Parue pour la première fois dans l’hebdomadaire Spirou en 2006, la série Seuls compte à ce jour douze albums et deux cycles complets1. Il s’agit d’une bande dessinée scénarisée par Fabien Vehlmann et dessinée par Bruno Gazzotti. Bien qu’étant encore en cours, la série a été adaptée au cinéma ainsi que sous forme de romans2. On peut dire que The Girl Who Owned a City (littéralement « La fille qui possédait une ville », mais traduit en français sous le titre La Cité des orphelins ; désormais TGWOAC) de O. T. Nelson, pour sa part, a suivi le parcours inverse à celui de Seuls, puisqu’il s’agit d’un roman paru pour la première fois en 1975 et adapté sous forme de comic en 2012, sous les plumes de Dan Jolley, Joëlle Jones et Jenn Manley Lee3.
Les deux œuvres ne sont pas sans rappeler Lord of the Flies (Sa majesté des mouches) et Ravage, deux romans que Vehlmann reconnaît volontiers parmi ses nombreuses sources d’inspiration pour Seuls4. Alors que Lord of the Flies représente un groupe de garçons livrés à eux-mêmes sur une île déserte, Ravage, pour sa part, représente un groupe d’adultes qui lutte pour survivre dans un monde hyper-mécanisé qui s’écroule suite à la disparition de l’électricité5. Bien qu’il ne soit pas certain que Nelson aie connu Ravage, ces deux romans incontournables sont certainement des précurseurs de Seuls et de TGWOAC et présentent des points en commun évidents avec ces derniers. En effet, tant dans Seuls que dans TGWOAC, des enfants se retrouvent maîtres d’une (ou plusieurs) ville(s) suite à la disparition des adultes. Les raisons de ces disparitions se ressemblent mais ne sont pas tout à fait les mêmes. Dans TGWOAC, tous ceux âgés de plus de douze ans sont contaminés par un virus mortel qui semble avoir attaqué toute la planète. Si l’histoire de TGWOAC tient en un seul volume, ce n’est pas le cas de Seuls, une saga au long cours qui devrait durer encore un certain nombre d’années, même si une fin est prévue. Dans cette série, il semble, au premier abord, que les enfants soient face à une situation similaire, se retrouvant livrés à eux-mêmes dans une ville sans adultes du jour au lendemain. Ce n’est, cependant, qu’au bout de cinq albums, c’est-à-dire à la fin du premier cycle, que l’on découvre que ce ne sont pas les adultes qui ont disparu, mais bien les enfants qui sont « morts de manière particulièrement tragique6 ». Ces enfants évoluent dans un monde des limbes ressemblant au monde des vivants, bien qu’agrémenté de divers phénomènes curieux. Quoique déjà morts, les enfants de Seuls peuvent encore mourir et potentiellement revenir à la vie dans les limbes ˗ même si ce n’est pas nécessairement le cas7. En effet, selon le personnage de Camille, la « dernière mort » reste possible, « car qui peut prétendre échapper pour toujours à sa propre fin ?8 ».
Suite à ces morts tragiques et en masse, les enfants se retrouvent dans un monde qui n’est plus celui dans lequel ils évoluaient, même si le décor semble essentiellement intact. En effet, ils font face à une violence rare de la part de leurs pairs ou de la part de menaces externes ; l’argent semble ne plus être d’aucune utilité ; et la distinction entre le bien et le mal ne semble plus être aussi claire. Pour autant, peut-on dire que ces deux œuvres présentent une remise à zéro de toutes les valeurs ?
Pour répondre à cette question, je m’appuierai sur les théories de Louis Althusser sur l’idéologie développées dans son ouvrage Sur la reproduction9. Ce choix se justifie non pas tant par l’origine des ouvrages étudiés (Seuls est une bande dessinée franco-belge et TGWOAC est un roman d’origine états-unienne ; les deux ouvrages proviendraient donc de cultures où le capitalisme domine actuellement) que par le fait qu’Althusser explore les relations de classe et de pouvoir dans la société et la façon dont les valeurs de ses membres et/ou la force régissent le comportement de ces derniers, qui finissent, par ailleurs, par les reproduire eux-mêmes. Je suis tout à fait consciente des valeurs marxistes défendues de façon explicite par Althusser10. Néanmoins, le travail d’Althusser a le mérite de mettre en lumière le fonctionnement de l’Appareil d’État et des valeurs qui assurent sa continuité et propose une alternative ; à ce titre ses observations constituent un instrument utile pour analyser la question de la remise à zéro des valeurs dans les ouvrages choisis. Je commencerai donc par résumer la pensée d’Althusser dans ce qu’elle a de pertinent pour mon analyse. Par la suite je considérerai dans quelle mesure les valeurs sont maintenues ou évoluent dans Seuls et TGWOAC.
1. L’appareil répressif d’état et les appareils idéologiques d’état selon Althusser11
Althusser explique que dans la conception marxiste, l’État est un appareil répressif qui permet aux classes dominantes d’exploiter la classe ouvrière. Il affirme également que toute formation sociale dépend d’un mode de production dominant et a besoin de reproduire les conditions de production (c’est-à-dire, « les forces productives » ainsi que « les rapports de production existants ») pour continuer à exister12. L’État y parvient grâce, à la fois, à la reproduction de la main d’œuvre et à la reproduction de soumission de ces modes de production aux règles de l’ordre établi. Comme le dit Althusser, la reproduction des rapports de production « est assurée par l’exercice du pouvoir d’État dans les appareils d’État, l’Appareil répressif d’État d’une part, et les Appareils idéologiques d’autre part13. » Il établit une distinction entre l’Appareil d’État, c’est-à-dire l’Appareil répressif d’État (désormais ARE), et les Appareils Idéologiques d’État (désormais AIE). Alors que l’ARE comme conçu dans la théorie marxiste est un Appareil unique et uni qui « comprend […] le gouvernement, l’administration, l’armée, la police, les tribunaux, les prisons » et qui a principalement recours à la force répressive physique, les AIE, pour leur part, sont multiples, ne semblent pas être liés entre eux et reposent principalement sur la force de conviction idéologique14. Les AIE incluent des institutions telles que l’école, la religion, la famille, les modes de communication, la culture, le système juridique, la police et les syndicats15. Néanmoins, l’ARE ne peut pas fonctionner sans les AIE et vice versa. De plus, il est à retenir que les deux types d’appareils présentent une part de force répressive physique et une part de conviction idéologique. Par exemple, la police constitue principalement un moyen physique d’imposer le comportement souhaité par l’État. Cependant, en temps normal la police n’a pas besoin d’intervenir et d’imposer ledit comportement de façon brutale parce que les valeurs inculquées aux citoyens assurent le choix de ce comportement ; en revanche, la force physique policière s’abat sur les citoyens en infraction si ces valeurs ne suffisent pas à contrôler le comportement des citoyens de façon « volontaire ».16 Ainsi, comme le dit Althusser :
En règle générale, dans l’immense majorité des cas, pas besoin de l’intervention de la violence d’État. Pour que la pratique juridique “fonctionne”, il suffit de l’idéologie juridico-morale, et les choses marchent “toutes seules”, puisque les personnes juridiques sont pénétrées de ces “évidences” qui crèvent les yeux, que les hommes sont libres et égaux par nature, et “doivent” respecter leurs engagements par simple “conscience” (baptisée professionnelle pour masquer son fond idéologique) juridico-morale17.
Althusser fait également ressortir que « l’Armée et la Police fonctionnent aussi à l’idéologie, à la fois pour assurer leur propre cohésion et reproduction, et par les “valeurs” qu’elles proposent au dehors ».18
Toujours selon Althusser, l’AIE dominant, l’École, enseigne les compétences (telles que les mathématiques et l’écriture) et l’idéologie nécessaires pour le rôle que chaque individu est destiné à remplir dans la société, soit : exploité, exploiteur ou agent de répression. Ainsi, dans ses termes, « l’École (mais aussi d’autres institutions d’État comme l’Église, ou d’autres appareils comme l’Armée) enseigne des “savoir-faire”, mais dans des formes qui assurent l’assujettissement à l’idéologie dominante, ou la maîtrise de sa pratique ».19 Il est également important de saisir que les AIE ne sont pas la réalisation de l’idéologie dominante mais que cette idéologie se réalise et devient dominante avec la mise en place des AIE et, selon Althusser, « aucune classe ne peut durablement détenir le pouvoir d’État sans exercer en même temps son hégémonie sur et dans les Appareils idéologiques d’État20 ». Ainsi donc, l’École est l’AIE dominant de nos jours, ayant remplacé l’Église en tant que formatrice obligatoire de jeunes esprits et en tant que l’AIE qui inculque les compétences nécessaires aux futurs exploités, exploiteurs ou agents de répression21.
Il n’est pas fortuit qu’Althusser parle d’idéologie dominante : ceci reflète le fait que plusieurs idéologies peuvent cohabiter mais que l’une d’entre elles - celle de la classe dominante - est celle qui domine22. À ce sujet, il faut souligner que les AIE « [peuvent] être non seulement l’enjeu, mais aussi le lieu de la lutte des classes, et souvent de formes acharnées de la lutte des classes23. » Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que, dans la pensée marxiste, la prise de contrôle des AIE, en elle-même, ne signifie nullement une révolution dans la mesure où il ne s’agit que d’un changement au niveau de la détention du pouvoir d’État et non pas au niveau de la structure des relations de pouvoir au sein de l’État. Dans les mots d’Althusser lui-même :
Nous pouvons dire que les classiques du marxisme ont toujours affirmé : […]
3/ l’objectif de la lutte des classes concerne le pouvoir d’État, et, par voie de conséquence l’utilisation par les classes (ou alliance de classes, ou de fractions de classes) détentrices du pouvoir d’État, de l’appareil d’État en fonction de leurs objectifs de classe ; et
4/ le prolétariat doit s’emparer du pouvoir d’État pour détruire l’appareil d’État bourgeois existant, et, dans une première phase le remplacer par un appareil d’État tout différent, prolétarien, puis dans les phases ultérieures mettre en œuvre un processus radical, celui de la destruction de l’État (fin du pouvoir d’État et de tout appareil d’État)24.
Par ailleurs, Althusser rappelle le phénomène de « survivance » et « renaissance » qui préoccupait Lénine suite à la prise de pouvoir prolétaire25. Ce phénomène fait référence au fait que la prise de contrôle de l’ARE en elle-même ne suffit pas à changer l’idéologie d’une société donnée si le personnel des AIE reste le même et continue à promouvoir ou inculquer l’ancienne idéologie. Non seulement « ce qu’il reste des anciens continue en réalité d’inculquer aux masses la vieille idéologie bourgeoise ou, petite bourgeoise, même à côté de nouveaux éléments, qui jurent avec elle, qu’on leur donne pour ordre et mission d’inculquer. » mais, de surcroît, ce mélange et/ou cette survivance sous-jacents ont le potentiel de « se maintenir, se reproduire, et […] de bel et bien s’insérer dans telle ou telle faille des rapports de production ».26
Les personnages principaux de Seuls et de TGWOAC étant des enfants qui n’ont pas encore terminé leur scolarité et qui sont livrés à eux-mêmes, ils sont face à une situation qui pourrait être propice à un changement du système de valeurs, c’est-à-dire de l’idéologie dominante, existant dans leurs sociétés respectives de par le fait que leur exposition à l’AIE dominant et aux AIE en général a été interrompue et limitée - leur formation en termes d’« assujettissement à l’idéologie dominante, ou la maîtrise de sa pratique » est donc incomplète27. Du fait de la mise en danger, pour ainsi dire, de la reproduction des conditions de production, ces enfants présenteraient ainsi un danger potentiel accru pour l’État. Le but de cet article est donc de tenter d’évaluer dans quelle mesure le potentiel de remise à zéro des valeurs est réalisé dans ces deux séries en se focalisant en premier lieu sur les AIE identifiés par Althusser, à savoir, les appareils scolaire, familial, religieux, politique, syndical, de l’Information, de l’Édition-Diffusion, culturel et juridique, ainsi que l’ARE28. Mon attention se tournera ensuite vers la question de la destruction de l’État lui-même.
2. Seuls, the girl who owned a city et les aie
Alors que dans Seuls les lecteurs ont droit à un court prologue, en quelque sorte, leur présentant chacun des cinq protagonistes de la série à Fortville (leur ville d’origine) et dans leurs milieux respectifs avant l’apparente disparition de tous les adultes, dans le cas de TGWOAC les lecteurs ne voient jamais ce qu’était la vie avant la disparition29. Ainsi, si la disparition apparente des adultes dans Seuls est clairement annoncée à plusieurs reprises par la voix off (« demain, tout cela aura disparu », « demain, Dodji ne pensera plus à ces enfants. / Car demain, sa vie va changer du tout au tout ») et les lecteurs voient les cinq protagonistes se rencontrer pour la première fois et tenter de s’organiser pour survivre, dans TGWOAC, Lisa - le personnage principal - est d’emblée présentée comme étant dans un monde sans adultes où elle doit se débrouiller toute seule30. Le narrateur dit en effet : « The whole world had changed, and now life seemed terrible. » (Le monde entier avait changé et la vie semblait maintenant terrible31).
Face à ce monde changé, dans les deux œuvres, les enfants tentent tant bien que mal de se débrouiller pour survivre. Ils parent donc au plus pressé : se nourrir, se soigner en cas de besoin et se protéger des multiples dangers qui les entourent. Les dangers auxquels ils font face, surtout au départ, sont essentiellement d’ordre physique : des animaux de cirque (tigre blanc, rhinocéros, singes) ou la crainte de manquer de nourriture, par exemple. La question de la nourriture devient rapidement un souci très sérieux tant pour Lisa et son frère Todd - ainsi que Dodji, Leïla, Camille, Yvan et Terry - que pour les autres enfants livrés à eux-mêmes : ceci est une des causes majeures de rivalités brutales entre divers clans. Ainsi, la nourriture accumulée par Lisa et Todd est pillée à plus d’une reprise et ils s’engagent dans une lutte acharnée contre la bande de Chidester, menée par Tom Logan, pour défendre leurs provisions et les divers territoires qu’ils créent32. Les cinq protagonistes de Seuls, pour leur part, font face à Saul, meneur du clan du requin (plus tard renommé le clan du soleil33). En effet, Saul décrète un « partage de la ville », « juste pour savoir ce qui est à chacun », qui permet à chaque groupe de contrôler l’accès à certaines ressources34. Ces deux cas similaires débouchent sur des guerres violentes où des enfants se tirent dessus à bout portant, sont délibérément brûlés à l’huile bouillante ou manquent d’être pris dans un incendie criminel35.
Bien que ces enfants se retrouvent en quelque sorte maîtres des lieux qui étaient précédemment dirigés par des adultes, la peur, leur sentiment de vulnérabilité face aux divers dangers qui les menacent de façon très directe et les besoins matériels les poussent à s’organiser pour survivre. Alors qu’ils sont potentiellement libérés des carcans imposés par l’idéologie dominante, les méthodes adoptées par ces enfants pour survivre montrent au contraire la survivance des AIE. En effet, il n’y a, théoriquement, plus d’école, plus de famille (sauf pour ceux qui auraient encore des frères et des sœurs), de mode de communication, de système juridique, de police ou de syndicat. Quant à la culture, bien qu’elle subsiste chez les enfants, elle n’a plus qu’une place restreinte. Cependant, ces AIE survivent de deux façons : premièrement, les enfants continuent à avoir un accès, certes limité mais néanmoins présent, à certains de ces AIE. Par exemple, les enfants de Seuls et ceux de TGWOAC continuent à avoir accès à certains livres et certains films, et les enfants de Seuls continuent à utiliser les téléphones portables pour communiquer entre eux. En revanche, personne n’a plus accès à des nouvelles fraîches et régulières à travers la presse sous aucune forme. Deuxièmement, les enfants eux-mêmes choisissent de maintenir ou de recréer certains AIE dans la mesure du possible, comme on le verra plus loin.
Si aucune mention n’est faite d’une religion quelconque dans TGWOAC, dans Seuls il y a un questionnement quant à la religion mais il ne s’agit pas une remise en question à proprement parler. De par les discussions et le comportement des enfants, il est clair qu’ils n’ont pas tout à fait compris ni les rituels ni les préceptes des diverses religions auxquelles ils ont été exposés, et ne savent pas non plus comment articuler la diversité des codes correspondant à la diversité de religions - ce qui n’indique pas un rejet total et conscient. Par exemple, lorsqu’ils comprennent qu’ils sont morts, ils décident de faire une sorte de messe pour demander l’aide de dieu. Or, ils n’ont retenu qu’une partie des rites chrétiens et se mettent rapidement à discuter de la manière de s’y prendre, entre autres parce qu’ils n’ont pas tous été élevés dans la même religion : « on fait un “remix” des différentes prières36 ? ». Le jeune Terry, pour sa part, a un comportement qui pourrait être qualifié de blasphématoire à plusieurs reprises mais il est évident qu’à six ans, il est trop jeune pour comprendre le potentiel blasphématoire de ses choix. Par exemple, il reconstitue la crèche (« Marie, Joseph, le bœuf, l’âne et le divinanfant [sic] ») à l’aide de figurines de Wonder Woman ; Hulk ; un mammouth ; un chevalier médiéval et sa monture ; et Petit Poilu37. Les preuves de son incapacité à comprendre ses erreurs face aux religions - due à son jeune âge - peuvent se voir, par exemple, dans ses difficultés linguistiques à expliquer la résurrection du Christ : « Jésus, il fait démourir [sic] les gens ! Rien que lui, tu crois qu’il est mort sur la croix, pis en fait, il est ressurect… résuct… il revient !! »38 Interrogé au sujet de la crèche peu traditionnelle de Terry, le dessinateur Gazzotti affirme ceci : « je pense que Terry y croit vraiment ! Il n’est pas dans la moquerie, il garde sa naïveté d’enfant. C’est parce qu’il n’a pas de crèche qu’il en reconstitue une à sa manière. Il ne pense pas à mal, au contraire… »39 Il n’y a donc chez Terry aucune volonté d’intervenir dans l’AIE religieux.
S’il n’y a pas de syndicat, d’école, de police ou de système juridique à proprement parler dans les deux clans de Seuls et dans TGWOAC, on retrouve, ceci dit, chez ces groupes, des tentatives de reconstruire certains de ces AIE. En effet, on ne retrouve dans aucune des deux œuvres une institution syndicale mais, il y a une volonté de remettre l’AIE auquel les enfants sont le plus exposés – et ce, de manière obligatoire – (l’AIE scolaire) sur pied. Dans TGWOAC, l’école est imposée à tous ceux qui souhaitent rejoindre Lisa à Glenbard (la « ville » qu’elle construit, précisément, dans une ancienne école). Cette école a un but très clair : celui d’acquérir et de transmettre les savoirs nécessaires à la survie et à un métier par la suite. Il s’agit en effet de classes de « cooking, first aid, basic farming, camping » (cuisine, secourisme, agriculture basique, camping) le matin, puis de « farming, medicine, defense, machinery, and building » (agriculture, médecine, défense, mécanique et construction) l’après-midi40. Le but très ouvertement déclaré des classes de l’après-midi est de canaliser tous les membres de cette nouvelle société, sans exception, dans des métiers qui, de toute évidence, serviront à nourrir, soigner et défendre la communauté ainsi que la construire et, il semblerait, faciliter la vie grâce à la technologie41. Dans Seuls, les clans s’organisent pour survivre. Si on ne retrouve pas d’école dans le clan du requin/soleil, dans le clan des étendards, c’est-à-dire celui auquel appartiennent les cinq personnages principaux, les enfants montent « une école qui s’autogèr[e] » avec un « maître tournant » et chacun tente de compléter les souvenirs des autres par rapport à ce qui a été appris à l’école avant la mort42. En revanche, ces enfants ne semblent pas avoir de but aussi clair que Lisa et il semblerait que « les élèves choisissent […] le sujet des cours ».43 Plus tard dans Seuls apparaît la société de Néosalem, où le clan des étendards comme le clan du requin/soleil sont emmenés de force. Cette société est organisée de façon beaucoup plus complexe, avec des codes explicites et extrêmement rigides. On peut dire que dans le cas de Néosalem, tous les AIE sont en place et en état de marche - mais j’y reviendrai.
Les enfants des deux ouvrages montent également leurs propres troupes, qu’il s’agisse d’une milice (TGWOAC), d’une véritable armée (Seuls) ou de personnes se relayant à la surveillance du camp (Seuls). Si Lisa s’entoure de conseillers pour réfléchir à la meilleure façon de gérer Glenbard, elle s’impose malgré tout en véritable dictatrice de sa ville et rejette toute tentative de ses conseillers de l’encourager à employer un terme moins possessif44. Le clan du requin est similaire dans la mesure où Saul a, depuis sa première apparition, des sbires à son service et où il est le seul chef de son clan. Il ne semble discuter avec personne des meilleures décisions à prendre pour le groupe et n’admet pas qu’on remette ses idées en question. Mécontent de la menace que les enfants de Fortville représentent pour son emprise sur le clan du requin - et par extension pour son autorité - il choisit de torturer Dodji45. Il a donc beaucoup de mal à s’entendre avec le clan des étendards qui est moins organisé, les cinq protagonistes ayant plus l’habitude de prendre des décisions de groupe, entre autres parce que leur « chef », Dodji, ne souhaite pas être chef. Il préfère entreprendre certaines activités de façon solitaire et, souvent, il ne tranche que parce que la responsabilité lui est attribuée contre son gré ou parce que le groupe n’arrive pas à prendre de décision. Lorsqu’il quitte le groupe pour un certain temps, Dodji nomme Yvan comme son remplaçant. Ce dernier, cependant, trouve la responsabilité trop lourde et préfère ne pas être un chef imposé. Le clan organise alors, de façon rudimentaire, des élections et c’est Leïla qui devient chef46. On peut donc dire qu’au niveau politique, le clan des étendards a recréé une démocratie rudimentaire alors que le clan du requin et Lisa ont créé des dictatures plus ou moins élaborées.
On constate ainsi donc que dans les deux clans de Seuls ainsi que dans la ville de Lisa, le besoin de s’organiser pour survivre a mené les enfants à recréer un système basé sur la survivance de certains AIE, même si le degré d’élaboration des systèmes en place dans ces sociétés n’est pas toujours très avancé. Le clan des étendards se raccroche à quelques AIE relevant d’un système social démocratique sans chercher à imposer plus de règles que celles nécessaires à leur survie, et reproduisent certains modèles vus de leur vivant, mais pas tout à fait maîtrisés. Le clan du requin, pour sa part, se raccroche également à des valeurs sociales véhiculées dans la presse (par exemple, les rôles de genres sont définis selon eux par ce que représentent les catalogues de jouets pour enfants) mais s’organisent autour d’un jeune dictateur, tout comme les enfants de TGWOAC47.
3. Seuls, the girl who owned a city et l’are
Je l’ai dit plus tôt, dans le cas de Néosalem, tous les AIE sont en place et en état de marche et dans cette mesure, cette ville est celle qui présente le système social le plus élaboré. On ne voit Néosalem pour la première fois qu’à partir du deuxième cycle de la série, même si deux de ses citoyens, Alexandre et Sélène, font leur apparition vers le milieu du premier cycle48. Bien que Saul et Lisa aient su monter des troupes nombreuses et relativement bien organisées, l’armée la plus impressionnante dans son aboutissement reste celle de Néosalem ; et cette armée est représentative du degré d’élaboration des règles de cette ville.
Malgré le degré d’élaboration des AIE à Néosalem, il demeure qu’il s’agit d’une société qui est régie plus à travers l’ARE que les AIE, avec des ségrégations de classe très explicites puisque cette société est divisée en quinze « familles ». La première mention de ces familles remonte au deuxième tome de Seuls mais ce n’est que lorsque les deux clans sont emmenés à Néosalem de force que l’on découvre, en partie, ce que sont les quinze familles49. Les cinq protagonistes découvrent rapidement que les habitants de Néosalem ont tous des chiffres marqués sur leurs personnes : ils voient d’abord beaucoup d’enfants marqués de 6 ou de 7 et comprennent que « fait pas bon d’être marqué d’un “8”50 ». Il transparaît au bout d’un certain temps que les enfants de Néosalem sont morts depuis très longtemps et se sont organisés selon les critères suivants : ceux qui sont morts une seconde fois et qui sont revenus « ont formé les 7 premières familles dont le rôle est d’accueillir les nouveaux arrivants et de les protéger des forces des ténèbres… ces forces maléfiques qui commencent à se manifester à Fortville et contre lesquelles nous allons devoir une fois de plus nous battre : les 7 dernières familles51 !! ». Bien que les dirigeants de Néosalem se présentent comme étant du côté du bien alors que les autres sont présentés comme étant du côté du mal, les sept dernières familles n’ont pas voix au chapitre à ce stade et les critères pour accéder à l’une des sept premières familles ne reposent pas réellement sur des qualifications morales, quelles qu’elles soient, mais plutôt sur des aptitudes physiques ainsi que sur la fiabilité (difficilement mesurable) des nouveaux-venus.
Malgré la présence marquée d’une batterie d’AIE très structurés (on observe, entre autres, la présence de lois, d’un tribunal et d’un rôle défini pour chaque « famille »), je considère ici Néosalem pour l’attachement des premières familles à l’ARE. Dès le premier abord, les enfants des deux clans sont confrontés à une armée très ordonnée qui les mène à Néosalem52. L’esthétique de la ville rappelle le style gréco-romain et les dirigeants n’hésitent pas à avoir recours à des forces clairement répressives pour imposer leur conception du monde. Ainsi, hormis Saul que les premières familles ont nommé leur champion, tous les enfants emmenés de force à Néosalem sont d’abord mis en prison (après une brève explication de la structure de cette société) et sont ensuite obligés à concourir pour être acceptés dans une famille privilégiée. La seule façon pour eux d’être libres de quitter Néosalem est d’être acceptés dans la septième famille alors que d’être placés dans la huitième leur vaudrait d’être « traités pire que des chiens » et possiblement « dispersés aux frontières de l’empire, à des avant-postes isolés53 ». Au cours de leurs épreuves, les enfants sont interrogés, jugés et torturés tant physiquement qu’émotionnellement54. Une fois bien assis dans sa position d’élu des premières familles, Saul, qui avait déjà fait ses preuves en tant que dictateur du clan du requin/soleil, solidifie encore plus le système de ségrégation sociale en marquant de façon plus définitive ceux ayant été attribués à la huitième famille : « la marque des sans nom de la 8e ne sera plus peinte… elle sera désormais indélébile ». Convaincu en effet que tout le monde devrait mourir au moins une deuxième fois, il décide maintenant de marquer au fer rouge les membres de la huitième famille55.
En ce qui concerne le savoir, notons également qu’Anton - un des deux personnages qui jusqu’à ce jour se sont le plus interrogés sur l’univers dans lequel les enfants évoluent depuis leur mort - est intégré au groupe de penseurs de Néosalem, à condition de respecter les règles très strictes de cette société56. Ainsi, les magisters lui ouvrent les portes d’un savoir privilégié en lui faisant la proposition suivante : « Je peux te donner accès à des archives très rares… […] mais en échange de cet accès […] tu devras jurer fidélité absolue à notre cause et ne divulguer tes théories qu’à nous seuls ».57 L’ARE, cependant, n’est pas suffisant pour contrôler Anton qui, bien qu’ayant promis la loyauté aux magisters, se rend compte que « [l]es premières familles sont parfois capables des pires extrémités ! ».58 Il hésite ainsi à faire part de certaines de ses réflexions aux magisters car elles pourraient nuire à Leïla. Plus tard, il profite de la confiance placée en lui pour se faufiler dans ce système très élaboré en se servant d’un passe-droit l’autorisant à « aller où [il] voulai[t] dans le cadre de [ses] recherches » pour quitter Néosalem afin de tenter une évasion de masse, à la requête de Leïla59.
L’ARE est donc très fort à Néosalem. L’ordre règne en général dans cette société très réglementée mais la structure sociale est maintenue à l’aide de l’ARE à travers des restrictions physiques qui restent marquées littéralement dans la chair dans le cas de ceux qui sont marqués au fer, par exemple. Dans le cas de conscience d’Anton on peut voir que l’ARE peut contrôler les êtres physiquement, mais l’amitié semble peser lourd dans la balance pour Anton, qui hésite, n’étant pas entièrement convaincu par les AIE de Néosalem et encore moins par l’ARE qui y opère. Il finit par choisir l’amitié, ce qui lui coûte la vie dans la mesure où il arrive à sa dernière mort en tentant d’aider Leïla60.
Dans TGWOAC, Lisa ne semble pas, elle non plus, faire grandement appel aux AIE. Lisa comme Logan - son rival de la bande de Chidester - utilisent l’ARE plus que l’AIE. Bien qu’elle institue une école, par exemple, et bien qu’elle fasse appel à des conseillers, il n’y a pas de tentative très poussée de transmission d’une idéologie à proprement parler à ce stade et cette société est plus focalisée sur le pragmatique immédiat que sur l’organisation dans la durée ; cette affirmation ne signifie pas que je perde de vue le fait que l’imposition de l’apprentissage d’un métier déterminé est un moyen d’assurer la reproduction des conditions de production. Lisa entend commander les habitants de sa ville parce qu’il lui semble que ce qu’elle souhaite imposer est la meilleure façon de protéger la société qu’elle construit. Le résultat est une série de décisions présentées comme des ordres ou des décrets alors que les souhaits des autres, y compris ceux des conseillers, passent au second plan. Voici un exemple de l’approche de Lisa quant à l’organisation de Glenbard :
Lisa made it clear that everyone would have a specific job in the city. There would be weekly meetings to discuss any job changes.
She told them that Glenbard was now her private property and that they were all welcome to stay. But she wanted everyone to do something to support the city. She wanted and needed them with her. But they had to know the rules61.
Bien que Lisa soit exigeante, qu’elle repose sur l’ARE plus que sur les AIE, et que ses méthodes soient perçues comme dures ou excessives par certains, elle reste un personnage qui est admiré parce qu’elle assure la survie de ceux qui sont sous sa responsabilité et ses ordres62. Cependant, il semblerait qu’elle soit parvenue malgré tout à transmettre tout au moins une parcelle d’idéologie aux habitants de Glenbard. La preuve de ceci se trouve dans les événements suivant la prise de sa ville par la bande de Chidester. Lisa est personnellement attaquée par cette bande et elle est évacuée pendant que la bande de Logan prend le contrôle de sa ville. Envoyé en espion dans la ville, Todd, le frère de Lisa, répand la rumeur (avérée) que Lisa est encore vivante et, alors que Lisa fait tout pour reprendre le contrôle de la ville, Logan découvre que la prise de pouvoir en elle-même ne suffit pas : il a bien le pouvoir d’État en main, mais les rudiments d’AIE qui avaient commencé à être transmis aux habitants de cette ville suffisent à ébranler le pouvoir de Logan. Ce dernier fait appel à la force brute pour contrôler la ville de Glenbard : il frappe ceux qui lui causent des soucis ou ceux qui refusent de révéler des informations. Entre-temps, plusieurs des habitants de Glenbard choisissent de déserter la ville afin de rejoindre Lisa, qui reprend le contrôle de sa ville au bout du compte63. Logan découvre donc à ses propres dépens ce qu’est le phénomène de survivance quand les anciens AIE restent en place - la plupart des personnes les plus proches de Lisa restent à Glenbard et lui restent fidèles au départ, pour ensuite abandonner la ville - et il n’arrive pas à rallier les habitants à sa cause. Comme il le dit : « I can’t handle your city, Lisa. Your citizens rebelled and just walked out. […] I threatened to hurt [Jill] if the others left, but they were too busy running away to hear me. They just walked out64. » Saul se retrouve face à une situation similaire dans Les Révoltés de Néosalem, le tome le plus récent de Seuls à la dernière révision de cet article. En effet, bien qu’une position de grand pouvoir lui ait été offerte à Néosalem, ses méthodes brutales ne lui assurent pas le contrôle absolu de ses sujets à travers l’ARE. Saul n’ayant pas su convaincre ceux qui souffrent le plus du système social de Néosalem, c’est-à-dire, ceux de la huitième famille, ces derniers se révoltent et tentent de prendre la fuite, certains d’entre eux choisissant la mort plutôt que d’obéir. Comme le déclare Leïla, l’instigatrice de cette révolte, devant la foule de Néosalem : « tu ne m’obligeras pas à devenir comme toi, Saul.65 »
4. Bilan : seuls, the girl who owned a city et la destruction de l’état
Vehlmann observe que dans Lord of the Flies les enfants se basent sur le passé pour s’organiser, puis « adaptent les règles et ils en font d’autres »66. Quant à Ravage, la majeure partie du roman est consacrée au long et difficile voyage des protagonistes qui tentent de survivre dans un environnement extrêmement hostile. Ce n’est que dans la quatrième et dernière partie - la plus courte - que le lecteur découvre comment les survivants se sont organisés après : ils ont choisi un retour à un mode de vie patriarcal et pré-industriel très structuré67. Quoique les enfants de Seuls et de TGWOAC, pour leur part, se retrouvent livrés à eux-mêmes et maîtres de leurs destins jusqu’à un certain point, on peut difficilement dire qu’ils cherchent une remise à zéro des valeurs qui prédominaient avant la disparition des adultes. Des cas comme celui de Terry dans Seuls ne peuvent pas être considérés comme des choix conscients de blasphème dans le but d’anéantir un AIE : ce sont plutôt des erreurs commises de bonne foi (le choix du terme est délibéré). Les enfants du clan des étendards, bien que peu organisés d’un point de vue des AIE et ARE, continuent à vivre les valeurs qui leur ont été inculquées par leurs parents. Ainsi, Camille reste fidèle à l’école et tente de s’y rendre alors que la ville est déserte et Leïla ne se laisse pas influencer par les idées des autres enfants par rapport à ce qu’une fille doit faire, ce qui correspond à la façon dont son père l’a élevée : elle a visiblement été encouragée dans son amour du bricolage68. Même dans le cas de Saul et du clan du requin, il y a une survivance. Saul lui-même reste très influencé par son père et il ne cache pas sa fascination pour le régime nazi69. Outre la nature taboue d’un tel choix, il faut souligner que Saul repose sur un modèle social ayant déjà existé précédemment. De même, les habitants de Néosalem, comme mentionné plus tôt, vivent dans une esthétique gréco-romaine et ont un système social très élaboré et explicité. Enfin, bien que le titre du tome 12 de Seuls, Les Révoltés de Néosalem, semble suggérer une possibilité de changement, il faut retenir en premier lieu qu’il s’agit bien, à ce stade, d’une révolte et non pas d’une révolution et en deuxième lieu que la révolte est menée par Leïla, contre le système social existant à Néosalem et, vraisemblablement, en faveur de valeurs qui lui ont été inculquées avant sa mort. Ceci dit, le personnage qui s’attache le plus à retenir le mode de vie d’avant est Lisa. Non seulement reste-t-elle fidèle à l’idée de ne nuire à personne même si elle doit piller (elle se rend dans des entrepôts plutôt que d’attaquer d’autres enfants) mais elle insiste aussi sur l’importance du dur labeur. Elle respecte donc autant que possible le concept de propriété privée et celui du travail et de la récompense. Lisa ne se contente néanmoins pas de « look at the old world for clues »70. Il ne s’agit pas uniquement, pour elle, de s’organiser pour survivre tout en retenant le maximum de ce qui lui a été inculqué ; elle souhaite rétablir le monde tel qu’il était avant les ravages causés par le virus : « Somebody has to grow food, that’s true. But do you really want to hide away on a farm? I’d rather get the world back to the way it was, with schools, and hospitals, and electricity. See how important those things were?71 » Ceci est réitéré explicitement à plusieurs reprises sous différentes formes tout le long du roman.
Il est, enfin, important de souligner que jusqu’à ce jour on ne sait pas réellement ce que proposent et souhaitent les sept dernières familles. Elles sont présentées comme une menace maléfique mais hormis le fait qu’elles pourraient faire tomber Néosalem et l’ordre que cette ville représente, leur conception du monde n’a pas été élaborée pour les lecteurs. En sachant que, comme le souligne la journaliste Sophie Bogrow, « [d]ans Seuls […] un héros tendance néonazi devient l’élu gentil, et le bon [Dodji] se demande s’il n’est pas celui du mal » et qu’au bout du compte c’est la douce et sensible Camille qui se révèle être cet élu du mal, il semble qu’il serait utile et pertinent à cette analyse de savoir ce qu’implique ne pas être « du bon côté ».72 Ces informations ne sont malheureusement pas disponibles à ce stade mais il est pour le moins clair que, même s’il a accès à des informations qui ne sont pas à la disposition de tous, lecteurs compris, Anton hésite à exposer Leïla comme possible « pièce maîtresse dans la guerre qui s’annonce » et va jusqu’à donner sa vie pour la protéger73. Ses dernière paroles, adressées à Leïla, semblent, de plus, indiquer qu’il n’est pas convaincu que les premières familles soient du bon côté : « Tu vas avoir un rôle imp.. important à jouer dans la guerre des limbes ! / Tu es une présciente, Leïla… comme d’autres enfants l’ont été avant toi… tu peux connaître certains évènements avant qu’ils n’arrivent… ne laisse pas les autres te capturer et en faire un mauvais usage !74 ».
On retrouve ainsi dans Seuls et dans TGWOAC - à l’instar de Lord of the Flies et Ravage - une volonté de maintenir un équilibre, un mode de vie et des rites dans un monde qui s’écroule. Autrement dit, l’État lui-même n’est pas vraiment mis en danger, même si beaucoup de ses appareils sont abîmés et même si le pouvoir change de mains. Comme mentionné au début, dans la pensée marxiste, la prise de contrôle des AIE, en elle-même, ne signifie nullement une révolution dans la mesure où il ne s’agit que d’un changement au niveau de la détention du pouvoir d’État et non pas au niveau de la structure des relations de pouvoir au sein de l’État. Or, non seulement les enfants de Seuls et de TGWOAC survivent-ils mais il y a également une survivance des valeurs soit à travers les AIE, soit à travers l’ARE. Le seul danger possible pour l’État lui-même pourrait éventuellement venir des sept dernières familles dans Seuls mais à ce stade, il n’est pas possible de se prononcer étant donné que presque rien ne se sait à leur sujet. Pour l’instant donc, dans les deux ouvrages, l’État reste en place et aucune idéologie proposée n’est une invention nouvelle ; il n’y a ni remise à zéro ni révolution.