de la cour pour vivre reléguée sur ses terres de Saint-Fargeau qu’elle se lance dans la rédaction de ses Mémoires : elle décrit ainsi les espérances de ces hommes et les siennes comme les promesses avortées d’une jeunesse flamboyante3.

Commençons donc par dégager les différents types de regard ou d’attention au masculin qui sont mobilisés dans le récit.

1.  Regards révélateurs : une typologie

1.1.  L’épreuve des retrouvailles

Dans les rapports de la duchesse de Montpensier avec les hommes, tout commence comme d’ordinaire se finissent les pièces de théâtre : par une scène de reconnaissance. La première contestation politique qui avait opposé Gaston d’Orléans au roi son frère, conséquence de l’éviction de la reine mère, Marie de Médicis, avait poussé Monsieur à se réfugier en Lorraine en novembre 1631, tandis que sa fille restait à la cour de France : elle n’avait que quatre ans. Son père revient à la cour de France qu’il rejoint à Limours en octobre 1634 à la faveur d’une réconciliation, et, curieux de savoir si sa fille se souvient encore de lui après une si longue séparation à un âge si tendre, il se présente à elle sans son insigne distinctif (« son cordon bleu »), mêlé à ses gentilshommes :

[O]n me dit « Voyez qui, de tous ceux-là, est Monsieur ». En quoi la force de la nature m’instruisit si bien que, sans hésiter un moment, j’allai lui sauter au cou, ce dont il parut touché d’une merveilleuse joie. (Orléans, 2005, p. 28)4

Ce souvenir a valeur d’une scène fondatrice : il convient de le lire à la lumière des relations compliquées que la princesse entretient avec son père durant la fin de son adolescence et les événements de la Fronde. Sous cet angle, il figure à la fois le paradis heureux de l’enfance et la formule explicative des tensions qui se produiront à l’âge adulte. Magie de l’enfance, parce que la séparation entre la fille et son père se résout subitement en embrassade fusionnelle grâce à l’inspiration des liens du sang, comme dans une scène de reconnaissance romanesque ou théâtrale (si ce n’est que plus souvent, dans la fiction, ce sont les parents qui reconnaissent ainsi leur enfant enlevé, dont ils avaient perdu la trace). Mais cette façon d’organiser les retrouvailles, et l’attention consciente qu’y prête la mémorialiste, ont tout d’une épreuve : la petite princesse doit démontrer, non seulement qu’elle a gardé mémoire de son père, mais qu’elle lui est ainsi restée fidèle, affectivement, politiquement, alors même qu’elle a grandi dans une cour qui lui était hostile. Bien plus, cet attachement doit permettre de révéler le père en le tirant de l’anonymat où il se dissimule.

On peut ainsi voir dans ces quelques lignes euphoriques l’élucidation de cette charge probatoire, pour ainsi dire, qui pèse sur les échanges entre Anne-Marie-Louise et Gaston d’Orléans : la narratrice sent perpétuellement qu’elle doit prouver qu’elle n’a pas trahi sa filiation, en déjouant les soupçons d’un père qui se dérobe. Et les démonstrations de fidélité filiale doivent rétablir l’identité du père quand elle se trouble au point de devenir méconnaissable, pour l’amener à se faire connaître sous le visage honorable et aimable qui devrait être le sien.

Les démêlés entre Mademoiselle et Monsieur sont donc scandés, dans le récit des Mémoires, par des rencontres où se rejoue le même type d’attente que lors des premières retrouvailles : attente que la fidélité éclate et produise une réunion, une adoption mutuelle. La dramatisation de ces entrevues dans le récit se traduit par les regards affectueux et anxieux que la narratrice porte sur son père, pour deviner ses sentiments.

Magnifique est le passage où Mademoiselle se fait convoquer pour un rappel à l’ordre au palais du Luxembourg (résidence des Orléans), en 1648, parce qu’elle a prêté l’oreille à un projet de mariage avec un Habsbourg, le frère cadet de l’empereur, projet qui lui attire les foudres de son père et de sa belle-mère, Marguerite de Lorraine, dite Madame, seconde épouse de Monsieur. L’écriture détaille l’entrée dans le palais, le trajet inattendu vers la bibliothèque paternelle (« l’on me fit descendre mystérieusement à un degré, qui donne dans le cabinet des livres » [Orléans, 1858, t. I, p. 172]), et le face-à-face, qui provoque la stupéfaction du père au premier regard, avant même le début de la conversation (« Monsieur […] changea de visage et me parut fort interdit » [Orléans, 1858, t. I, p. 172]). Monsieur n’ose pas achever la « réprimande » prévue et, cédant à l’embarras de la situation, présente de mauvais gré ses excuses à sa fille. Mademoiselle est à la fois touchée des excuses qu’elle reçoit et navrée d’entendre qu’elles ne partent pas d’une intention cordiale. Elle attendrait de son père une affection plus franche et un appui pour faire avancer ses plans matrimoniaux, menacés par les revirements de la cour.

L’afflux d’émotions qui fait couler les larmes de la princesse, puis celles de son père, est décrit comme un conflit intérieur, difficile à interpréter pour les protagonistes mêmes : » [j]e pleurai fort, je ne sais si ce fut d’embarras ou de tendresse ; il vaut mieux croire que ce fut l’un que l’autre » (ibid.). Pour comprendre une telle relation, on ne saurait opposer le cœur ému et la raison qui calcule. La possibilité de se sentir aimée, pour la princesse, dépend du soutien que son père lui apporte dans la poursuite de ses intérêts — toute la haute société du XVIIsiècle vit dans l’intrication de ces deux registres. Cependant, pour dissiper la confusion, la mémorialiste veut laisser le dernier mot à la « tendresse », plutôt qu’à « l’embarras ». En peignant un père assez dur, et qui la contrarie, elle ne veut pas que son geste paraisse guidé par la haine, mais par un amour déçu qui reste toujours ouvert à une réconciliation5. En somme, la princesse veut montrer qu’elle n’abandonne jamais son géniteur, même quand il est distant à son égard.

Les deux autres figures masculines qui nous occupent sont aussi régulièrement illuminées par cette intensité des retrouvailles qui aiguise l’attention de la princesse. Comme Monsieur du temps de sa jeunesse révoltée, ce sont aussi des hommes aventureux qui partent et reviennent au gré des manœuvres politiques et des campagnes militaires. Leur absence permet de reconstituer le capital de curiosité dont ils bénéficient, pour ainsi dire, si bien que le masculin se fait valoir, dans les Mémoires, par ses disparitions et ses métamorphoses. Condé passionne la cour à distance par le bruit de ses victoires : il est le guerrier dont on parle et dont on suit les aventures, comme Mademoiselle le fait avec, d’abord, un tumulte d’admiration et de dépit mélangés, puis, une fois passé leur réconciliation spectaculaire6, une franche communion de sympathie, faite de jubilation quand les nouvelles sont bonnes, et d’anxiété quand le sort des armes est défavorable (Orléans, 2005, respectivement p. 133 et p. 140). La narratrice évoque aussi la fin marquante de la campagne menée par Charles II à partir de son débarquement en Écosse en juin 1650 (troisième guerre civile anglaise). La percée des troupes royalistes se termine par un désastre à la bataille de Worcester en septembre 1651 : le jeune roi s’enfuit vers le nord et parvient à s’embarquer pour la France où il touche à la mi-octobre.

On note le regain d’intérêt que la princesse éprouve pour son prétendant après cette opération militaire malheureuse. Bien sûr, cette entreprise digne d’un souverain le grandit et le virilise aux yeux de la princesse, mais celle-ci ne manque pas de souligner la transformation physique avantageuse du souverain anglais, qu’elle commence à considérer d’égal à égal, après l’avoir pris de haut7. L’action transforme les hommes en leur procurant davantage de maturité et d’expérience. On pense à la scène des retrouvailles au bord de la rivière dans La Princesse de Montpensier (1662), fiction historique que Mme de Lafayette élabore à propos de l’ancêtre de notre duchesse. Après avoir été séparés deux ans, les deux jeunes héros, la princesse et Guise, constatent, chacun à part soi, combien la puberté a rendu l’autre encore plus séduisant depuis la fin de leur idylle d’enfance (Lafayette, 2003, p. 43).

La vivacité dramatique des réapparitions de nos deux hommes est rehaussée par les nécessités de la guerre, qui les poussent à se déguiser pour échapper à l’ennemi. Ce stratagème éveille la ferveur à l’égard des deux chefs, comme en témoigne le geste de cet officier fidèle à Condé qui, lorsqu’il le reconnaît malgré son arrivée incognito au camp de l’armée des princes à Lorris en avril 1652, lui embrasse les genoux avec la vénération enthousiaste que l’on aurait pour un roi (Orléans, 2005, p. 135). Cette chevauchée périlleuse sous anonymat jusqu’à l’armée des frondeurs est retracée par un gentilhomme, tandis que Condé rapporte dans ses lettres les dernières évolutions de la guerre (p. 133-134 et p. 140-141). Charles II conte, pour sa part, son escapade quasi solitaire à travers le territoire tenu par les soldats de Cromwell au lendemain de la défaite de Worcester, où il doit se cacher dans un arbre puis chez un paysan, coupant ses cheveux pour ne pas être reconnu (p. 102-103). Ces hommes deviennent ainsi dans certaines pages des narrateurs enchâssés au sein du récit de la mémorialiste. Le regard posé sur eux est régénéré par l’écho de leurs aventures.

1.2.  Terrasse avec vue sur l’Histoire

Le deuxième type de perception des hommes que la duchesse de Montpensier s’est forgé correspond à un regard plus panoramique et plus impromptu. Il s’agit du regard sur l’action en train de se faire, un regard qui opère comme une surprise, saisissant les hommes à la manœuvre dans les préparatifs de la guerre notamment, qui seraient censés échapper aux femmes selon la division traditionnelle des espaces dévolus aux deux sexes. On en trouvera l’anecdote constitutive dans cette coïncidence de la nuit du 6 au 7 février 1651, qui marque comme le coup d’envoi de la Fronde des princes. Au moment de se coucher, attirée par la nouvelle d’une agitation bruyante dans Paris, Mademoiselle s’avance sur la terrasse des Tuileries où elle surprend, au clair de lune, les cavaliers de l’escorte de Mazarin en train d’« exfiltrer » le ministre contesté hors de la capitale (Orléans, 2005, p. 95). L’héroïne envoie ses gens pour tenter d’intervenir, mais l’oiseau s’est envolé. Il n’empêche : Paris devient ainsi le champ d’influence de Monsieur et de ses alliés, qui ont réussi à faire fuir leur adversaire.

En devenant ainsi témoin de ce départ d’une importance certaine dans le rapport de forces politiques, la princesse se sent introduite dans les arcanes de l’Histoire en train de se faire, raison pour laquelle elle exalte rétrospectivement cette surprise nocturne. La terrasse des Tuileries est la première plateforme de commandement qui lui offre une vue dégagée sur les mouvements des acteurs du conflit, percés à jour au moment où ils tentent de se mouvoir en secret, à l’abri de l’obscurité. L’endroit tient à la fois d’une scène et d’un balcon de théâtre : en y prenant place, Mademoiselle peut à la fois voir et être vue, diriger ses hommes et recevoir leurs renseignements.

Dans chacune des circonstances déterminantes du conflit où elle est impliquée, surtout durant l’année 1652, l’héroïne des Mémoires tire profit de ces points d’observation privilégiés, où elle se poste à l’affût. Elle y éprouve une gradation d’humeurs qui commence, les premiers temps, par une joie teintée de divertissement face à un spectacle grandeur nature8, puis qui tourne à la gravité à mesure que la guerre civile avance et que la princesse comprend mieux, d’après les préparatifs auxquels elle assiste, que les combats à venir seront rudes et lourds d’enjeux. Elle guette au carreau des Tuileries les bruits et les lueurs des mouvements nocturnes de l’armée des princes qui passe dans la rue sous ses fenêtres ; en discernant ces manœuvres, elle devine (selon son récit) les fragilités du dispositif de défense et en conçoit des inquiétudes (Orléans, 2005, p. 162-163). Surtout, lors de la périlleuse retraite au faubourg Saint-Antoine, le 2 juillet 1652, c’est le regard d’ensemble depuis le haut de la Bastille, à la lunette, qui lui permet de cerner la gravité de la situation, et d’intervenir en conséquence en faisant donner du canon pour tenir les soldats de Turenne en respect et couvrir ainsi le repli de Condé à l’intérieur des murs de Paris (p. 171-172).

1.3.  Déchiffrer les mines

Le troisième type de perception qui complète le portrait vivant des hommes dans le récit est la vision attentive de près, dans l’espace restreint des chambres et autres intérieurs. L’attention de la Grande Mademoiselle se porte sur les détails du visage qui trahissent les intentions et les tempéraments des hommes. Perspicace, elle a appris à l’être au fil du temps. L’expérience s’acquiert en retrouvant, dans le comportement de l’interlocuteur, ce qui se dit des façons de faire masculines. Ainsi du comportement empressé et des égards que déploie Charles II à son endroit :

Le roi d’Angleterre faisait toutes les mines que l’on dit que font les amoureux. Il avait de grandes déférences pour moi, me regardait sans cesse et m’entretenait tant qu’il pouvait. Il me disait des douceurs, à ce que m’ont dit les gens qui nous écoutaient […]. (Orléans, 2005, p. 103)

Mademoiselle est fière de pouvoir attribuer ces sentiments à ses charmes, mais, sans s’autoriser de son seul entendement, elle s’appuie sur un avis extérieur pour confirmer la nature des propos entendus. « Les mines » qu’elle se plaît ici à déchiffrer font partie d’une théâtralisation des sentiments destinée à faciliter la communication amoureuse dans un contexte encadré par la pudeur et par la présence de tiers qui font office de duègnes ou de chaperons, veillant à la bienséance des échanges.

Mais cette attention à ce qu’on nommerait de nos jours le langage corporel se retrouve également dans les contextes politiques, comme lors de la journée du Faubourg Saint-Antoine. Le récit des retrouvailles entre Gaston d’Orléans et le prince de Condé, au terme des combats où le second a risqué sa perte, est tendu par l’impression que Monsieur a rompu le pacte des chefs frondeurs en refusant de secourir son allié. Pourtant, le père de la princesse se montre en cette occasion un politique redoutable en ne faisant paraître aucun signe de gêne : « il embrassa Monsieur le Prince avec une mine aussi riante que s’il ne lui eût manqué de rien » (Orléans, 2005, p. 171). Condé, de son côté, se montre seulement en colère contre sa maîtresse, Mme de Châtillon, mais fait bonne figure à Gaston d’Orléans. La mémorialiste croque discrètement l’attitude extraordinaire des deux hommes qu’elle connaît si bien, sans accuser ni l’un ni l’autre d’hypocrisie, mais en laissant planer autour de ces embrassades un air entendu d’observatrice avertie et sceptique, qui se réjouit de cette apparente harmonie sans ignorer les désordres sous-jacents.

Par conséquent, maniant tour à tour le regard intuitif de la reconnaissance, le coup d’œil stratège sur les lieux d’action et l’observation fine des gestes et des visages, Anne-Marie-Louise d’Orléans nous dépeint les hommes en les évaluant à l’aune d’un idéal masculin que l’on peut reconstituer au fil des pages : c’est l’idéal d’un père, d’un mari ou d’un allié qui lui offriraient la compagnie chaleureuse et attentionnée qu’elle paraît appeler de ses vœux.

2.  La virilité à l’épreuve de la compagnie : un portrait de l’homme aimable

2.1.  La tendresse du langage

Pour la princesse, un homme agréable ne saurait être un masque sans voix, si beau fût-il. C’est au langage qu’elle mesure l’affection qu’on lui porte, sans se fixer simplement sur l’art de manier les mots, même si elle y accorde de l’importance, mais en réclamant une douce chaleur qui dissipe à la fois l’ennui et l’agressivité. Toute petite, elle se prend d’affection pour un gentilhomme de son père, Puylaurens, qui lui fait la conversation sans se lasser (Orléans, 1858, t. I, p. 12) : elle apprécie ces marques verbales d’estime et la relation enjouée qu’elles instaurent. Tant que le prince de Galles reste muet ou balbutiant par son manque de maîtrise du français, il lui paraît de peu d’intérêt. Quand il parvient à communiquer avec elle mais que ses phrases sont décevantes, parce qu’évasives ou trop triviales, le charme de sa beauté sombre dans un naufrage9. Mais quand il réussit à lui dire des « douceurs », comme on l’a lu plus haut, alors, sans quitter tout à fait son ton amusé, la princesse lui manifeste un contentement qui transparaît dans les Mémoires. Même s’il ne s’agit pas forcément d’un trait de préciosité, on constate que Mademoiselle partage avec Scudéry et d’autres femmes de lettres de sa génération l’attente d’une amitié qui s’attise par les mots10.

C’est ici que la comparaison entre le jeu amoureux et les péripéties de la relation filiale se révèle éclairante. En effet, en racontant la période heureuse de l’enfance, la mémorialiste souligne les soirées de conversation complice que son père passait avec elle et ses suivantes : « il nous entretenait de toutes ses aventures passées, et cela fort agréablement, comme l’homme du monde qui a le plus de grâce et de facilité naturelle à bien parler » (Orléans, 2005, p. 34). Dans ces « aventures », il est déjà question d’amour : la princesse de dix ans aime se faire raconter la rencontre puis le mariage entre Gaston d’Orléans et Marguerite de Lorraine, qui bravent l’opposition de Louis XIII et de Richelieu.

Mais la vie amoureuse du père va empiéter sur l’entourage direct de Mademoiselle, puisqu’il noue successivement des relations galantes avec trois de ses amies ou demoiselles de compagnie11. La situation est très embarrassante : non seulement la moralité semble compromise, et les générations étrangement mélangées, mais la princesse doit subir les foudres de sa belle-mère offensée, qui la tient pour complice de cet adultère. Tout en insistant sur le fait qu’elle ne cautionne pas ces amours illégitimes12, Mademoiselle les tolère la plupart du temps : n’est-ce pas pour préserver ses liens privilégiés avec son père, que ces intrigues sentimentales tendent à resserrer ? « Cette affaire [avec Mademoiselle de Saujon] m’avait mise en grande faveur auprès de Monsieur, écrit-elle ; mais comme ma destinée n’a pas été d’en être autant aimée que j’ose dire le mériter, elle ne dura pas » (Orléans, 1858, t. I, p. 232).

Aussi la blessure affective qui abîme la relation entre la narratrice et son père se ressent-elle en premier lieu comme une rudesse de langage, une froideur qui met à mal le désir de complicité et de tendresse dans l’échange. Cette hostilité culmine dans le ton sarcastique et vindicatif que le duc d’Orléans adopte, à la fin de la Fronde, pour reprocher à sa fille ses initiatives politiques. En signe de rupture, il refuse de la loger dans son palais du Luxembourg, alors que le retour du roi l’a contrainte à quitter les Tuileries : une façon de l’abandonner à son sort (Orléans, 2005, p. 197-198)13. « Je meurs d’envie qu’il me dise des douceurs » (p. 81) : si cette phrase prononcée avec une touche d’ironie au sujet du prétendant anglais marque le moment de l’éveil amoureux, elle serait vraie aussi des relations de la princesse avec les hommes en général.

Mais la « douceur » ne se limite pas à des paroles lénifiantes : elle dépend avant tout d’un certain engagement dans le dialogue, d’une générosité verbale qui consiste à ouvrir son cœur avec confiance, même si c’est de façon piquante. Au-delà de la raillerie cultivée comme un art dans les cercles mondains, on pense à cet assaut de franchise qui scelle la réconciliation avec Condé dans une page mémorable (Orléans, 2005, p. 98) que Jean Garapon commente à la façon d’un tournoi de sincérité chevaleresque14. S’avouant l’un à l’autre la haine réciproque qui les animait par le passé, la princesse et son cousin se retrouvent dans un face-à-face jubilatoire qui révèle leur affinité de caractère et l’intérêt mutuel qu’ils se portent. Ici, même si le dialogue est loin d’être « tendre », il vibre cependant de cette énergie et de cet abandon qui en font un véritable duo.

2.2.  Proposer sans imposer

Dans la course au mariage, Charles II parvient bien à se mettre en valeur, mais il ruine ses chances auprès de la princesse en criant victoire trop tôt. Pour justifier son renoncement à cette union plausible, la mémorialiste évoque l’effet calamiteux des rumeurs qui lui reviennent : pour consolider les affaires des Stuart, le prétendant et son porte-parole veulent entériner l’alliance en faisant comme si elle était déjà conclue et affirment que la princesse négligera les risques matériels pour faire un mariage d’amour avec ce beau roi sans pouvoir. Mais c’est bien méconnaître la fierté et la soif d’autonomie de la petite-fille d’Henri IV, qui tient à s’engager de sa propre décision, et en pesant mûrement les bénéfices de l’opération : « [c]ette manière d’empire que l’on prétendait prendre sur moi ne me plut non plus que l’amour […] » (Orléans, 2005, p. 108). Les sentiments ne sauraient se décréter ni s’imposer à la principale intéressée.

Par contraste, on voit combien le prince de Condé offre une disponibilité admirable, qui rend le mariage tentant. Ce cousin n’évolue pas sur le terrain des prétendants de la princesse, ce qui lui évite d’exercer la moindre pression sur elle. Le type d’alliance politique et personnelle qu’il a noué avec sa cousine lui donne le rôle d’un chevalier servant : aussi usuels soient-ils dans le langage de la civilité, c’est bien les termes du service que le prince emploie pour s’engager à tout faire afin de procurer à la princesse le brillant « établissement » auquel elle aspire15 — ce qui fait bien sûr une forte différence avec la mauvaise volonté de Gaston d’Orléans dès qu’il s’agit de favoriser le mariage de sa fille. Ainsi, quand le valeureux capitaine combat au loin pour les intérêts du parti des princes, la narratrice peut considérer qu’il combat aussi pour elle. Il apparaît ainsi à la fois lointain et proche, objet d’admiration fervente et camarade attentionné quand il vient rendre compte des avancées et des difficultés de son entreprise, montrant une confiance dont le père, une fois de plus, se montre avare16.

Cet équilibre dans la relation explique sans doute comment Mademoiselle se laisse aller à envisager leur union (non sans un certain opportunisme un peu glaçant) lorsqu’on apprend, au printemps 1651, que l’épouse de Condé souffre d’une maladie qui met sa vie en péril (Orléans, 2005, p. 99)17. Le caractère aussi inattendu que raisonnable de cette hypothèse matrimoniale permet à la princesse d’y songer à loisir, et en toute liberté. Mais une fois cette hypothèse écartée par la guérison de l’épouse, les deux cousins s’empressent de retrouver le climat de proximité amicale qui constitue le tempérament naturel et propice de leur relation.

2.3.  Savoir s’exposer

Un troisième et dernier critère de jugement sur les personnages masculins tient à leur capacité de s’exposer : on entend par là un comportement vertueux qui ferait la jonction entre la bravoure et la tendresse, et que Jean Garapon évoque pour sa part en termes d’humanité ou de sensibilité18. Le véritable héros, aux yeux de Mademoiselle, est celui qui ne refuse pas d’exposer son corps et son cœur aux atteintes du sort : il marche au-devant du danger, mais il ne cache pas sa douleur quand la violence des événements frappe les êtres auxquels il est attaché. Les romantiques nous ont rendus familiers de ce type de héros au grand cœur, aussi intrépides que sensibles, pour la bonne raison que le XVIIe siècle a inspiré les plus célèbres de ces personnages, si l’on pense au D’Artagnan de Dumas ou au Cyrano de Rostand. Le parallèle relèverait moins de l’anachronisme que d’une continuité permise par la transmission de certains modèles virils à travers la littérature.

La confrontation entre Gaston d’Orléans et Condé, comme entre le duc et sa fille, est récurrente à cet égard, et produit des constats de grandeur et de décadence. Le rapprochement donnant naissance à la Fronde des princes vient de l’audace avec laquelle Monsieur brave l’autorité de la reine et de Mazarin pour réclamer la libération de Condé, alors même qu’il avait œuvré pour le faire emprisonner au départ, une audace dont la princesse se réjouit. Mais durant l’année 1652, toutes les fois que Mademoiselle intervient, elle le fait pour compenser un certain retrait de son père, qui semble tenté de négocier de son côté avec Louis XIV et Mazarin, et refuse de s’exposer en personne aux aléas de la guerre civile. Son refus éclate ostensiblement lors de la journée du faubourg Saint-Antoine, où le duc abandonne son allié au plus fort du danger. Dans le regard déçu que la mémorialiste pose sur son père, on lit bien sûr un soupçon de lâcheté ou de trahison, mais aussi une indignation devant la dureté de cœur que le père démontre à ce moment, puisqu’il ne semble pas avoir une pensée pour les hommes de sa maison qui risquent de périr avec Condé, tandis que l’héroïne des Mémoires, au contraire, voit défiler des noms et des visages dans son esprit inquiet19.

Il faut comparer ce passage à la réapparition spectaculaire de Condé, quelques pages plus loin, lorsqu’il se présente marqué par le fracas de la bataille :

[i]l était dans un état pitoyable, il avait deux doigts de poussière sur le visage, ses cheveux tout mêlés ; son collet et sa chemise étaient tout pleins de sang, quoiqu’il n’eût pas été blessé ; sa cuirasse était toute pleine de coups et il tenait son épée à la main, ayant perdu le fourreau ; il la donna à mon écuyer. Il me dit : « Vous voyez un homme au désespoir ; j’ai perdu tous mes amis. […] il était tout à fait affligé ; car, en entrant, il se jeta sur un siège, pleurant et me disant : « Pardonnez à la douleur où je suis. » Et après cela, que l’on me dise qu’il n’aime rien ! Pour moi, je l’ai toujours connu tendre pour ce qu’il aime. (Orléans, 2005, p. 167).

Monsieur le Prince affiche ici la réaction inverse de Monsieur : l’un, insensible et distant, savoure sa rancune à l’abri de son palais du Luxembourg ; l’autre porte dans sa chair la marque de ses vertus militaires et ne refuse pas de se montrer vulnérable en s’effondrant en larmes à la pensée de ses compagnons sacrifiés. Bien sûr, la mémorialiste s’attache ici comme ailleurs à défendre la réputation de Condé, qui n’est plus, au moment de la rédaction, qu’un opposant en déroute ayant rallié l’armée espagnole. Mais l’apologie politique se mêle au souci sans doute plus personnel de conserver au personnage sa valeur d’alter ego dans l’ordre des sentiments. « [T]endre pour tout ce qu’il aime », le définit-elle : de façon révélatrice, l’adjectif « tendre » opère une sorte d’élargissement sémantique, puisqu’il assimile la déchirure que Condé ressent pour la perte de ses hommes à une douleur qui vaudrait aussi dans les relations amicales et amoureuses. Les différents types de liens affectifs sont confondus dans cette appréciation élogieuse. Le héros masculin brille alors par sa capacité à se laisser attendrir par le souvenir de visages aimés.

Quant à Charles II, il est lui aussi jugé à l’aune des risques qu’il prend pour recouvrer son royaume : quand l’hypothèse de leur union semble sur le point d’aboutir, la princesse l’encourage vigoureusement à retourner mener la lutte dès leur mariage conclu plutôt que de prolonger par amour son séjour auprès d’elle20. Mais, auparavant, à son retour d’Angleterre en 1651, elle se montre légèrement ambiguë quand elle remarque que l’infortuné souverain lui cache sa détresse pour faire bonne figure et ne pas briser la gaieté de leurs échanges :

Il me parut, par tout ce qu’il me disait, être un amant timide et craintif qui ne m’osait pas dire tout ce qu’il pensait pour moi et qui aimait mieux que je le crusse insensible à ses malheurs que de m’en ennuyer par le récit ; car, aux autres personnes, il ne parlait point de la joie qu’il avait d’être en France ni de son envie de danser. Il ne me déplut pas […]. (Orléans, 2005, p. 103)

Certes, cette discrétion la flatte car elle permet de mesurer les sentiments du prince à son égard. Et cependant, on peut entendre en lisant ce passage comme une pointe de regret : la confidence du roi déchu sur le désastre de ses affaires aurait pu créer cette intimité de confiance que la princesse semble rechercher dans ses relations avec les hommes.

En concluant cette relecture de la première partie des Mémoires de la Grande Mademoiselle, on peut insister sur trois couples de notions antagonistes qui méritent d’être associées étroitement quand on étudie la perception du masculin par une femme de ce rang et de ce caractère : dans la vie et les écrits de la duchesse de Montpensier, on reconnaît l’intrication entre la recherche du pouvoir et la demande d’affection, entre le jugement porté sur les hommes et le souci de les comprendre, enfin, entre le désir d’autonomie qui s’oppose à la tutelle masculine et le désir d’une relation nourrie avec un vis-à-vis masculin. L’épanouissement auquel aspire la mémorialiste implique bien d’affirmer sa part de liberté à l’égard de son père ou de ses prétendants, en s’autorisant de la puissance du sang royal et des immenses biens dont elle est héritière. Mais il implique aussi un idéal relationnel de complicité avec certains hommes, dans la conversation comme dans l’action.

Bibliografia

Œuvre analysée et autre source primaire

ORLÉANS Anne-Marie-Louise d’-, duchesse de Montpensier (2020), Mémoires, dans Œuvres complètes, Jean Garapon (éd.), Paris, Honoré Champion.

ORLÉANS Anne-Marie-Louise d’-, duchesse de Montpensier (2005), Mémoires de la Grande Mademoiselle, Bernard Quilliet (éd.), Paris, Mercure de France, coll. » Le Temps retrouvé ».

ORLÉANS Anne-Marie-Louise d’-, duchesse de Montpensier (1858-1859), Mémoires de Mademoiselle de Montpensier, petite-fille de Henri IV, Adolphe Chéruel (éd.), Paris, Charpentier.

LAFAYETTE Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de (2003), La Princesse de Montpensier suivi de La Comtesse de Tende, Laurence Plazenet (éd.), Paris, Librairie Générale Française, coll. « Le Livre de Poche ».

Sources secondaires

CONSTANT Jean-Marie (2013), Gaston dOrléans prince de la liberté, Paris, Perrin.

DUFOUR-MAÎTRE Myriam (1999/2008), Les Précieuses. Naissance des femmes de lettres en France au XVIIe siècle, Paris, Champion, coll. « Champion Classiques Essais ».

GARAPON Jean (2019), « Deux visages de l’héroïsme féminin avant et après la Fronde : Mlle de Montpensier et Mme de Longeville », dans Gilbert Schrenck, Anne-Élisabeth Spica et Pascale Thouvenin (dir.), Héroïsme féminin et femmes illustres (XVIe-XVIIsiècles). Une représentation sans fiction, Paris, Classiques Garnier, p. 205-217.

GARAPON Jean (2003), La culture d’une princesse. Écriture et autoportrait dans l’œuvre de la Grande Mademoiselle (1627-1693), Paris, Champion.

GARAPON Jean (1989), La Grande Mademoiselle mémorialiste. Une autobiographie dans le temps, Paris, Droz.

GERVASI Laurène (2019), La Liberté dans les mémoires féminins au XVIIe siècle, Paris, Classiques Garnier.

TSIMBIDI Myriam (2013), La Mémoire des lettres. La lettre dans les Mémoires du XVIIsiècle, Paris, Classiques Garnier.

VERGNES Sophie (2013), Les Frondeuses. Une révolte au féminin (1643-1661), Seyssel, Champ Vallon.

Note

1 Voir notamment Les Frondeuses. Une révolte au féminin (1643-1661) de Sophie Vergnes (2013), et La Liberté dans les mémoires féminins au XVIIe siècle de Laurène Gervasi, en particulier « La grande mademoiselle. La lucidité, clef de la liberté » (2019, p. 35-70), ainsi que l’article de Jean Garapon, « Deux visages de l’héroïsme féminin avant et après la Fronde : Mlle de Montpensier et Mme de Longeville » (2019, p. 205-217).

2  Comme on ne saurait restituer le détail de ces influences littéraires dans les limites de cette étude, nous invitons le lecteur à en retrouver l’analyse dans le travail de Jean Garapon (2003).

3  Voir La Grande Mademoiselle mémorialiste. Une autobiographie dans le temps de Jean Garapon (1989, p. 45-46 et p. 65-66). Sur la fortune éditoriale de l’œuvre, voir La Mémoire des lettres. La lettre dans les Mémoires du XVIIe siècle de Myriam Tsimbidi, en particulier « Les Mémoires de Mademoiselle de Montpensier : le jeu des éditions » (2013, p. 285-287).

4 Faute d’avoir pu encore profiter de la récente édition critique de Jean Garapon publiée chez Honoré Champion au moment de la rédaction de ce texte, on se réfèrera en priorité à l’édition du Mercure de France abrégée en un volume, mais en puisant dans l’édition d’Adolphe Chéruel parue en 1858 certaines scènes qui ne sont pas reprises par l’éditeur de 2005, Bernard Quilliet.

5 « [J]’ai toujours eu pour Monsieur toute la tendresse possible, même lorsque j’ai cru n’en être pas bien traitée », écrit-elle en rapportant la capitulation de Gravelines devant les troupes de son père en juillet 1644 (Orléans, 2005, p. 56).

6 Sur la rivalité opposant la maison d’Orléans et celle de Bourbon-Condé depuis l’exécution du duc de Montmorency en 1632, puis sur la réconciliation entre Mademoiselle et son cousin, voir Garapon, 1989, p. 128-129.

7 « Dans ce moment, il entra. Je le trouvai fort bien fait et de beaucoup meilleure mine qu’il n’avait devant son départ, quoiqu’il eût les cheveux courts et beaucoup de barbe, deux choses qui changent les gens. Je trouvai qu’il parlait fort bien français. » (Orléans, 2005, p. 102.) Cf. déjà p. 81, lors de précédentes retrouvailles : « Je le trouvai de fort bonne mine et meilleure qu’il n’avait lorsqu’il était parti de France. »

8 Voir la tournée d’inspection dans la ville d’Orléans ralliée de justesse au parti des princes (Orléans, 2005, p. 122-123), et surtout au début du conflit, lors de la Fronde des parlements qui effraie la cour : « [p]our moi qui n’en avais jamais vu et qui n’étais pas en âge de faire aucune réflexion, toutes les nouveautés me réjouissaient ; […] les jours qui suivirent, je ne m’amusais qu’à regarder tous les gens qui avaient des épées, qui n’avaient pas coutume d’en porter et qui les portaient de mauvaise grâce » (p. 65).

9 Voir Garapon, 1989, p. 73-75.

10 Voir Les Précieuses. Naissance des femmes de lettres en France au XVIIe siècle de Myriam Dufour-Maître (2008), notamment le dernier chapitre intitulé « L’amour, geste langagier ».

11 Vient d’abord Louison Roger, que Gaston installe auprès de sa fille en 1637, puis Mademoiselle de Saint-Mégrin en 1644, et enfin Mademoiselle de Saujon en 1647, voir respectivement dans l’édition citée de Chéruel : Orléans, 1858, t. I, p. 20-21, 95-96 et 135-136. Sur la vie amoureuse du duc, voir le chapitre 6 (« Un vert-galant, comme son père Henri IV ? ») de Gaston d’Orléans prince de la liberté de Jean-Marie Constant (2013).

12 « Madame, qui prit quelque jalousie de l’amour de Monsieur, m’en sut mauvais gré, quoique je ne contribuasse en façon quelconque à cette galanterie : ce que l’on ne devait même appréhender par mon humeur, qui est directement opposée à cette sorte d’occupation. Comme Saint-Mégrin était une très honnête fille, je ne pouvais l’empêcher de me venir voir, et Monsieur encore moins » (Orléans, 1858, t. I, p. 95-96).

13  « Il me répartit aigrement… » (Orléans, 2005, p. 198).

14 Voir Garapon, 1989, p. 130.

15 Voir les termes de la lettre de Condé du 6 avril 1652 : « il n’y a rien au monde que je ne fasse pour votre service ; faites-moi l’honneur d’en être persuadée et de faire un fondement certain là-dessus » (Orléans, 2005, p. 140-141). Voir déjà p. 110 et 114 le projet évoqué par Condé de faire de notre autrice la nouvelle reine de France en lui faisant épouser Louis XIV.

16 « Monsieur ne m’[a] jamais fait l’honneur d’avoir de confiance en moi. […] Pour Monsieur le Prince, il n’en faisait pas de même : car il ne savait rien dont il ne fit part […]. Souvent il me voulait conter ce qui se passait » (Orléans, 2005, p. 154).

17 Voir La Culture d’une princesse. Écriture et autoportrait dans l’œuvre de la Grande Mademoiselle (1627-1693) de Jean Garapon (2003, p. 127).

18 Voir Garapon, 2003, notamment p. 126 et 142, et 1989, p. 149.

19 « […] mes larmes n’eurent pas plus de pouvoir sur lui que mes discours. Il était difficile de n’en pas verser en l’état auquel l’on se trouvait : quand l’intérêt de Monsieur le Prince et celui de quantité d’amis ne s’y serait pas trouvé, j’avais grande pitié de force officiers des troupes de Monsieur, honnêtes et braves gens qui me venaient tour à tour dans l’esprit » (Orléans, 2005, p. 164).

20 « Il me répliqua : “Quoi ! dès que je vous aurai épousée, voulez-vous que je m’en aille ?” Je lui dis : “Oui, car si cela est, je serai plus obligée que je ne suis de prendre vos intérêts ; et ici je vous verrais avec douleur, dansant le tricotet et vous divertir, lorsque vous devriez être en lieu ou de vous faire casser la tête ou de vous remettre la couronne dessus, qui serait indigne d’y être si vous ne l’alliez quérir à la pointe de votre épée et au péril de votre vie” » (Orléans, 2005, p. 106).

Per citare questo articolo

Referenza elettronica

André Bayrou, « Comment se forme un regard de princesse : l’écriture des figures masculines au sein des années de jeunesse dans les Mémoires de La Grande Mademoiselle », Atlantide [On line], 12 | 2021, On line dal 01 juillet 2021, ultima consultazione: 09 octobre 2025. URL : https://atlantide.pergola-publications.fr/index.php?id=646

Autore

André Bayrou

Professeur en classes préparatoires et docteur en littérature française et néo-latine du XVIe siècle, André Bayrou a exploré dans sa thèse les démêlés judiciaires des poètes de la Renaissance. L’étude des controverses autour de la poésie amoureuse le conduit à analyser les relations entre hommes et femmes sous l’Ancien Régime et les conflits d’interprétation dont elles font l’objet dans les études littéraires actuelles. André Bayrou est notamment l’auteur d’un article intitulé « Tendresse de Marot », publié en 2019 dans la revue en ligne Babel (https://journals.openedition.org/babel/5562), et d’une réflexion sur les poésies à scandale de la Renaissance parue en 2017 sous le titre « Jocandi causa : la catégorie du “jeu littéraire” dans l’étude des poésies à scandale de la Renaissance et de leur censure » dans Le Démon de la catégorie. Retour sur la qualification en droit et en littérature (Anna Arzoumanov, Arnaud Latil et Judith Sarfati Lanter [dir.]).

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