Ce sexe qui n’est pas un cheveu. Réévaluer les critiques féministes-matérialistes du consentement : le groupe de Questions féministes

DOI : 10.56078/atlantide.1661

Résumés

Cet article s’intéresse aux échanges entre l’anthropologue italienne Paola Tabet et le groupe français Questions féministes, méconnu en Italie. Cette contribution se propose de restaurer un dialogue manqué entre féminisme italien et français au cours des années soixante-dix. Récupérer ce dialogue manqué, que Paola Tabet a néanmoins intégré et nous permet donc d'explorer, ouvre d'importants espaces de réflexion sur des sujets contemporains à l'intersection de féminisme, éthique et sexualité. En particulier, nous soutiendrons que la récupération de cet encrage matérialiste du féminisme radical peut permettre des discussions et des critiques plus riches autour de la notion de consentement. Une reconceptualisation qui nous permettrait d’éviter trois pièges majeurs : la tension entre les racines libérales du concept de consentement et sa vocation émancipatrice ; le potentiel oppressif de l’exceptionnalisme sexuel ; enfin, le danger d’essentialisme, de naturalisation ou réification de la sexualité.

This article looks at the exchanges between the Italian anthropologist Paola Tabet and the French group Questions féministes, which is little known in Italy. The aim of this contribution is to restore a dialogue that was missed between Italian and French feminism in the 1970s. Recovering this missed dialogue, which Paola Tabet has nonetheless integrated and thus allows us to explore, opens up important areas for reflection on contemporary issues at the intersection of feminism, ethics and sexuality. We will argue that the recovery of this materialist anchoring of radical feminism can enable richer discussions and critiques about the notion of consent. This reconceptualisation would enable us to avoid three major pitfalls: the tension between the liberal roots of the concept of consent and its emancipatory vocation; the oppressive potential of sexual exceptionalism; and the danger of essentialising, naturalising or reifying sexuality.

Plan

Texte intégral

Dans un entretien de 2009 titré « La banalité de l’échange », l’anthropologue italienne Paola Tabet souligne l’importance du dialogue1 avec le féminisme matérialiste français dans le développement de sa propre position féministe, témoignant d’une certaine solitude au sein du mouvement et du milieu intellectuel féministe italien :

Vers 1978, je suis entrée en contact avec le groupe de Questions Féministes, Christine Delphy, Nicole-Claude Mathieu, Colette Guillaumin, Monique Wittig. La joie de trouver des amies, des idées communes, une stimulation intellectuelle constante. […] En ce qui concerne le milieu intellectuel et politique en Italie (à l’époque la tendance féministe la plus forte en Italie était celle du féminisme de la différence, donc très éloignée de mon orientation) je suis restée assez isolée. (Trachman, 2009, p. 24)

Cette solitude, comme l’indique Tabet, est symptomatique d’une absence structurelle : alors que ce que nous appelons, avec un raccourci, le « féminisme français de la différence » a été largement reçu, intégré et débattu dans le contexte italien, le féminisme français radical et matérialiste n'est pas parvenu de l'autre côté des Alpes, tout comme – pourrait-on dire – il n'est pas parvenu de l'autre côté de l'océan, souvent exclu du canon du « French Feminism » aux Etats-Unis. Récupérer ce dialogue manqué, auquel Tabet a néanmoins participé et qu’elle nous permet donc d'explorer, ouvre d'importants espaces de réflexion sur des sujets contemporains à l'intersection du féminisme, de l’éthique et de la sexualité. En particulier, nous défendrons la thèse selon laquelle la récupération de cet ancrage matérialiste du féminisme radical peut permettre des discussions et des critiques plus riches — et surtout moins paralysantes — de la notion de consentement. Cette reconceptualisation nous permettrait d’éviter trois pièges majeurs : en premier lieu, la tension entre les racines libérales du concept de consentement et sa vocation émancipatrice ; le potentiel oppressif de l’exceptionnalisme sexuel ; enfin, le danger d’essentialisme, de naturalisation ou réification de la sexualité. Cette proposition est animée d'une sorte d'intention stratégique : il y a certainement un intérêt spécifique à récupérer le féminisme matérialiste, et en particulier le constructivisme matérialiste propre au groupe de Questions Féministes, face aux critiques contemporaines qui emploient une conception matérialiste ou physicaliste de la sexualité afin de banaliser et dé-sexualiser la violence sexuelle. Plaidant pour que les féministes contemporaines « ne traitent pas tout de viol », et donc pour une définition plus restrictive de violence sexuelle, ces critiques pointent du doigt le surinvestissement symbolique de la sexualité et le recours excessif aux notions de traumatisme au sein du débat qui a suivi le mouvement #metoo, aussi bien que les appropriations néolibérales du consentement par le féminisme blanc individualiste et sa propension à invoquer la répression carcérale. Au niveau des stratégies discursives, élaborer une reconceptualisation du consentement capable de fonder une politique émancipatrice sur un ancrage matérialiste et sur une notion politique du féminisme comme lutte de classe (la classe des femmes sociales) pourrait nous aider à élaborer des réponses plus efficaces à ces genres de critiques. C’est pourquoi nous proposons d’analyser les critiques du consentement élaborées par les féministes du groupe Questions Féministes — notamment par Nicole-Claude Mathieu, Paola Tabet et Monique Plaza — avec pour but d’y retrouver des possibilités pour une théorie non-idéaliste du consentement, c’est-à-dire une théorisation qui essaie de prendre en compte les rapports proprement politiques et les conditions matérielles du consentement, sans pour autant se défaire in toto du concept et de sa portée émancipatrice.

Le présent article se structure en quatre parties : dans la première, nous identifierons trois problèmes avec la notion courante de consentement et dans les trois suivantes nous explorerons les réponses issues du dialogue transnational entre Matthieu, Tabet et Plaza.

1.  De vieux problèmes : libéralisme, exceptionnalisme, essentialisme

Nous pourrions identifier l’une des causes des supposés problèmes du consentement dans les racines libérales de ce concept. Il serait difficile, en effet, d’élaborer une généalogie de cette notion sans revenir aux théories contractuelles des grands penseurs du libéralisme politique. Nous la retrouvons à la base du Traité du gouvernement (1689) de John Locke, qui soutient que les personnes sont propriétaires d'elles-mêmes et donc en possession du droit de disposer de leur corps (Locke, 1689, p. 27). Dans ce cadre, si les droits « naturels » des personnes — naturels en ce qu’ils découlent précisément de cette caractéristique de possession de soi — sont respectés, alors leur consentement est libre et leur accord produit des conséquences normatives (Guillarme, 2012)2. Dans le même cadre individualiste, où la justice est conçue à partir du fait que les individus donnent leur libre consentement à l’ordre politique, John Rawls élabore le problème des conditions du consentement valide : « lorsque la procédure au sein de laquelle les choix sont opérés est juste, alors les décisions des individus peuvent être tenues pour assez libres pour produire leur responsabilité. » (Guillarme, 2012, p. 72 / Garcia, 2021, p. 149). Nous retrouvons ici deux points de fragilité du discours contemporain autour du consentement. D’une part, à cause des éléments de justice procédurale pure qu’elle emprunte à Rawls, la pensée du consentement semblerait se réduire à l’idée qu’il faut suivre une procédure contractuelle pour que notre pleine autonomie soit réalisée dans nos rapports sexuels. La procédure serait, en d’autres termes, nécessaire pour assurer la justesse de l’acte. D’autre part, elle serait aussi suffisante : en tant qu’individus en pleine possession de nos facultés et de nos corps, notre consentement à une pratique sexuelle implique notre désir d’y participer et il faut le prendre au pied de la lettre, sans l’exposer à la possibilité d’autres renégociations psychiques ou l’ouvrir au risque du redoublement traumatique. C’est la thèse de Geoffroy de Lagasnerie dans le l’essai Mon corps, ce désir, cette loi. Réflexions sur la politique de la sexualité :

Nous devrions toujours fonder au maximum notre pensée de la violence sexuelle sur une base physicaliste et objective. Il y a quelque chose dans le viol et l’agression sexuelle qui doit être de l’ordre du présentisme et de la matérialité corporelle. À l’inverse, le consentement est ce qu’il est au moment où il est ; il n’est rien d’autre que lui-même, et il ne peut être rien d’autre que ce qu’il a été. (de Lagasnerie, 2021, p. 103-104)

Nous retrouvons ici des éléments libéraux : premièrement, un rationalisme inattendu qui permet à de Lagasnerie de défendre l’idée d’un choix libre du sujet dont la conscience serait unitaire, transparente et complètement présente à soi-même, une conscience capable de se connaître de façon claire et dans son unité, et donc de se reconnaître dans ses choix et dans l’unité de sa volonté. Cette analyse semble donc incompatible, voire hostile à tout dédoublement de la conscience du dominé (Gilroy, 1993 / Fanon, 1952 / Dubois, 2018) et à toute interruption traumatique de la subjectivité dans ses rapports au pouvoir. C’est effectivement cela qui permet de restreindre le sujet au présent de son choix — à l’instant du consentement qui seul peut être transparent à soi-même — afin d’éviter le risque de se dire opaque à soi-même. C’est la leçon de notre temps : » Dans un texte publié sur son site en janvier 2018, Samantha Geimer donne un conseil qui pourrait valoir comme une sorte de leçon politique pour aujourd’hui : ‘‘Si vous cherchez dans votre esprit pour vous rappeler qui a pu agir de manière inappropriée à votre égard, vous n’êtes pas une victime, et vous ne devriez pas vouloir l’être.’’ » (de Lagasnerie, 2021, p. 107).

Comprise en ces termes libéraux, la notion de consentement nous conduirait, donc, à des positions assez catégoriques sur la subjectivité : chez de Lagasnerie, l’individu semble d’abord être autonome et rationnel, non-interrompu ni traumatisé par le pouvoir qui le traverse. En effet, s’il admet que notre désir puisse être façonné par des conditions normatives et sociales (en décrivant son propre partenaire il dit « sa beauté et son attraction sexuelle étaient liées, comme dit Deleuze, à tout le monde qu’il portait en lui et qui se dépliait en lui »), y compris par les dynamiques de pouvoir, il maintient une certaine autonomie et unité du désir, aussi bien qu’une unité entre ce que l’on veut, ce que l’on désire et ce à quoi l’on consent. L’individu dit oui à son partenaire à cause du monde entier que le partenaire incarne, mais ce oui reste indissolublement identique au désir et à la volonté du sujet consentant, indépendamment des conditions de pouvoir qui régissent ce monde ou des façons multiples dont le sujet est pris par elles. Cette unité semble permettre une connaissance de soi-même, et des conditions rationnelles et libidinales de ses propres choix, qui fondent l’unité du désir et du consentement : du moment où l’on désire quelqu’un notre consentement est actualisé, indépendamment des rapports de pouvoir qui façonnent ce désir.

Ces notions sont à la base de la critique de de Lagasnerie à l’exceptionnalisme et à l’essentialisme sexuel. Il dénonce la dramatisation de la sexualité, son élévation arbitraire au rang de lieu central de la subjectivité — intrinsèquement investi de poids symbolique et toujours potentiellement site de traumatisme indépassable — « et donc son surinvestissement comme enjeu politique fondamental ». Cela explique sa proposition de revenir à une notion dépsychologisée et dédramatisée de la violence sexuelle, ou bien à une « désexualisation de la sexualité même. » (de Lagasnerie, 2021, p. 73 et 91). Nous pourrions critiquer cette position de différentes manières, d’abord en soulignant qu’éliminer la dimension symbolique et psychologique de la violence sexuelle ne semble pas seulement une réduction immense de l’expérience des victimes, mais semble en plus reproduire ce que l’auteur voudrait éviter : une nouvelle forme d’exceptionnalisme. Si nous considérons la dimension symbolique et psychologique de nombreuses formes de violence, ces dimensions étant des facteurs majeurs dans la définition juridique des crimes et des châtiments, pourquoi alors exclure le domaine sexuel ? Pourquoi ce domaine devrait-il subir une réduction matérialiste ou une dé-symbolisation radicale ?

Il serait facile ici de se tourner vers des théoriciennes comme Judith Lewis Herman, parmi de nombreuses autres, qui définissent l’atteinte propre à la violence sexuelle précisément à partir d’une clinique de sa dimension symbolique et de sa portée traumatique considérable. Selon Herman, les expériences traumatisantes comme le viol remettent en question les relations humaines fondamentales, brisant la construction du soi qui se forme et se maintient en relation avec les autres3. Plutôt qu’y revenir pour bâtir une défense du contenu traumatique de la violence sexuelle — c’est-à-dire de la position directement ciblée par de Lagasnerie et par d’autres (Herman, 1992, p. 51)4 — nous jugeons plus utile d’interroger le féminisme matérialiste de Questions Féministes à la recherche d’une autre pensée matérialiste du consentement, plus riche et utile que la réduction minimaliste-physicaliste proposée par de Lagasnerie. Dès lors, la critique matérialiste-constructiviste qui ressort du dialogue entre Mathieu, Tabet et Plaza nous semble capable d’adresser à la fois les racines libérales du consentement et le problème de l’exceptionnalisme sexuel, sans perdre ni la portée émancipatrice du concept ni son ancrage matérialiste. Au fil de ce dialogue transnational à trois voix, comme nous le verrons, la proposition de « désexualiser la sexualité » (de Lagasnerie) se révélera comme un problème proprement politique : un problème, pourrait-on dire, de classe.

2.  Céder n’est pas consentir

Depuis l’article de 1980 de Carole Paterman « Women and Consent », développé ensuite dans l’ouvrage fondateur The sexual contract, plusieurs voix féministes se sont levées en opposition aux théories libérales du consentement : elles substituent à une perspective basée sur l’individu et sur ses choix, un point de vue de critique sociale qui considère que la domination des femmes dans le patriarcat limite de façon majeure leurs options et leur possibilité de choisir. D’une part, postuler au centre de l’analyse un individu autonome, neutre et libre opère un effacement de la condition de subordination des femmes. Cette réduction de la politique au choix individuel de consentir (ou pas) serait, en fait, un choix délibéré d’isolement du sujet politique, qui vise à le sortir de tout positionnement dans une classe sociale — celle que Delphy nomme « la classe des femmes » (Appay, 2005)5. Ce faisant, d’autre part, les théories libérales ne prennent pas en considération les façons spécifiques dont, pour certains sujets et pour les femmes en particulier, les conditions procédurales nécessaires au consentement ne sont pas possibles (Paterman, 1980, p. 74). C’est le cas des femmes, selon Paterman, qui n’ont pas la possibilité de ne pas consentir car leur « non » a subi un processus de « dé-sémantisation » (Garcia, 2021, p. 160) : toujours interprété comme un « oui » déguisé, ou poli, que l’homme doit dévoiler, le « non » des femmes est inaudible au sein de la culture du viol. Cependant, alors que Paterman en conclut que le féminisme doit renoncer à la forme contractuelle, Nicole-Claude Mathieu développe cette analyse dans une autre direction : en la radicalisant, mais sans en tirer la nécessité d’abandonner toute notion de consentement. Son objectif est plutôt de rendre compte de la complexité du consentement des dominées au sein des rapports de pouvoirs qui les façonnent, et de souligner le paradoxe fondamental de l’idée de consentir à sa propre domination. Mathieu développe son argumentaire à partir du refus de la théorie de Maurice Godelier, selon laquelle les dominées adhèrent aux idées qui sous-tendent leur domination et, ce faisant, donnent leur consentement à la domination. Complétant certains points aveugles de cette théorie marxiste, Mathieu analyse les difficultés matérielles de la prise de conscience des dominées et l’impossibilité de consentir avant une telle prise de conscience de la violence concrète qui façonne leur subjectivité de femmes ; une violence qui apparaît tout autant « dans la sous-alimentation que dans les coups, la dépossession des ressources » matérielles et épistémiques (Falquet, 2014, p. 2). Dans L’anatomie politique, Mathieu explique : « Je ne crois pas que ce soit l’idée des services que leur rendent les dominants […] qui soit particulièrement présente à la conscience des femmes, mais l’envahissement de leur corps et de leur conscience par l’interposition, par la présence physique et mentale constante et contraignante des hommes qui les fait céder. » (Mathieu, 1991, p. 228).

Cette interposition des relations de pouvoir au sein du corps et de la conscience des femmes interrompt l’unité et la transparence du soi, engendrant une sorte de dédoublement : les dominées arrivent à désirer leur soumission car elles désirent une existence sociale, étant donné que dans plusieurs cas la soumission est « leur moyen de survivre, au sens d’échapper à la mort en cas de révolte, et plus généralement au sens de vivre quand même (‘‘il faut bien vivre’’), c’est-à-dire s’adapter aux conditions sociales données pour se faire quand même une vie d’être humain et pour être à peu près tranquilles. » (Mathieu, 1985, p. 210). Ici, Mathieu pose un paradoxe fondamental, plus récemment repris dans des termes très similaires par Judith Butler dans The Psychic Life of Power (1997) : comment rendre compte de notre désir pour la norme, et plus généralement du désir d’assujettissement, en fonction d'un désir préalable d'existence sociale constamment exploité par le pouvoir ? Mathieu et Butler sont d’accord (« il faut bien vivre ») et lorsque ce sont les catégories sociales — de façon contraignante — qui garantissent un locus d’existence sociale reconnaissable et durable, l'adoption de ces catégories, même si elles sont au service de l'assujettissement, est souvent préférée à l'absence d'existence sociale. Un désir de subjection apparaît donc comme un instrument et un effet du pouvoir d’assujettissement, en exploitant des dépendances primaires, c’est-à-dire le désir d’existence sociale (Butler, 1997, p. 19-20 ; Butler, 2004, p. 3). Il est intéressant, ici, de relever le redoublement du désir et sa non-identité avec le consentement : oui, le sujet ressent du désir (d’existence sociale), mais ce désir n’est pas identique à son double et à sa manifestation phénoménale (le désir d’assujettissement, ou le désir pour les conditions sociales de domination). Ces dédoublements — propres de ce que Jules Falquet appelle la « schizophrénie légitime et politique des minoritaires » (Falquet, 2011, p. 15), mais côtoyant aussi la notion classique de double-conscience — remettent en question l’unité du désir (et son identité avec le consentement) que nous avons identifiée à la base de la critique de de Lagasnerie, sans pour autant tomber dans le piège de l’exceptionnalisme sexuel. Ce qui est frappant dans l’analyse de Mathieu est que, d’une part, elle repolitise le sujet individualiste des théories libérales du consentement, reconnaissant son positionnement au sein des relations socio-politiques et dévoilant, ainsi, les fractures internes que ses conditions matérielles de subjection entraînent et la façon dont elles produisent un dédoublement du désir et une non-identité entre désir, cession et consentement ; d’autre part, il ne s’agit pas d’une théorie de la sexualité en particulier, du moins pas dans le sens de vie sexuelle ou érotique que de Lagasnerie cible en parlant d’exceptionnalisme sexuel. Au contraire, Mathieu diagnostique un paradoxe général du désir dans des conditions d’asymétrie entre oppresseur et opprimé ; les rapports sexuels dans certaines conditions d’asymétrie en constitueraient simplement un cas particulier. En outre, ce n’est pas ici un cas de surinvestissement dans le symbolique, ou encore d’essentialisme, mais une instance de constructivisme matérialiste : les femmes se trouvent dans de telles situations à cause de leurs conditions matérielles de subordination, et cette catégorie de « femmes sociales » est le résultat des rapports de domination et pourrait inclure d’autres sujets — des hommes biologiques, par exemple (Disch, 2015, p. 827-849)6.

3.  L’échange économico-sexuel est un rapport de classe

Paola Tabet poursuit ces deux lignes d’analyse (Handman, 2017, p. 191)7, l’anti-exceptionnalisme et l’anti-essentialisme, en les radicalisant dans le domaine de la sexualité. Dans son livre de 2004 La grande arnaque, où sont rassemblés un ensemble de textes rédigés depuis les années 1980, elle développe une approche constructiviste matérialiste de la sexualité elle-même, en abordant, comme elle le dit, « la question de la construction de la sexualité des femmes parce que j’ai ensuite appelé l’échange économico-sexuel » (Trachman, 2009, p. 7). Le sexe est construit sous la forme et le mode de l’échange. La Grande Arnaque traite des « rapports sociaux de sexe, qu’à la suite de plusieurs analyses féministes je considère comme des rapports de classe » (Trachman, 2009, p. 13). Il n’y a donc pas un exceptionnalisme sexuel qui accorderait à la sexualité un domaine privilégié de la vérité ou du trauma ; il n’y a même pas une conception du sexe en soi (« qu’est-ce que la sexualité en tant que telle », nous demande Tabet, hors de sa construction matérielle au sein des rapports de pouvoir et de classe dans la société ?). Elle n’examine, donc, pas le sexe naturel, mais les « rapports sociaux de sexe » (Trachman, 2009, p. 30). Non seulement le sujet libéral se politise, comme nous l’avons vu avec Mathieu, mais le sexe aussi se socialise, dévoilant sa structure d’échange, aussi bien que les limites que cette structure implique pour les sujets (ou les classes de sujets) positionnés de façon asymétrique en son sein. Contrairement à ce qu’en disait Locke, les sujets politiques ne sont pas tous et toutes — du moins pas tous et toutes de la même manière — propriétaires d’eux-mêmes et d'elles-mêmes et donc en possession du droit de disposer de leur corps :

Si une personne — ou mieux une classe entière de personnes — n’a pas droit à sa propre sexualité, si elle est destinée dès sa naissance à entrer dans un rapport où elle devient dépendante d’une autre personne et en échange de l’entretien et d’une position de légitimité sociale elle doit donner des services sexuels, domestiques, reproductifs, quand elle entre en plus dans ce rapport de façon non contractuelle, c’est- à-dire que ses services ne font pas l'objet d'un contrat qui en définit la mesure, ils ne sont donc en aucune manière quantifiés ; quand en plus il y a, et il y a eu, la possibilité souvent mise en acte de la contraindre par la violence à fournir ces services, je pense qu’on peut parler sans hésiter d’un rapport de pouvoir. Mais le rapport de pouvoir est à la base de l’entière organisation de la société. Et ça vaut aussi pour les formes « non légitimes » bien qu’elles puissent se manifester comme des formes de résistance. (Tabet, 2004, p. 153 / Trachman, 2009, p. 15)

La forme de l’échange, soutient Tabet, structure les rapports intimes au-delà de la prostitution, dans un continuum qui inclut l’ensemble des rapports sexuels entre hommes et femmes. Le mécanisme de l’échange est partout, ce qui implique que la forme contractuelle ne doit pas nécessairement être abandonnée, comme le disait Paterman, mais réclamée afin de permettre aux femmes d’exercer des formes d’autonomie — bien que locale et toujours compromise — et de possession de leur corps, au sein d'un système d'aliénation et de spoliation structurelle du corps de la femme. De fait, nous trouvons chez Tabet de possibles formes de résistance sexuelle, qui se développent parfois en imposant des contrats explicites à ce qui est donné sans contrat ni mesure, et parfois à travers des projets radicaux de sexualisation alternative. Cependant, comme elle nous le rappelle en mentionnant sa propre désillusion par rapport à son expérience personnelle de la vie dans des communautés (Trachman, 2009, p. 23), ces gestes politiques stratégiques doivent toujours être compris comme situés dans les dynamiques et les restrictions des relations de pouvoir. Ils ne sont jamais des lieux de liberté purs ou idéaux, mais ils existent dans le compromis et l’ambiguïté, au sein de la domination.

D’ailleurs, ce qui est remarquable dans l’analyse matérialiste-constructiviste de Tabet est que la construction de la sexualité des femmes selon le mode de l’échange économico-sexuel en tant que rapport de classe est à la fois constamment à l’œuvre et constamment niée (Tabet, 2004, p. 172), inavouable en un certain sens. Ce déni est, selon Tabet, la marque des sociétés occidentales, où la distinction formelle entre sexe légitime et illégitime reste socialement essentielle (Perseil, 2012, p. 88). Nous retrouvons ici une autre critique puissante de l’exceptionnalisme sexuel, qui pourrait servir à défendre une certaine pensée du consentement. La sexualité est souvent pensée et défendue comme un lieu privilégié du don, du non-transactionnel, ou de l’événement (Byoung-Chul, 2017). Cependant, Tabet explique que ce discours vise à nier l’inavouable, à savoir que la sexualité en soi n’est pas imaginable hors des rapports de pouvoir, que le sexe libéré est toujours « rattrapé par la structure » (Trachman, 2009, p. 25) et que les rapports d’échange structurent et construisent la sexualité. Si, d’une part, le consentement ne peut donc pas prendre la forme d’une théorie idéale de la sexualité libérée, de l’autre Tabet semble nous donner les outils pour défendre une certaine pensée du consentement face à ses détracteurs. Plusieurs voix se sont levées, par exemple, contre le mouvement #metoo8, lui imputant de réduire la sexualité à une dynamique transactionnelle. Paola Tabet nous dirait que cette critique repose, en fait, sur la nécessité sociale de maintenir la distinction patriarcale entre sexe et prostitution, et donc de maintenir la sexualité dans un lieu d’exception. Qu’est-ce, donc, qu’une notion de consentement qui fonctionne comme une résistance sexuelle et non pas comme une nouvelle moralité ou un nouveau « victorianisme » (Giami, 2002, p. 23-24) ? La question, ainsi reformulée, ne serait donc pas celle de réduire la sexualité à un contrat figé, mais de dévoiler les dynamiques de pouvoir qui la soutiennent et les formes de négociation qui l’animent (Kukla, 2018)9.

4.  « Vraiment, M. Foucault ? »

Dans un article de 1978 publié dans la revue Questions Féministes sous le titre « Nos dommages leurs intérêts », Monique Plaza radicalise encore le matérialisme constructionniste de la sexualité, en le mobilisant de façon stratégique contre la critique foucaldienne de l’exceptionnalisme sexuel et du viol en tant qu’acte ou crime proprement sexuel. Dans un essai riche en appels ironiques, Plaza interroge : « Vraiment, M. Foucault ? ». Elle fait jouer Foucault contre lui-même, en exposant la façon dont il produit exactement le genre d’exceptionnalisme qu’il est en train de dénoncer. Foucault, qui refuse de faire de la sexualité un objet passible de punition, élimine la dimension sexuelle du phénomène du viol, limitant la violence à sa physicalité. Pour Foucault, selon Plaza, il s’agit de faire en sorte que la sexualité échappe à la loi pénale, ce qui lui attribue un statut tout à fait exceptionnel. Surtout, l’insistance, de la part de Foucault, sur le caractère non-sexuel du viol est révélatrice, selon Plaza, de son contraire : la spécificité de la violence du viol. Dans La folie encerclée, Foucault dit que quand on punit le viol on doit punir « exclusivement la violence physique » — une position qui nous rappelle la proposition physicaliste de de Lagasnerie— et « dire que ce n’est rien de plus qu’une agression et rien d’autre » — encore, selon les mots de de Lagasnerie, on ne perd « rien d’autre à faire l’amour » (de Lagasnerie, 2021, p. 99). Selon Plaza, » cette phrase dénégative de façon répétitive éveille l’attention. Que connotent ce ‘‘rien de plus’’, ce ‘‘rien d’autre’’, sinon l’affirmation en creux d’une spécificité de la violence du viol ? Affirmation qui se dérobe et se cache derrière la négation. Qu’est-ce qui est ici méconnu ? Quels sont les enjeux de cette méconnaissance ? Michel Foucault ? » (Plaza, 1978, p. 96).

Dans ce passage, Plaza défend l’idée selon laquelle le sexe est une construction matérialiste et qu’il est façonné par le pouvoir, afin de démontrer que considérer le viol comme strictement non-sexuel en effacerait le caractère éminemment politique, au sein de la domination de la classe des femmes et de la lutte des classes. Selon Plaza, ce qui est sexuel dans le viol n’est pas la nature exceptionnelle — exceptionnellement intime ou traumatisante, par exemple — de ses conséquences, en tout cas pas premièrement. Au contraire, il est sexuel en ceci qu’il est le résultat de pratiques oppressives entraînées par la sexuation sociale qui lui est sous-jacente :

Précisément, qu’est-ce que le viol ? Est-ce ou n’est-ce pas une pratique « sexuelle » ? Il faudrait s’entendre sur la notion de sexualité. Le viol, c’est une pratique oppressive exercée par un homme (social) contre une femme (sociale), et qui peut se concrétiser par l’introduction d’une bouteille tenue par un homme dans l’anus d’une femme ; dans ce cas le viol n’est pas sexuel, ou plutôt il n’est pas génital. Il est très sexuel au sens où il oppose les hommes et les femmes : c’est la sexuation sociale qui est sous-jacente dans le viol. Si les hommes violent les femmes, c’est précisément parce qu’elles sont socialement femmes, ou encore parce qu’elles sont « le sexe », c’est-à-dire des corps qu’ils se sont appropriés, exerçant une « tactique locale » d’une violence sans nom. Le viol est sexuel essentiellement parce qu’il repose sur la très sociale différence des sexes. (Plaza, 1978, p. 97)

Le viol est à son tour construit : il n’est pas hors des rapports de pouvoir, ni des normes du discours, il n’a pas une vérité sexuelle exceptionnelle et il est encore moins un fait naturel ou essentiel qui concerne les femmes. Sa construction matérielle, néanmoins, est sexuée, dans le sens qu’elle se structure selon les rapports de force qui opposent les hommes (sociaux) aux femmes (sociales), sachant que ces catégories pourraient s’ouvrir à une multiplicité de configurations biologiques ou phénotypiques, et qu’elles relèvent entièrement des rapports de domination dans la société. Plaza arrive, ainsi, à défendre une différence centrale entre « foutre son poing dans la gueule de quelqu’un, ou son pénis dans le sexe » : cette différence ne relève pas d’une essence ou un rôle exceptionnel de l’expérience sexuelle, mais de la différence sexuelle et ses antagonismes « car les hommes violent les femmes dans la mesure où ils appartiennent à la classe des hommes qui s'est approprié le corps des femmes. Ils violent ce qu’ils ont appris à considérer comme leur propriété, c’est-à-dire les individus de l’autre classe de sexe que la leur, la classe des femmes (qui, je le répète, peut aussi contenir des hommes biologiques) » (Plaza, 1978, p. 97).

Cela permet à l’auteure d’opérer un renversement final, en posant la question suivante : si le sexe est une production du pouvoir, que signifie le fait ne pas punir le sexuel dans le viol ? Ne serait-ce pas une façon de dépolitiser le viol, de le soustraire à la dynamique de la domination et la façon dont elle surdétermine ce phénomène ? Plaza arrive ainsi à défendre que nier le sexuel dans le viol, ou bien nier toute punition qui toucherait le domaine de la sexualité, revient à une complaisance avec le pouvoir patriarcal et à empêcher la lutte de la classe des femmes sociales. C’est pourquoi Plaza conclut que « le viol ne doit pas être rejeté dans un Ailleurs, dans un ‘‘autre champ’’ que celui de la sexualité, c’est-à-dire des rapports de force tels qu’ils s’établissent très quotidiennement entre hommes et femmes » (Plaza, 1978, p. 101) : tel serait, en fin de compte, le véritable exceptionnalisme.

Plaza coopte, ainsi, la critique de l’exceptionnalisme sexuel qui devient donc, à travers de multiples renversements rhétoriques, une question et un intérêt féministes, aussi bien qu’un projet normatif :

Si je comprends bien, par la faute des femmes, la sexualité va acquérir une place prépondérante, va être entourée. M. Foucault, vraiment, vous exagérez. Avez-vous oublié que cela est déjà fait ? Avez-vous oublié que la sexualité, « loin d’avoir été réprimée dans la société contemporaine, y est au contraire en permanence suscitée » (La volonté de savoir, p. 195) ; que, « Tout au long des grandes lignes au long desquelles s’est développé le dispositif de sexualité depuis le XIXème siècle, on voit s’élaborer cette idée qu’il existe autre chose que des corps, des organes, des localisations somatiques, des fonctions, des systèmes anatomo-physiologiques, des sensations, des plaisirs ; quelque chose d’autre et de plus, quelque chose qui a ses propriétés intrinsèques et ses lois propres : le ‘‘sexe’’ » (La volonté de savoir, p. 201). N’avez-vous pas compris que ce dispositif, précisément, c’est nous les femmes qu’il touche le plus durement, c’est nous qu’il lèse le plus gravement. Et que si nous demandions la déstructuration de la « Différence des sexes », c’est pour détruire cette oppression ? Ce n’est certainement pas nous qui souhaitons que le sexe ne soit pas un cheveu : c’est justement ceci que nous réclamons. Mais nous ne pouvons fonctionner dans l’idéal, et faire comme si – ici e maintenant – le sexe était un cheveu ! Cela nous coûterait cher, et vous épargnerait bien des questions. (Plaza, 1978, p. 101)

5.  Vers des théories non-idéalistes et non-libérales du consentement ?

En guise de conclusion, nous remarquerons que ces critiques sont théoriquement cohérentes entres elles et qu'elles offrent des ressources pour développer des théories non-idéalistes du consentement, qui resteraient à l'écart des sujets libéraux et de leur abstraction neutre, afin de repolitiser et de resocialiser toutes les notions susmentionnées : le consentement, le viol et le désir. Sans doute, ces théories ont des inconvénients, leur pouvoir explicatif diminue face à la sexualité non-hétérosexuelle, mais cela ne paraît pas un trait essentiel autant qu’un effet des groupes sociaux analysés. Aussi, ces théories ne questionnent pas directement le problème du symbolique et son rapport à la matière. Néanmoins, elles parviennent à aborder les problèmes de l'exceptionnalisme sexuel, ainsi qu’à bouleverser les racines libérales de la théorie du consentement sans devoir renoncer à la notion in toto. Enfin, elles posent des éléments stables dans l’analyse de la domination, sans tomber dans l’essentialisme. Non seulement, donc, il faut reconnaître la productivité de la rencontre entre féminisme matérialiste français et italien, mais nous avons raison d’espérer que la récupération de ce dialogue pourra être intégrée avec profit dans le débat contemporain sur la sexualité et sur le consentement.

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Notes

1 L’échange franco-italien en question a eu lieu dans les huit numéros de la revue féministe française Questions féministes, publiée entre 1977 et 1980. La revue a été fondée par Simone de Beauvoir, Christine Delphy, Colette Capitan, Colette Guillaumin, Emmanuèle de Lesseps, Nicole-Claude Mathieu et Monique Plaza. Les archives complètes de la revue sont disponibles en ligne au lien suivant : https://www.jstor.org/journal/quesfemi (consulté le 26 septembre 2024).

2 Ce qui est frappant, c’est que Guillarme trace une continuité entre le libéralisme de Locke, la critique marxiste et les arguments de Tabet en particulier. Nous soutenons, au contraire, que le féminisme matérialiste se pose en opposition à ce cadre d’analyse fondé sur la notion libérale du sujet-individu, pleinement propriétaire de soi-même et de son corps.

3 Plus récemment, dans son livre de 2023, Truth and Repair : How Trauma Survivors Envision Justice, Herman travaille sur la question de la réparation à partir d’une analyse de la violence sexuelle comme traumatisme fondamental.

4 Nous signalons aussi le travail d’Avgi Saketoupoulou (Sexuality Beyond Consent, 2023), qui opère une critique de la traumatophobie propre à une grande partie des études sur la violence sexuelle, qu’elle estime obsédée par l’injonction de guérir le trauma. Elle adopte une autre stratégie : celle de reconceptualiser le consentement sous le nom de « limit consent » (« consentement limite ») à partir d’un travail psychanalytique qui vise à mobiliser autrement le traumatisme et à risquer et non pas sauvegarder le sujet.

5 Delphy soutient que les femmes et les hommes constituent des classes sociales, au même titre que les prolétaires et les capitalistes, ce qui a été la source de nombreuses critiques et de débats au sein du mouvement féministe.

6 Nous reprenons ici l’idée de « constructivisme matérialiste » que Lisa Disch reconnaît chez Delphy, et que l’on retrouve aux racines de la pensée des théoriciennes du groupe Questions Féministes.

7 Nous rejoignons ici Marie-Élisabeth Handman lorsqu’elle affirme que « la lecture croisée de Tabet et Mathieu permet d’apprécier la manière dont leurs textes se nourrissent mutuellement ».

8 Nous pensons, par exemple, à la tribune des 100 femmes dans Le Monde, disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/09/nous-defendons-une-liberte-d-importuner-indispensable-a-la-liberte-sexuelle_5239134_3232.html (Consulté le 20 mars 2023).

9 Nous signalons les travaux récents de Quill Kukla sur la négociation sexuelle.

Citer cet article

Référence électronique

Micol Bez, « Ce sexe qui n’est pas un cheveu. Réévaluer les critiques féministes-matérialistes du consentement : le groupe de Questions féministes », Atlantide [En ligne], 16 | 2025, mis en ligne le 01 mars 2025, consulté le 06 juillet 2025. URL : https://atlantide.pergola-publications.fr/index.php?id=1661

Auteur

Micol Bez

Université Northwestern

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