Fêlures, éclats et exsudations du corps dans Histoires parallèles

DOI : 10.56078/atlantide.850

Abstracts

La fiction qui se déploie dans Histoires parallèles se défend de faire œuvre historique ou documentaire mais elle tisse d’inexorables liens avec l’histoire européenne des années 1920 à 1989, c’est-à-dire de la régence nimbée de national-socialisme de l’amiral Miklós Horthy à la chute du mur de Berlin. Décrivant avec précision la consistance de l’étron de merde ou celle de la gelée humaine que constituent la cervelle, le sang et l’urine des corps écrasés, l’écriture de Péter Nádas peut être qualifiée de corporelle – voire d’organique, parfois de génitale. Elle s’attache avec minutie à dépeindre les corps pris dans les rets de l’Histoire, ces corps qui gardent trace des rêves totalitaires, des stratégies politiques et des pratiques sociales mais aussi de la censure et des interdictions qu’ils produisent. Une des forces du roman réside dans l’organisation de la rencontre entre la profondeur philosophique d’une réflexion sur l’Histoire, sur les enjeux de son écriture, et l’inscription radicale de cette même Histoire dans des tissus organiques et des fluides corporels donnant lieu à des récits à la puissance visuelle stupéfiante. Dans un jeu de correspondances, la haute teneur philosophique et politique du roman se mesure à l’aune de sa propension à sonder l’abject, l’hyper-organique et l’hyper-sexuel.

Parallel Stories is not a historical novel or a documentary novel but the fiction has close and relentless ties with History of Europe from 1920’s until 1989, that is to say from Admiral Miklós Horthy's pronazi regency until the collapse of the Berlin wall. Péter Nádas describes accurately the consistency of the turd or the consistency of the human jelly made of brain, blood and urine of crushed bodies: Péter Nádas’ writing spreads out bodily, even organically and is sometimes purely genital. Péter Nádas endeavours to describe precisely the bodies caught up in the snare of History: these bodies keep track of totalitarian dreams, of political strategies and of social practices but also of the censorship and of the prohibitions they convey. In Parallel Stories, and it’s probably one of the main strengths of the novel, Péter Nádas organizes the encounter of a philosophical form of history thinking, a reflection about what is at stake when we write History and how History leaves tangible traces, radically written in body tissues and bodily fluids – the description of these traces giving rise to narratives which are stupefyingly visual. In a kind of matching game, the high philosophy content and the high politics content of the novel are matched by its ability to scrutinize the abjection, the hyperorganical and the hypersexual.

Plan

Full text

Roman-monde, Histoires parallèles caresse le rêve d’une polyphonie totale. Le poème fictionnel démultiplie les récits et leurs ramifications, agence des « histoires parallèles » qui ne trouvent, dans la majeure partie des cas, nulle résolution. La prose narrative, toujours à la limite du brouillage, pratique une forme de montage où l’intrication des lignes de récit et leur porosité suscitent bien souvent la dérobade du sens. La causalité des récits est fuyante, laissant une large part à l’aléatoire, à ce que Péter Nádas désigne comme une « improvisation à la merci d’une chaîne de contacts » (Nádas dans Perraud, 2012). Au seuil du roman, l’auteur fait figurer une épigraphe qu’il emprunte à Parménide, et qui souligne la non-linéarité des narrations mises côte à côte :

Közös az, ahonnan elindulok: ugyanoda érkezem. Parmenidész. (PT I, p. 5)

Il m’est indifférent de commencer d’un côté ou de l’autre, car en tout cas, je reviendrai sur mes pas. Parménide. (HP, épigraphe, p. 7)

Avec ce maelström où se côtoient plus d’une centaine de personnages, Péter Nádas se défend de faire œuvre historique, affirmant avec insistance dans la note inaugurale le caractère fictionnel de son roman :

Sietve kijelentem, hogy nem történeti munkát, hanem regényt tart a kezében az olvasó, s így minden valóságosnak testző név, alak, esemény és helyzet az írói képzelet terméke és semmi más. (PT I, p. 7)

Je m’empresse de souligner que le lecteur tient en main non pas une œuvre historique, mais un roman, et qu’ainsi tout nom de personnage, événement ou situation d’apparence réelle relève ni plus ni moins de l’imagination de l’écrivain1. (HP, p. 9)

Pourtant l’histoire de la Hongrie — et, au-delà, de l’Europe — y joue un rôle majeur, quoique parfois larvé ou constituant une trame d’arrière-plan. Histoires parallèles balaie plus de cinquante ans de l’histoire européenne des années 1920 à 1989, de la régence nimbée de national-socialisme de l’amiral Horthy à la chute du mur de Berlin. Cultivant un bouleversement permanent de la chronologie historique, le roman procède par brusques sauts et multiplie les allées et venues entre présent et passé. En dépit de son fort ancrage historique, la fiction n’a « pas réellement de début et […] n’a pas de fin non plus » (Nádas dans Broué, 2012).

Égaré dans l’apparent chaos du roman, peinant parfois à identifier les personnages mais aussi l’époque dans laquelle ils évoluent, le lecteur d’Histoires parallèles est aux feux croisés de flux narratifs et fait l’expérience d’une écriture à la fois philosophique, historique et corporelle qui le plonge au cœur d’une Europe marquée par les totalitarismes, dans un pandémonium à figure tristement humaine où la quête de sens semble illusoire. L’intérêt du romancier pour « la nature des liens entre les gens qui ne se connaissent pas » le conduit à relativiser — sinon mettre en cause — la notion de libre arbitre ainsi que « le concept traditionnel de la personne et toutes les conceptions politiques connexes » (Kovacs, 2007, notre traduction). La quête d’un sens, sinon absolu ou définitif, du moins satisfaisant pour la raison, paraît vaine. La mise en cause des relations de causalité perçues comme artificielles va de pair avec le dynamitage de toute conception dialectique et hégélienne du sens de l’Histoire. Délibérément non close, la forme romanesque invite les « histoires parallèles » à se poursuivre à l’infini et témoigne de l’éclatement de l’usuel cadre narratif, miroir tendu à la pulvérisation de la conception traditionnelle de l’anthropologie philosophique. Colossal montage de récits enchevêtrés et disloqués, reçu par les lecteurs français comme « un monstre venu de Hongrie »2, une plongée « dans le fleuve d’un effarement inextinguible »3, le roman juxtapose et entremêle des lignes narratives qui sont autant de lignes de failles du temps historique. À la croisée des innombrables regards s’élabore une radioscopie des mécanismes totalitaires, de l’Histoire et de l’humain qui les charrient et les composent.

Les trajectoires individuelles rencontrent les lignes brisées de l’Histoire. Les corps sont à la fois un enjeu des sociétés et des régimes dépeints par le roman et un lieu d’inscription du social et du politique. Les romans de Péter Nádas témoignent du désir de ne pas restreindre le champ du représenté, de faire accéder à la représentation ce qu’il conviendrait — moralement, esthétiquement ou politiquement — de taire ou cacher. Il s’ensuit que l’écriture s’emploie souvent à montrer le corps avec outrance ou à le mettre en scène de façon spectaculaire et hyperbolique. Épique, burlesque et érotico-pornographique, l’écriture nádasienne explore le corps organique jusque dans ses moindres sécrétions, non sans complaisance pour l’abject ; elle saisit les corps au cœur d’images et de scènes tantôt grand-guignolesques, qui oscillent entre le bouffon et le monstrueux, tantôt trash, gores ou obscènes.

Le lecteur assiste au déploiement d’une « écriture corporelle », notion qu’élabore le Hongrois Zsolt Bagi (2005) au sujet de l’écriture romanesque de Péter Nádas, et que reprend Gábor Csordás :

The novel’s four sets of interwoven narratives, spanning eastern and western Europe from the early 1960s to the fall of the Berlin Wall, are powered by the twin forces of politics and eroticism. But Parallel Stories is more than the sum of its plot lines: the real narrative is that of bodies’ actions on one another, their attraction and desires, their mutual memories. This kind of “corporeal writing” is Nádas’s great novelistic innovation. […] / Nádas’s option is reality embodied in language, to such an extent that the embodiment must increasingly be understood literally; it gradually occupies and transforms from within the forms of storytelling adopted by the author. (Csordás, 2006)

Les quatre récits entrelacés, couvrant l’Europe orientale et occidentale du début des années 1960 à la chute du mur de Berlin, sont alimentés par les deux forces jumelles de la politique et de l’érotisme. Mais Histoires parallèles est plus que la somme de ces lignes de l’intrigue : le véritable récit est celui des effets des corps les uns sur les autres, leur attirance et leurs désirs, leurs souvenirs communs. Cette sorte d’« écriture corporelle » est une grande innovation stylistique de Nádas. […] / Le choix de Nádas est la réalité incarnée dans le langage à tel point que l’incarnation doit de plus en plus être comprise littéralement ; elle occupe progressivement et transforme de l’intérieur les formes de récit choisies par l’auteur. (Notre traduction)

À la fois organiques et scéniques, les corps sont exposés par une « écriture corporelle » qui dissèque la moindre de leurs pulsions de façon précise et détaillée. L’analyse de Bagi reprise par Csordás souligne un aspect primordial de l’écriture « incarnée » ou « corporelle » de Péter Nádas : « elle occupe progressivement et transforme de l’intérieur les formes de récit choisies par l’auteur ». Disruptive, l’invasion du verbal par les corps contribue à faire du poème fictionnel une sphère de métamorphose esthétique en même temps qu’un lieu de réflexion politique. Charriant les horreurs de l’Histoire, le roman donne à voir pêle-mêle les atrocités de la déportation pendant le régime de l’amiral Horthy, les centres eugénistes nazis où les jeunes garçons sont soumis aux expérimentations scientifiques les plus effarantes et monstrueuses, la terreur que fait régner le gouvernement prosoviétique dans la Hongrie de Mátyás Rákosi, le traitement réservé aux Juifs et aux Tziganes, l’écrasement brutal de la révolution de 1956 lors de l’entrée des chars soviétiques dans Budapest. Histoires parallèles découpe volontiers au scalpel les psychés, l’Histoire et la société, mais également les anatomies et les sexualités, au plus près de l’organique et du gros plan génital4. Avouons que l’irruption des corps sexués et pornographiques est rarement aussi prégnante dans la littérature. Les bas instincts suintent et exsudent pour infiltrer une écriture dont l’organicité et la corporéité sont des aspects majeurs.

Comme ceux de Rabelais, les romans de Péter Nádas s’élaborent indépendamment de la distinction du « haut » et du « bas » ; l’écriture creuse l’histoire, explore les sphères de la pensée, s’attarde à sonder « les intermittences du cœur »5 — préoccupations qui valent à Péter Nádas d’être fréquemment comparé à Thomas Mann, Robert Musil ou Marcel Proust —, mais elle fouille également les mixtions, excrétions et sécrétions des corps — qu’elles soient sexuelles ou non — creusant la chair. En somme, dans l’écriture nádasienne, philosophie spéculative, dissection des sentiments et sensations, fouille et radiographie des corps sont des outils herméneutiques d’égale importance : le poème fictionnel est « [c]omme une glissade entre plaisir de l’esprit et plaisir de la chair »6 (HP, p. 456), « le principe matériel et corporel » s’articule avec la pensée philosophique, historique, politique au cœur de ce que Mikhaïl Bakhtine nomme un « réalisme grotesque » (2001, p. 28). Dans ce roman, la pensée de l’être humain du xxie siècle et de notre monde naît, comme l’homme, inter faeces et urinam.

1.  Le corps, un enjeu politique

Le Livre des mémoires s’ouvrait avec l’épigraphe biblique « Mais il parlait du temple de son corps… (Jean 2, 21) »7 (LM, p. 9). Histoires parallèles poursuit et amplifie l’entreprise de monstration d’un corps organique, non normatif, éructant et exsudant, qui se présente comme l’envers du corps glorieux, puissant et aseptisé — prôné par l’idéal racial nazi comme par la statuaire stalinienne. Interrogeant le récit historique, la fiction choisit délibérément de montrer le corps comme un enjeu politique fondamental. À ce titre, la frontière entre norme et pathologie est l’objet de développements nombreux. Voisines de celles qui campent les NAPOLA8 dans Le Roi des Aulnes de Michel Tournier (1970), les scènes qui donnent à voir les expérimentations médicales mises en œuvre dans un centre pour adolescents sont emblématiques : il s’agit de comprendre les lois de la génétique en vue de purifier la race et la nation. La focalisation sur le personnage du garçon qui vient de se donner la mort est l’occasion d’évoquer la vague de suicides chez les jeunes hommes du centre, mais aussi les examens qui les y poussent (énucléations, expériences sur les appareils génitaux, états de semi-conscience que permettent les analgésiques et les anesthésiants durant les opérations, etc.). Déterminisme génétique, eugénisme, idéaux de pureté et de santé suffisent à rappeler la politique raciale nazie qui a marqué, entre autres, la Hongrie9 et que Péter Nádas interroge dans son œuvre romanesque10. Dans l’État totalitaire, les arguments scientifiques servent la définition d’une norme prescriptive, comme le montrent les propos du baron von der Schuer, membre éminent de l’Institut Kaiser Wilhelm d’hygiène génétique et de biologie raciale. Sans ambages, ce personnage identifie lois génétiques et déterminisme, justifiant ainsi la nécessité de la sélection raciale :

Az egészség és a betegség, a tehetség és a téboly, vagy akár egész családok, nemzetségek, népek felemelkedése és nyomtalan eltűnése nem egyedül a környezet befolyása alatt áll, magyarázta tovább von der Schuer a grófnőnek, ahogy a megrögzött individualisták vagy a bolsevikik szeretnék velünk elhitetni, hanem intern öröklési törvények, ha akarja, grófnő, akkor zárt öröklési láncok, mondhatni, önálló öröklési elbeszélések következménye. Ami egyszerűbben fogalmazva azt jelenti, hogy a mi a természetnek előbbre való egysége, mint az én, s annak a népnek, amelyik ezt a kemény törvényt ma nem ismeri föl, holnapra vége van. Az örökletes állomány előre megszabja annak a kölcsönhatásnak a módusát, amely az élőlény és a környezete között létrejöhet és létrejön. Ezen egy éléten át nem tud változtatni senki, bizony grófnő, így kell felfognia. Jó esetben ezt a sajátosságot fogja a személyiségének tekinteni. […] A fajtisztaság pedig nem öncél, ne legyen közöttünk ilyen félreértés, nem rögeszme, hanem a fajták fennmaradásának biológiai előfeltétele. (PT III, p. 196-197)

La santé et la maladie, le génie et la folie, le développement et la disparition pure et simple de familles entières, de nations ou de peuples ne sont pas déterminés par le seul environnement, continua d’expliquer von der Schuer à la comtesse, ainsi que les individualistes forcenés ou les bolcheviques voudraient nous le faire croire, mais aussi par les lois internes de la génétique, des chaînes héréditaires fermées si vous voulez, comtesse, des récits d’hérédité indépendants dont ils sont les conséquences. Cela signifie, pour formuler plus simplement les choses, que du point de vue de la nature le nous est une unité qui prime sur le je, et que si un peuple ne reconnaît pas cette dure loi aujourd’hui, il périra demain. Le patrimoine génétique définit par avance les modalités de l’interaction susceptible de s’instaurer et qui s’instaure en effet entre l’être vivant et son environnement. Personne ne peut rien y changer sa vie durant, c’est un fait, comtesse, voilà comment nous devons comprendre les choses. […] Quant à la pureté de la race, ce n’est pas un but en soi ou une idée fixe, mais la condition biologique sine qua non de la survie des espèces. (HP, p. 755-756)

Les corps, leurs gènes, leur sélection en vue de la reproduction constituent un enjeu historique et politique majeur du roman. Montrant la porosité de la frontière entre norme et pathologie, la représentation des corps sexuels est également l’occasion d’une remise en cause des relations hétéronormées et d’une réflexion sur le désir humain que Péter Nádas met en scène et en question. Le fils même du baron von der Schuer est un enfant efféminé, « particulièrement anémique, au visage pâle » qui s’évanouit souvent. « Trop beau pour un garçon », il suscite la méfiance et l’embarras11 (HP, p. 750). Selon la baronne von Thum zu Wolkenstein, « n’importe qui pouvait voir que le garçon deviendrait pédéraste »12 (HP, p.757). Comme le montrent les travaux de Gayle Rubin ou encore ceux de Teresa de Lauretis, historiquement, l’hétérosexualité a été assimilée à la norme et à la santé. Associée à la nécessité de la reproduction, elle est le moyen de l’évolution attendue et normalisée du vivant alors que l’homosexualité apparaît comme pathologique et mortifère — présupposé que le roman n’a de cesse d’interroger. Les errances nocturnes du jeune Kristóf sur l’île Marguerite, où « des hommes désireux d’offrir leur corps en pâture ou avides d’en trouver qui se donnent sans mots quitt[ent] les sentiers et s’élanc[ent] dans les sous-bois »13 (HP, p. 336) permettent par exemple à Péter Nádas d’examiner et de représenter comment les sexualités non normatives, considérées comme déviantes, s’organisent en monde. La promenade sur l’île Marguerite accueille une représentation spectaculaire du corps jouissant avec la scène de bukkake — c’est-à-dire d’éjaculation collective ou encore de douche de sperme :

Valójában nem tudta volna megszámolni, hányan vannak ezek a férfiak, akik maguk is rövid, furcsa kis hangokat hallattak, mert a lemeztelenített, kövön heverő testére csapkodták ki a spermájukat.
Halk toccsanásokkal értek le a hasára és a mellkasára, melegen. (PT II, p. 147)

Mais il n’aurait pu dénombrer les hommes qui se dressaient là, dans un concert de brefs et bizarres petits sons gutturaux, car à même le corps dénudé, gisant là, sur le carreau, ils débondaient leur sperme.
À chaudes giclées muettes, ils l’atteignaient au ventre, au torse. (HP, p. 436)

Le voyage initiatique de Kristóf sur l’île Marguerite est l’occasion de représenter de façon hyperbolique un corps désirant et jouissant, mais il relève également de la tentative du jeune homme de s’accepter comme homosexuel et, indirectement, comme juif : « Non content d’être juif de naissance et orphelin de surcroît, il faut en plus que je sois pédé »14 (HP, p. 345-346), s’avoue-t-il. Chez Kristóf, la question de l’identité conjugue homosexualité et judéité et se heurte à la société hongroise et à son histoire.

L’écriture de Péter Nádas emprunte volontiers aux formes pornographiques ou « érotico-trash » leur logique de présentation et de représentation des corps. Le roman donne à voir une réalité augmentée, d’ordre néobaroque, met l’accent sur le caractère organique — voire abject — des corps, leur donnant une visibilité jusque dans les manifestations les plus triviales et obscènes. Histoires parallèles scrute et sonde la matérialité d’un corps au cœur d’explorations qui ne relèvent pas d’une quête de transcendance, mais interrogent le corps, son organicité et ses sexualités en l’inscrivant dans les champs social et politique, fouillant l’humain — sa psyché, mais aussi sa matière physiologique et ses comportements sexuels. En termes foucaldiens, on pourrait dire que penser et représenter les assignations normatives amène la fiction à questionner la domination en ce qu’elle est pouvoir — le paradoxe du pouvoir étant qu’il interdit autant qu’il produit. Aussi le surgissement des corps sème-t-il le trouble dans la narration, poussant le roman à interroger, élargir, complexifier le champ du représenté ainsi qu’à questionner l’écriture de l’Histoire.

Paradigmatique de la Shoah, des charniers et des chambres à gaz, le chapitre au titre wagnérien « La Liebestod d’Isolde » (« Isolde szerelmi haláldalát ») est envahi par une « invariable puanteur de chairs brûlées et d’os calcinés »15 (HP, p. 78) et donne à voir la destruction panique à laquelle se livrent les soldats allemands alors que la défaite du IIIe Reich est imminente :

Odabenn izzott, szenesedett még egy hét múltán is, idekinn viszont rövid idő múltán kihunyt a lángolás, alig mentek el. (PT I, p. 103)

Au-dedans, l’amas de corps braillait et se carbonisait encore une semaine après, mais dehors le flamboiement avait vite pris fin, juste après leur départ. (HP, p. 79)

Ou encore :

Az éghető emberi kocsonya az árkokban összefolyt, a zsír és a csontvelő a maga fajsúlya szerint finom rétegkbe gyűlt […]. (PT I, p. 106)

La gelée humaine s’accumulait, inflammable, au fond des fosses, graisse et cervelle, selon leur densité spécifique, s’y déposaient en fines couches […]. (HP, p. 81)

La narration s’attarde sur les chiens et chats errants affamés qui se jettent sur les cadavres mais expose également la tentation des survivants de se livrer à l’anthropophagie, les cadavres s’offrant comme une rare source d’hydratation16. Refusant de détourner le regard de l’horreur qu’il sonde et interroge au contraire dans ses manifestations les plus abjectes, le roman souligne l’explicite décalage entre les images esthétiques que vise à créer a posteriori la fiction cinématographique et celles qu’il souhaite donner à voir :

Ruhájuk és sapkájuk világos csíkja villant az alacsony, nedves, mohától gyöngéden bársonyos törzsek között. Siralmasan néztek ki, nem úgy néztek ki, mint később a filmeken, s ezzel tisztában voltak maguk is. (PT I, p. 108)

Les rayures claires de leurs habits et de leur calot transparaissaient entre les troncs rabougris que les mousses humides veloutaient en douceur. Ils avaient l’air pitoyable, bien loin de l’image que le cinéma en viendrait plus tard à forger, eux-mêmes s’en rendaient compte. (HP, p. 83)

Dans une forme d’hyperréalisme, la fiction a l’ambition de livrer avec une brutalité dénuée de toute prétention morale ou esthétisante une réalité subjective qui se donne à lire comme une version crue et non unifiée de l’Histoire.

Autre épisode historique déterminant de l’histoire hongroise dont les corps gardent trace, la défaite du royaume de Hongrie contre l’empire ottoman, le 29 août 1526 à la bataille de Mohács entraîne la disparition de la Hongrie en tant qu’État indépendant, alors que la partie orientale du pays est annexée par Soliman le Magnifique.

Dans Histoires parallèles, deux personnages alors adolescents, Madzar et Bellardi, trouvent sur le rivage au sud de Mohács, une sorte de fosse commune où « bouts d’os, crânes humains, fémurs, bassins et phalanges d’orteils étonnamment intacts saill[ent] en couche épaisse de la paroi sablonneuse, mais au moindre contact, tomb[ent] en poussière, mêlés au sable »17 (HP, p. 521). Même morts, déliquescents, réduits en poussière, les corps demeurent dans Histoires parallèles le témoignage du passé avec lequel et en dépit duquel se construisent les sociétés contemporaines. Sur et dans les corps de la fiction nádasienne s’inscrivent les tragédies passées. Le personnage du jeune Kristóf note ainsi que la patronne du café où il se rend compte au nombre des rescapés :

Inkább csak a szemem vette tudomásul, hogy ez az idősebb aszszony a megjelölt emberek közé tartozik. Karjának belső hajlata alatt a kék tintával tetovált számok. Betűvel kezdődött, majd kis vonal, amolyan gondolatjel, s aztán maga a szám, talán hatjegyű. Különben csak akkor lehetett látni ilyen számokat, ha a férfiak rövid ujjú inget, a nők pedig ujjatlan nyári ruhát viseltek. Egy ismeretlen ember csupasz karja fölnyúlt a villamosban, megragadta a bőrfogódzók egyikét, s akkor láhatta az ember, hogy az másiknak mi lett a sorsa.
Nem elég, hogy mi történt vele, hirtelen nyilvánossá, bárki prédájává vált az élete. Volt, aki sebésszel operáltatta le, ám akkor a bőrátültetés ráncosan forradt vagy fényesebb hege lett a jel. (PT II, p. 216)

J’avais vu sans le voir qu’elle comptait au nombre des rescapés. Témoin là, sous le pli du coude, les chiffres tatoués à l’encre bleue. D’abord une lettre suivie d’un tiret, tel un trait d’union, puis le numéro lui-même, peut-être à six chiffres. Ces matricules, sinon, ne se voyaient que lorsque les hommes portaient des chemisettes, ou les femmes, des robes d’été sans manches. Dans le tram, un inconnu levait le bras, agrippait l’une des poignées de cuir, et les vicissitudes de son destin vous sautaient aux yeux.
Outre ce qu’ils avaient subi, il fallait de surcroît que leur vie s’offrît en pâture aux regards de quiconque. Certains avaient bien eu recours à la chirurgie, mais la greffe de peau et sa cicatrice bordée de ridules ou d’un bourrelet brillant les désignaient alors. (HP, p. 486)

Sans être l’objet principal du roman, la société de l’immédiat après-guerre apparaît au détour des intrigues. Pendant la révolution de 1956, alors que les Russes, repliés vers la basilique, disposent de canons et que la gare est aux mains des insurgés, le personnage de Kristóf sillonne Budapest où les files d’attente serpentent sur les trottoirs ; en quête de nourriture, tentant d’échapper aux tirs de mitraillettes et aux combats de rue, il croise survivants, rescapés et blessés de guerre. Il éprouve la « honte incompréhensible »18 (HP, p. 488) des bien portants alors que la narration s’attache à décrire longuement et à plusieurs reprises les corps marqués, mutilés, déformés, mêlant le tragique à l’humour :

Volt, akinek a karja, volt, akinek a lába hiányzott, a nadrágok szárát, az ingek ujját biztosítótűvel tűzték fel a végtagok helyén, vagy szabadon lengett a csonkokon. A zakók karja be volt tűzve a zsebekbe. Voltak cipőkben végződő falábak, vagy csonkokra és derékra szíjazott mankók. És hegek, varratok, hiányok, torzulások, tüzek és fagyások nyoma, iszonytató arcokon. […].
Csaknem minden reggel láttam egy férfit, akiből nem maradt meg más, mint a törzse. Görgős deskán hajtotta magát a lábak között. […] A Szófia utcából gurult elő, vastag bőrkesztyűbe burkolt kezével fékezett. […] Mindig ugyanazt a két mondatot mondta. A megszólított mindig férfi volt, kivárta. (PT II, p. 216-218)

Manche de chemise ou jambe de pantalon maintenue, repliée, par une épingle à nourrice, ou juste laissée ballante sur le moignon, il y en avait avec un bras, une jambe en moins. Les manches de veston se cousaient dans les poches. Il y avait des béquilles sanglées à la hanche, à la cuisse amputée, ou des jambes de bois, une chaussure au bout. Et des cicatrices, des balafres, des infirmités, des difformités, des stigmates de brûlures, de gelures, des visages horrifiants. […]
Chaque matin ou presque, je voyais un cul-de-jatte. Juché sur une planche à roulettes, il se frayait un chemin parmi les jambes des passants. […] Il déboulait de la rue Szófia, puis sur le trottoir très en pente aux abords de la pharmacie, freinait de ses deux mains fourrées dans d’épais gants de cuir. […] Toujours il prononçait les deux mêmes phrases. Et d’accoster les passants, toujours des hommes, il attendait que l’un d’eux intercède enfin. (HP, p. 486-487)

Méticuleuse, la description s’attarde ensuite, non sans humour, sur la spectaculaire performance du mutilé de guerre :

A görgős deskát le tudta ugyan zöttyenteni, de az utca másik oldalán valakinek vissza kellett alá emelnie.
Valamennyit lökött, s miközben két öklén megemelkedett és megtartotta önmagát, mintegy hagyta, hogy a deszka kigördüljön alóla, és lebillenjen a járdaszegélyről. Egy újabb lökéssel visszahuppantotta lemetszett combtövét a deszkára, de ugyanakkor már hevesen fékeznie kellett a kesztyűvel, nehogy kiszaladjon az úttest közepére.
[…]
Kérem szépen, csupán a másik oldalon kéne visszasegíteni. Egy szerencsétlen hadirokkant előre megköszöni a segítségét.
A megszólított általában zavarba jött, nem tudta, mit kell tennie, de a nyomorult férfi ilyenkor már egy szót sem szólt. Lökött, megemelkedett, visszahuppant és fékezett, oly gyorsan, hogy aki először látta, nem is követhette a pontosan kiszámított mozdulatok egymásutánját.
Míg áthajtotta magát az úttesten, megadoán mentek utána. Az erősen domborodó kockaköveken a négy kis fémkerék iszonytató lármát csapott. (id.)

S’il pouvait certes sauter de sa planche, il fallait en revanche qu’on l’aide à remonter dessus, une fois de l’autre côté de la rue.
Tandis qu’il se hissait sur ses poings et se maintenait en l’air, bras tendus, il donnait à la planche assez d’impulsion pour qu’elle se dérobe sous lui, puis bascule au bord du trottoir, encore sur sa lancée. Dans une nouvelle impulsion, il bondissait alors dessus, mais à peine retombé sur ses cuisses amputées presque à ras, il devait freiner à toute force des deux mains pour ne pas filer droit devant entraîné vers le milieu de la rue.
[…]
S’il vous plaît, ce serait juste pour m’aider à changer de trottoir. De votre aide, un malheureux mutilé de guerre vous remercie d’avance.
L’interpellé se troublait la plupart du temps, ne sachant que faire, d’autant que le misérable homme-tronc, dès lors, ne desserrait plus les dents. Il donnait l’impulsion, se soulevait, bondissait, freinait, mais si vite qu’à le voir à l’œuvre pour la première fois, on ne pouvait suivre l’enchaînement de ses mouvements d’acrobate.
Alors il traversait la chaussée, le volontaire le suivait, plein de zèle. Dans l’horrible vacarme des quatre petites roues de fer sur les pavés fortement bombés. (id.)

2.  Le corps, un lieu d’inscription, un charnier de signes

Histoires parallèles s’ouvre à la manière d’un roman policier, l’année de la chute du mur, avec la découverte d’un corps dans le Tiergarten de Berlin. S’il joue avec les codes du polar et du roman noir, le poème fictionnel se livre pourtant moins à une enquête policière qu’anthropologique. L’inspecteur Kienast, dont le lecteur fait la rencontre dans le premier chapitre, ne réapparaîtra que neuf cents pages plus loin. Le meurtre est pourtant le paradigme sur lequel se décline l’histoire du xxe siècle que creuse et sonde la fiction — « une manière de dire que l’Histoire avec une grande hache n’est jamais qu’une série de meurtres », selon la formule de Pierre Assouline (2022, p. 580). Comme l’affirme Péter Nádas dans un entretien avec Laure Adler (2012), « derrière ce cadavre de la fiction, il y a des montagnes de cadavres ». La nature du mal, son inscription au cœur de l’homme, la pensée kantienne du « mal radical » (das radikal Böse) ou arendtienne de « la terrible, l’indicible, l’impensable banalité du mal » (Arendt, 2002, p. 440) constituent le point de névralgie autour duquel s’architecture la fiction. Nous ne serons donc pas étonnés que l’enquête de l’inspecteur Kienast n’aboutisse pas à une résolution éthiquement rassurante. C’est sur un mode négatif que Péter Nádas recourt au modèle du polar : l’absence de liens de causalité entre les faits, comme dans les relations entre les personnages, déçoit les attentes tant rationnelles que morales du lecteur. Les enquêtes de l’inspecteur Kienast occupent d’ailleurs une place toute relative dans le champ fictionnel.

Le roman déploie la trivialité et la matérialité des corps que le marxisme, alors même qu’il repose sur un matérialisme radical, refuse : elles creusent ce corps que Jean Baudrillard nomme « charnier de signes » (Baudrillard, 1976, p. 153) et qui est à la fois le relais d’un ordre social et le palimpseste de rapports de pouvoir en perpétuels mutation et devenir19. Le corps organique, et la question de son rapport à l’économie politique, surgit avec insistance au cœur de la fiction. La sensualité et la sexualité sont des espaces où l’individu fait l’expérience du monde extérieur. Le corps est la chair où s’inscrivent et s’écrivent les pratiques sociales et politiques non seulement de l’individu, mais aussi du temps et du lieu dans lesquels il vit et qui le déterminent. Comme les méandres de la conscience et de la psyché, celles des sexualités rencontrent les sinuosités de l’Histoire et s’entrechoquent avec elle.

Aux fondements de la fiction romanesque se trouve l’idée qu’une Histoire écrite par ceux qui ont conquis le pouvoir n’est qu’une version possible des faits, une Histoire-mémorial, sinon nimbée par le mensonge, à tout le moins faussée et dictée par un point de vue rétrospectif qui évacue les possibles vaincus. La fiction, en opérant un décentrement, en creusant les trajectoires individuelles, ne renonce pas à penser et dire une Histoire subjective et plurielle qui, pour ne pas prétendre à l’objectivité ou à l’officialité, n’en demeure pas moins une version des faits et une lutte contre l’oubli, invitant le lecteur à mettre en question la vision globalisante et unifiante qui préside au récit historique.

Dans un entretien avec Claire Devarrieux paru dans Libération (2012), Péter Nádas affirme avoir écrit « un livre phallique » avant d’ajouter : « J’ai été élevé dans une société phallique. Le genre de société qui mène à la guerre. » La pensée de Péter Nádas entre ici en résonance avec celle de la plasticienne ORLAN, qui propose avec L’Origine de la guerre20 un miroir déformant au tableau L’Origine du monde de Gustave Courbet. Avec humour, l’œuvre d’ORLAN interroge le statut des corps dans une société où « les pressions sociales, politiques et religieuses s’impriment dans les chairs » (ORLAN, 2013). Revendiquant une position féministe, la plasticienne affirme avoir voulu voir ce qui se passait sur un corps d’homme quand on le traitait comme celui de la femme du tableau de Courbet, « en lui coupant la tête, les bras et les jambes pour qu’il ne reste plus qu’un ventre, un sexe ».

Dans Histoires parallèles, la fréquentation des bains turcs, la scène de fornication entre Ágost et Gyöngyvér, la pratique onaniste à laquelle se livre Ágost avec volupté, les voraces échanges gays de l’île Marguerite sont autant d’occasions pour le romancier de donner à voir une virilité outrancière. Les scènes sexuelles sont dès lors lisibles comme des incarnations d’une phallocratie renforcée par le totalitarisme, comme le montre l’étonnante scène de masturbation du soldat allemand et gardien de camp Döhring. Après avoir mis le feu aux baraques et aux détenus, poursuivi par l’odeur des chairs brûlées, celui-ci déserte pour aller cacher le magot qu’il a subtilisé. Peu de temps avant de se faire tuer par trois fugitifs hongrois, Döhring renoue avec ses habitudes masturbatoires :

Tenyerébe köpött, a szilvától édes nyálat elkente a makkon, s ezzel még érzékenyebbé tette a kemény tenyerére. Akkor viszont már minden jól összejött. Faszának ízét nyalta a tenyeréről, az erős seggszag sem zavarta. Még ugyan nem merészelt belenyúlni a lyukába. Kicsit mindig tartott tőle, hogy lágy szarba nyúl, bár ritkán maradt tisztátalan a végbele. A tűztől annyira világos lett, hogy látta, amint a lángolás előtt sötéten fölmered, lila bimbója kinyílik, bezárul a bőrredők alatt, de nem volt annyira világos, hogy szégyenkeznie kelljen. Így aztán óvatosan, szépen tudott bánni vele. Nem kellett elsietnie. Ha kiszáradt, megsíkosította egy köpéssel, de az izgalom kiszorította már az előnedvet, a liquidum seminalét, más néven a szeminális hólyagváladékot a széles szájú húgycsövön, ami síkossá tette, élesedett tőle az élvezet. Be tudott nyúlni kicsit az ujja hegyével a húgycsövébe, amitől viszont iszonytató fájdalomba fordult át, elmélyült.
Elégedett lehettet a faszával. (PT I, p. 109-110)

Crachant au creux de sa main, il s’était enduit le gland de cette bave qu’édulcoraient les pruneaux, tandis que la rugosité de sa paume en aiguillonnait la sensibilité. Au creux de sa main, il lécha le goût de sa queue, les forts relents de son cul ne le gênaient pas. Seulement, il n’osait pas se carrer un doigt dans le cul. Il redoutait un peu d’avoir à le tremper dans la merde, quoique son fondement manquât rarement d’hygiène. Le feu répandait tant de clarté qu’il voyait sa queue, sombre et turgescente sur fond de flambée, avec son bourgeon violacé qui s’épanouissait sous l’étreinte des plis de peau, sans toutefois que la lumière soit assez vive pour qu’il dût avoir honte. Ainsi sut-il la manier prudemment, joliment. Il n’avait pas à hâter les choses. De temps à autre, il lubrifiait son gland d’un crachat, mais l’excitation en fit bientôt s’écouler, par le large trou de l’urètre, le liquidum seminale qui le lubrifia à son tour, dans un surcroît de plaisir. Il pouvait un peu enfoncer le bout du doigt dans son trou de pine, la volupté bascula dans une douleur terrifiante, en devint abyssale.
Il pouvait être satisfait de sa bite. (HP, p. 83-84)

La variété et la précision du vocabulaire employé par Péter Nádas dans l’exploration minutieuse de la génitalité masculine mise en spectacle dans ses manifestations les plus intimes et les plus triviales est une des constantes du roman. L’inclination du personnage de Döhring à jouir de sa propre anatomie, la satisfaction que lui procure « sa bite » en est emblématique. Avant que ne survienne la jouissance, Döhring excite son désir en rappelant à sa mémoire la vision des baraques incendiées et des prisonniers mourant dans les flammes : « les hommes en feu lui revenaient à l’esprit »21 (HP, p. 85). À la puanteur des corps carbonisés s’adjoint la convocation de l’image de la chair qui s’embrase et des cris des agonisants. L’ardeur sexuelle est explicitement entretenue par la fascination exercée par la monstruosité, les charniers des corps fournissant au personnage un réservoir d’images, une « vision formidable » qui ajoute à la jouissance et l’accroît :

Mielőtt a sperma fölszökött, annyit tehetett, hogy maga alá rántva lábait, előredőlt, ne az alsóruháját mocskolja be, ne az ingét. A mozdulat visszavett az élvezetből, a roppant látvány azonban hozzá is tett. (PT I, p. 111)

Avant que ne gicle le sperme, il ne put que replier les jambes et se pencher en avant pour ne souiller ni son caleçon ni sa chemise. Ces gestes lui retranchèrent un peu de jouissance, mais la vision formidable en ajouta. (HP, p. 85)

La « société phallique » que campe Péter Nádas dans Histoires parallèles a été traversée par le nazisme puis par le communisme ; elle est prompte à se penser en termes de domination/soumission, à assujettir l’individu pour le fondre dans la masse où il fait l’expérience de ce que Hannah Arendt, dans Le Système totalitaire. Les Origines du totalitarisme, nomme « la désolation », c’est-à-dire le complet déracinement social et culturel qui favorise l’identification au chef du parti et la pratique de son culte (2002, p. 305-311). Le caractère hypersexuel et phallique du roman serait donc le reflet des jeux de pouvoir qui traversent la société hongroise. Le lien qui unit sexe et politique dans Histoires parallèles a été abondamment relevé et commenté lors la parution du roman, comme en témoigne la réflexion que formule un lecteur sur son blog :

Dans le roman, tous les sentiments sont profondément imprégnés d’adoration ou de détestation phallique, c’est un bouillonnement d’émotions fébriles jamais fixées, toujours prêtes à s’investir selon ce qui exercera l’attraction la plus forte, selon la possibilité d’assouvir son désir de domination ou de soumission. La société entière est phallocentrique, perpétuant sous d’autres formes les utopies nazies, le cauchemar du Lebensborn. (« Jeté dans le fleuve… », 2012)

La référence aux maternités de l’association Lebensborn — établissements créés et dirigés par les S.S., en Allemagne puis dans les pays occupés, et dont le dessein était de favoriser l’augmentation des naissances d’enfants aryens — est frappante. Le roman de Péter Nádas n’a de cesse d’interroger la frontière entre norme et pathologie et explore en particulier la politique eugéniste menée par le national-socialisme. Objectif du régime nazi, la purification de la nation et de la race grâce à l’intensification de la sélection naturelle est indissociable de la reproduction, et donc de la sexualité humaine. Phallocentrique, la société qu’interroge et représente le roman est interprétable en termes de domination et de rapports de pouvoir. Le champ de la sexualité est à la fois un espace où sont reconduits les prescriptions et diktats d’une matrice patriarcale et hétérocentrée et un lieu de subversion, de mise en question des identités et des repères normatifs. Lors de sa parution en Hongrie, le roman a d’ailleurs fait scandale. Pierre Assouline rapporte qu’« on l’a jugé excessivement érotique et insuffisamment nationaliste. Comme si l’auteur s’était trompé dans les doses » (Assouline, 2022, p. 582). La critique qui met sur le même plan érotisme et nationalisme est révélatrice de la portée politique et subversive que revêt le sexe dans Histoires parallèles : l’espace de l’intime qu’explore l’auteur s’articule à une pensée du collectif. Les représentations des corps sont des prismes où se laisse lire une histoire sociale et politique qui, pour ne pas être nationaliste, n’en livre pas moins l’image d’une Hongrie marquée par les totalitarismes et, plus largement, d’une Europe que déterminent les traces d’un xxe siècle chaotique. L’auteur commente volontiers l’attachement de son œuvre à la sexualité la plus triviale, et plus généralement au « bas corporel » — qui englobe pratiques sexuelles, mastication, digestion, défécation —, pour souligner que sa démarche, loin de se résumer à celle du pornographe, ambitionne d’épouser la totalité du réel sans complaisance :

Il n’empêche, une œuvre traitant de la sensualité et de la digestion peut facilement être kitsch. Et les mots « con » et « bite » ne sont pas garants du chef-d’œuvre. En ce qui concerne le vocabulaire, c’est le constat de Bartók qui fait foi. Il s’est confronté à la question car il recueillait des chansons populaires d’où le « con » n’était pas absent. Le problème ne découle pas du mot mais de l’impureté de la fantaisie petite-bourgeoise. Le mot pina (« con »), chaque Hongrois l’a dit et le dira. S’il ne l’a pas dit, il l’a pensé. Alors, où est le problème ? Dites-moi, que devrais-je faire de ce mot ? Où le faire disparaître ? Je serais pornographe si je vendais ces mots sous cellophane pour qu’ils ne soient pas abîmés par la masturbation et que le cher acheteur petit-bourgeois puisse l’utiliser à plusieurs reprises dans sa solitude bien méritée. (Nádas dans Károlyi, 2005)

Les mots de Péter Nádas, pas davantage que les images et les corps que déploie son écriture, ne sont pas mis « sous cellophane » ni destinés à une consommation et une jouissance « petite[s]-bourgeoise[s] »22. Le roman, lorsqu’il flatte les instincts les plus bas et les plus archaïques, souhaite ne pas laisser le lecteur s’installer dans un confort. Si certaines scènes du roman jouent ostensiblement des codes de la pornographie, celle que propose Péter Nádas ne se considère pas comme une fin en soi mais s’associe à une vision de l’homme, du monde et de l’Histoire et, par le biais de la fiction, interroge nos présupposés, met en cause notre acceptation de cadres sociaux et politiques redevables à une certaine compréhension et élaboration de l’Histoire. De fait, cette pornographie nádasienne, « anti-mainstream », ne se conçoit ni bien-pensante, ni « politiquement correcte », accepte d’être « abîmée par la masturbation » et prend place dans une œuvre à l’indéniable ambition littéraire, philosophique et politique.

Emblématique du lien étroit qui unit corps organique, abjection et Histoire, le chapitre « Le rêve intermittent de Döhring » (« Döhring folytatásos álma ») confère au rêve et au corps abandonné au sommeil un pouvoir d’élucidation du passé. Descendant du gardien de camp déserteur Hermann Döhring — qui entretient son plaisir masturbatoire des visions et de la puanteur des prisonniers calcinés, après avoir caché son butin dans un four à fruits et avant de se faire assassiner par trois fugitifs hongrois —, le jeune Döhring semble porter dans sa chair et dans son inconscient les traces des exactions passées. Le rêve lui permet d’entrevoir que le frère de Hermann Döhring, Gerhardt Döhring —devenu son cousin dans la vision onirique — a sans doute perdu la raison au cours de la vaine quête de la boîte en carton contenant « un gros tas d’or »23 (HP, p. 151) que, dans l’enfoncement du four à fruits, la jeune Isolde a découvert par hasard :

Azt is érdekesnek találta, hogy álma átdolgozta a rokonsági kapcsolatok rendszerét. A dédapjából, akit alig ismerhetett, nagyapát csinált, a fivérekből pedig unokatestvéreket. Isoldét szintén úgy mutatta be az álom, mintha az unokatestvére lenne, holott a nagynénje volt. Világos, Isolde nagynéniként megtartotta magának a titkát, de a család általános vagyoni helyzetétől lényegesen elütő pályafutását az álomból lehetett megérteni.
Mintha ismét álmodott volna, miközben éberen ujjonghatott, hogy végre meglelte a magyarázatot. (PT I, p. 203)

De même, la manière dont son rêve modifiait la structure de sa généalogie lui parut curieuse. De son arrière-grand-père dont il ignorait, et pour cause, presque tout, le rêve avait fait un grand-père, et les frères y devenaient des cousins. Isolde y prenait les traits d’une cousine, alors qu’elle était sa tante. De toute évidence, Isolde, la tante, avait su garder son secret, mais le rêve expliquait comment sa carrière avait pu se démarquer à ce point du niveau social général de la famille.
Et tandis qu’il exulte en toute conscience d’avoir enfin découvert le pot aux roses, il croit encore rêver. (HP, p. 149)

Amatrice d’art, la tante du jeune Döhring possède une collection de toiles convoitée dans le monde entier. Le rêve du jeune homme offre un éclairage ironique du titre wagnérien du chapitre 4 du livre i « La Liebestod d’Isolde » (« Isolde szerelmi haláldalát ») : le meurtre de Hermann Döhring qui y est donné à voir, loin de provoquer le mortel chagrin de la jeune Isolde, en fait par hasard la bénéficiaire des spoliations, l’héritière d’une fortune mal acquise qu’elle dérobe à la famille. Le « rêve intermittent » modifie la structure de la généalogie tout en révélant au jeune homme le secret de la fulgurante ascension de sa tante, ainsi que les liens avec des ancêtres dont « il ignor[e] [pourtant] presque tout ». Les générations et les êtres se superposent, s’intriquent et irriguent l’être du jeune Döhring, qui se découvre plusieurs :

Testében érezte elcsigázott, halálra szánt testüket, mindkettőét. S hogy élnek, ez egyetlen mentsége lett. Ami azt jelenti, hogy valakiket viselek magamban, akik nem én vagyok, és olyan időkbe és helyekre nézek velük vissza, amelyek velem meg sem történhettek, vagy olyan időkbe pillanthatok előre, amelyek be sem következhetnének nélkülem senkivel. (PT I, p. 200)

Dans son corps, il sentait leurs corps à bout de nerfs, voué à la mort, leurs corps à tous les deux. Qu’ils fussent en vie devint sa seule excuse. Autant dire que je porte en moi des gens qui ne sont pas moi, et qu’avec eux je me reporte par la pensée à des temps et des lieux où rien de ce qui se passe n’a pu m’arriver, ou je peux voir dans le futur des temps que personne, sans moi, ne saurait vivre. (HP, p. 147)

L’histoire passée façonne les identités des personnages et démultiplie leur présence dans le temps, brouillant la chronologie linéaire traditionnelle. Les franges fangeuses du passé, les épisodes les plus excrémentiels de l’Histoire se déversent dans la conscience de Döhring, mais aussi dans son corps. Car ce sont en effet les monstruosités et les déjections de l’Histoire que sonde le roman sur un mode organique. Le chapitre ironiquement — ou cyniquement — nommé « Une civilisation toute nouvelle » (« Egy vadonatúj civilizáció ») donne à voir la déportation et le camp de Buchenwald ; lorsque le souvenir du voyage en wagon à bestiaux revient abruptement en mémoire à Irma Szemző, du verbal sourdent les fluides corporels entremêlés :

Amikor már ott vannak, elkerülhetetlenül az örökösen helyezkedő és topogó lábfejek közé kerültek, beszorulva, miként tipornak ki az élők minden folyékonyat a vagonok hézagos padlatán, vért, vizeletet, szemgolyót, bélsárt és még a velőt is. (PT II, p. 159)

À peine entrés, ce flot de pieds qui pousse et piétine tout en permanence les happait aussitôt, ainsi que les pieds des vivants qui pressaient tous les fluides contre le plancher disjoint des wagons, sang, urine, globe oculaire, contenus d’intestin et cervelle même. (HP, p. 444)

La scatologie de l’Histoire se manifeste concrètement dans le corps du rêveur Döhring qui se souille de ses propres excrétions :

Isolde ágya volt. Magam alá szartam, vagy ezt is álmodom. Ennek a valakinek tele van a segge nyílása, illetve a lágy fos tócsájában van egy keményebb, kövérebb hurka, benne a segge nyílásában, a pizsamában.
Nem lehet. (PT I, p. 201)

C’était le lit d’Isolde. Je me suis chié dessus, à moins que ce ne soit qu’un rêve, là encore. Ce quelqu’un d’assis a la raie du cul pleine de merde, plus exactement, il sent sous ses fesses une flaque de merde liquide et dans la raie, sous le pyjama, un gros étron moulé.
Pas possible. (HP, p. 148)

« [F]laque de merde » et « gros étron moulé » sont les témoignages physiques des ordures d’un passé qui hante l’être de Döhring. L’abjection qui envahit l’écriture s’offre comme le reflet de celle qui habite la société hongroise, qui se bâtit sur les monstruosités passées en les refoulant. Forme de psychogénéalogie organique outrancière, le rêve ne se cantonne pas à l’inconscient, il débonde dans le corps. Chez Péter Nádas, l’écriture du corps est bordée de meurtre et d’Histoire ; la « merde » « dégoulin[e] et s’étal[e], comme du sang après un meurtre bestial » :

S a rettenettől, hogy olyan dolgokat láttat vele a szörnyű álma, melyek értelmét ez idáig senkinek nem sikerült fölfednie, végleg fölriadt.
Amikor ténylegesen meglátta maga körül a városi éjszaka sárga és vörös visszfényeitől derengő hálószobát a nyitott ajtajával, egy kicsit még reménykedett, hogy a beszarás az álmához tartozik.
Csakhogy a bűzével együtt a valósághoz tartozott.
Térdéig húzta fel a csíkos pizsamanadrág bő szárait, összefogta, így lépett ki az ágyból, csupán a térdéig csuroghatott. Épp elég maradt az ágyneműn. Kicsi lépéseket tett, magát a hurkát, fenekének két pofája közé szorítva, sikerült néhány lépésnyire elvinnie, de amint elérte a közeli fürdőszobát, kihullott, szétomlott, s a darabokat a nadrág fossal teli, összefogott szárából kellett a kezével kihalásznia.
Akkor viszont már minden csurgott és kenődött, akár egy brutális gyilkosság után a vér. (PT I, p. 205)

Or la terreur de constater que son horrible rêve lui donnait à voir des choses que personne, à ce jour, n’avait tirées au clair l’arracha pour de bon du sommeil.
Lorsqu’il vit autour de lui la chambre à coucher qui vibrait des reflets jaunes et rouges de la nuit citadine, avec la porte ouverte, il se berça encore un peu de l’illusion que la merde faisait partie du rêve.
Il remonta jusqu’aux genoux les jambes de son ample pyjama rayé, les entortilla, et sortit ainsi du lit, ça ne pourrait lui dégouliner que jusqu’aux genoux. Les draps n’en avaient guère réchappé. Il avançait à petits pas, serrant les fesses pour y maintenir l’étron, mais à peine quelques pas plus loin, dès qu’il passa le seuil de la salle de bains voisine, il lui glissa du cul, se disloqua, et il dut repêcher à pleines mains les morceaux coincés dans les jambes du pyjama imbibées de chiasse.
Mais déjà, tout dégoulinait et s’étalait, comme du sang après un meurtre bestial. (HP, p. 151)

L’abjection, l’obscénité, au même titre que les sexualités que met en scène le roman, n’échappent pas à la société qui les produit, mais en sont au contraire les manifestations et les constructions. Elles en sont également les révélateurs. Leur mise en scène au cœur de la fiction ne cesse d’interroger les normes produites par la société, d’en questionner la légitimité, les présupposés, le bien-fondé. Comme le remarque l’écrivain américain William T. Vollmann, chez Péter Nádas les individus qu’incarnent les personnages ne sont compréhensibles qu’au regard de la société dans laquelle ils s’inscrivent :

Just as in Marx the cultural superstructure is founded upon a half-invisible economic substructure, so in Nádas the neuroses of the personality owe something to the psychoses of the society behind it. (Vollmann, 2012)

Tout comme chez Marx la superstructure culturelle est fondée sur une infrastructure économique à moitié visible, ainsi chez Nádas les psychoses de la société sont à la source des névroses de la personnalité. (Notre traduction)

Les corps divers et pluriels qui surgissent au cœur de la fiction amènent le lecteur à refuser d’essentialiser les identités et les sexualités24, à ne pas considérer les désirs comme des entités biologiques préexistantes, mais comme des mouvements pris dans un tissu de pratiques sociales historiquement déterminées25. De la même façon, les névroses des individus sont redevables aux « psychoses de la société ». Le corps, comme le sexe, ne saurait être asocial et anhistorique. Au contraire, dans la société phallique traversée par le totalitarisme qu’explore Péter Nádas, tous deux sont chargés d’histoire : il révèle l’homme que l’écrivain cherche à camper et qu’il désigne ainsi : « cet être humain, qui n’est plus, depuis la Seconde Guerre mondiale, l’homme originellement envisagé par les Juifs, les Grecs, ou les chrétiens… »26 (Nádas dans Perraud, 2012).

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VOLLMANN William Tanner (décembre/janvier 2012), « Polymorphous Adversity: Péter Nádas’s new Novel explores the Nexus of Eros and Politics », dans Bookforum, https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=bookforum

ZSÓFIA Bán (2009), « W: Párhuzamos tekintetek. A W.-fejezet (Nádas Péter) és a W.-projekt (Forgács Péter) », http://www.coltempo.hu/katalogus/ban_zsofia.html. En anglais : « 2W: Parallel Looks. The W. Chapter (Péter Nádas) and the W. Project (Péter Forgács) », http://www.coltempo.hu/catalog/zsofia_ban.html

ZSOLT Miklósvölgyi (2020), « A nemzetszocialista biopolitika színterei Nádas Péter Párhuzamos történetek cimű regényében », dans Literatura 46 : 1, p. 79-99, https://ojs.mtak.hu/index.php/ literatura/article/view/3474/2605

Version abrégée en anglais « The Scenes of National Socialist Biopolitics within Parallel Stories by Péter Nádas » dans Ferdinand Küknel & Marija Wakounig (dir.), Approaching East-Central Europe over the Centuries, Berlin/Wien/Münster, Lit-Verlag, p. 235–255.

« Jeté dans le fleuve d’un effarement inextinguible » (3 juin 2012), Article sur le blog d’un lecteur, https://comment7.wordpress.com/2012/06/03/jete-dans-le-fleuve-dun-effarement-inextinguible-morceaux-choisis-et-commentes-pour-walter-14-mai-2012/

Notes

1 De façon similaire, la note que Péter Nádas place au seuil du Livre des mémoires indique que « [l]es personnages, les noms et lieux dont il est fait mention dans ce livre sont le fruit de l’imagination de l’auteur. Les éventuelles ressemblances avec des personnes ou des événements réels seraient dues au hasard » (LM, p. 7 / « Amennyiben valaki mégis magára ismerne, vagy - Isten ne adja! - bármilyen esemény, név, helyzet fedne egy valódit, akkor az csak a fatális véletlen műve lehet, s ebben a tekintetben - ha más tekintetben nem is - kénytelen vagyok minden felelősséget elhárítani », EK I).

2 C’est le qualificatif choisi par Pierre Assouline sur son blog « La République des Lettres » (page désormais non disponible). L’essentiel de son article figure dans le Dictionnaire amoureux des Écrivains et de la Littérature (Assouline, 2022, p. 579-583) à la lettre N.

3 L’expression provient du blog d’un lecteur, dans un article qui, aux côtés d’Histoires parallèles, réserve ses commentaires à des œuvres de Walter Benjamin, Timothy Snyder, Georges Didi-Huberman, Stéphane Garin et Sylvestre Gobart, Marco Maggi.

4 Dans un article écrit à l’occasion de l’exposition du pavillon hongrois pour la 53e Biennale de Venise (2009), Bán Zsófia, qui rapproche l’oeuvre de Péter Nádas de celle de l’artiste multimédia Péter Forgács, va jussqu’à faire du microscope et du scalpel les attributs de l’écrivain, soulignant par là combien la fiction déforme la vision dite naturelle ou quotidienne pour mieux sonder et révéler les pulsions totalitaires de la société hongroise.

5 « Les intermittences du cœur » est le titre d’une des sections de Sodome et Gomorrhe dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust ; ce titre devait initialement être celui de l’ensemble de l’œuvre.

6 « Mintha megcsúsznának a szellemi és a testi élvezet között » (PT II, p. 176).

7  « Ő pedig az ő testének templomáról szól vala. János 2.21 » (EK I, p. 5) La Bible de Jérusalem propose la traduction suivante du verset : « Mais lui parlait du sanctuaire de son corps », Jn, 2, 21.

8 Destinés à former l’élite du IIIe Reich, les internats de garçons de l’enseignement secondaire sont baptisés Nationalpolitischen Erziehungsanstalten et désignés officiellement par les acronymes NPEA ou NAPOLA (NationalPolitische LehrAnstalt).

9 L’amiral Miklós Horthy dirige la Hongrie jusqu’en 1944 et s’engage fermement dans la collaboration avec le régime nazi. Aujourd’hui encore, la figure de Miklós Horthy est célébrée ou respectée par le personnel politique hongrois. Le Jobbik lui rend hommage ; le parti conservateur de Viktor Orbán, le Fidesz, actuellement au pouvoir, cautionne les commémorations locales en son honneur.

10 Voir les travaux de Miklósvölgyi Zsolt consacrés aux scènes d’Histoires parallèles où apparaissent les liens étroits entretenus par l’imaginaire nazi entre biologie et politique (Zsolt, 2020 ; une version abrégée de cette étude est également disponible en anglais).

En hongrois, voir l’article « A nemzetszocialista biopolitika színterei Nádas Péter Párhuzamos történetek cimű regényében », dans la revue « Évf. 46 szám 1: Literatura » (2020), p. 79-99 et disponible en ligne, https://ojs.mtak.hu/index.php/literatura/article/view/3474/2605. Une version abrégée de cette étude est parue en anglais sous le titre « The Scenes of National Socialist Biopolitics within Parallel Stories by Péter Nádas » in Kühnel Ferdinand, Wakounig Marija (2020), Approaching East-Central Europe over the Centuries, Berlin–Wien–Münster, Lit-Verlag, p. 235–255.

11 « Egy különösen vérszegény, halovány orcájú kisfiú, aki gyakran elájult, és ez még elégedetlenebbé tette vele szemben az édesapját. / Fiúnak túl szép volt, a felnőttek idegenkedve vagy némi bizonytalankodással néztek rá » (PT III, p. 189).

12 « Azt meg bárki látja, hogy a fiúból pederaszta lesz » (PT III, p. 199).

13 « Azok a férefiak léptek le az ösvényről, s iramodtak be a sűrűbe, akik szabad prédaként kívánták felkínálni a testüket, vagy akartak valakit, aki némán és készségesen felkínálja. » (PT II, p. 9).

14 « Nem elég, hogy zsidónak születtem, nem elég, hogy árva vagyok, még buzi is legyek » (PT II, p. 22).

15 « az égett hús, az égett csont bűzét » (PT I, p. 101).

16 « Ils ne ressentaient pas la faim, mais nourrissaient la pensée tenace qu’un tant soit peu d’humidité devait se trouver entre les fibres musculaires des cadavres. […] Pour tant soit peu d’humidité, il aurait pu sucer les mousses, lécher les branches, mais il n’y avait pas d’eau, pas la moindre goutte. Avant même de mordre dans les chairs, ils la sentaient affluer, douce, sur leur langue. » (HP, p. 81 / « Éhséget ugyan nem éreztek, de volt egy olyan megrögzött képzetük, hogy a halott izom rostjai között lennie kell valamilyen nedvességnek. […] Valamennyi nedvességet ki lehetett szopni a mohából, az ágakról lenyalni, de nem volt víz. Előre érezték, amint a harapás alatt édesen szétáramlik a nyelvükön », PT I, p. 106).

17  « Nem tudták elfelejteni. / Ahol magas partot mosott ki magának a sodrás, vastag rétegben lógtak ki a homokfalból a meglepően épen maradt csontok végei, emberi koponyák, lábszárak, medencék, lábujjak percei, melyek a homokkal együtt omlanak szét a kézben » (PT II, p. 267).

18 « a felfoghatatlan szégyen » (PT II, p. 218).

19 Voir également Baudrillard, 1986, p. 200 : « Or, dans quelque culture que ce soit, le mode d’organisation de la relation au corps reflète le mode d’organisation de la relation aux choses et celui des relations sociales. »

20 Voir https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/tkfZ2pM

21 « eszébe jutottak az égő férfiak » (PT I, p. 111).

22 Certains passages des Histoires parallèles proposent une définition du comportement « petit-bourgeois » à l’égard des désirs. Voir HP, p. 420 : « Autant dire que le domaine de la personnalité ne concerne en rien le combat insensé que ces imbéciles de petit bourgeois se livrent à eux-mêmes, enchaînés à leurs devoirs et leurs interdits, pour tenter de s’assurer une existence, et pour soutirer à l’archaïque réalité de leurs corps une manière de stabilité, de persistance, d’assurance. » (« A személyiség pedig nem több, mint a tulajdonságok nyalábja, s gazdag kínálata kedvünk és igényünk szerint szabadon használható. Akkor viszont semmi köze nem lehet ahhoz az esztelen küzdelemhez, amivel a tiltások és kötelezettségek közé beszorított hülye kispolgárok az egzisztenciájukat igyekeznek bebiztosítani, és ezzel némi tartósságot, állandóságot és biztonságot kiszorítani testük archaikus realitásából », PT II, p. 124).

23 « [a] nagy halom aranyat » (PT I, p. 205).

24 Voir Rubin, 2010, p. 151 : « Un des axiomes est l’essentialisme sexuel — l’idée que le sexe est une force qui existe indépendamment de toute vie sociale et qui forme les institutions. L’essentialisme sexuel est fortement intégré à la sagesse populaire des sociétés occidentales, qui considèrent le sexe comme éternel, immuable, asocial et anhistorique. »

25 Nous rappelons une des possibles définitions de la sexualité que formule Michel Foucault : « l’ensemble des effets produits dans les corps, les comportements, les rapports sociaux par un certain dispositif relevant d’une technologie politique complexe » (Foucault, 1976, p. 168).

26 Nous citons l’ensemble de la phrase de Péter Nádas qui exprime à nos yeux la condition tragique de l’homme moderne : « Ce qui m’a le plus aidé, c’est que j’ai déjà eu l’occasion de trépasser : le 15 avril 1993, j’ai été cliniquement mort pendant trois minutes et demie. Je suis donc un ressuscité. C’est d’un grand secours littéraire, surtout pour camper l’être humain, qui n’est plus, depuis la Seconde Guerre mondiale, l’homme originellement envisagé par les Juifs, les Grecs, ou les chrétiens… ».

To cite this article

Electronic reference

Floriane Rascle, « Fêlures, éclats et exsudations du corps dans Histoires parallèles », Atlantide [Online], 15 | 2024, uploaded on 01 July 2024, accessed on 09 October 2025. URL : https://atlantide.pergola-publications.fr/index.php?id=850

Author

Floriane Rascle

Maîtresse de conférences en études théâtrales à l’université Toulouse Jean Jaurès, Floriane Rascle a consacré une large partie de ses travaux de doctorat aux romans de Péter Nádas.

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