En 1935, le dramaturge-poète Tian Han (Tián Hàn 田汉, 1898-1968)1 crée, en collaboration avec le musicien Nie Er (Niè Ĕr 聂耳, 1912-1935), La Marche des volontaires (Yìyŏngjūn jìnxíngqŭ 义勇军进行曲) pour le film Les Enfants de Chine (Fēngyún érnŭ 风云儿女), dont il assure aussi le scénario. Les paroles de ce futur hymne national mettent l’accent sur l’actualité en affirmant que « le peuple chinois a atteint le moment le plus dangereux » de son histoire, alors que le titre chinois du film évoque la métaphore du fēngyún, « vent et nuages », qui désigne des « temps troubles ». Le dramaturge associe ainsi des éléments de l’environnement naturel au tumulte du contexte socio-politique de l’époque. En effet, depuis 1931, le Japon impérialiste accélère son intervention militaire en Chine, ce qui mènera à la guerre sino-japonaise qui éclate en 1937, soit deux ans après la création de La Marche des volontaires. Tian Han adhère quant à lui au parti communiste en 1932, et, malgré la pression politique du gouvernement nationaliste dirigé par Tchang Kaï-shek (Jiăng Jièshí 蒋介石), il s’engage ardemment dans les activités littéraires et artistiques ayant pour but de favoriser la résistance des patriotes chinois contre l’invasion du Japon.
La métaphore des « temps troubles » — pris au sens à la fois climatique et politique — renvoie au souci que se fait Tian Han pour son pays en danger. Pourtant, au début de sa carrière, ses créations n’étaient pas aussi sombres. En effet, le jeune dramaturge de talent a d’abord manifesté son idéal littéraire à travers un imaginaire plein de douceur et de tendresse, une utopie méridionale où les protagonistes jouissent d’une vie pacifique. Le conflit sino-japonais entraîne une rupture dans sa création, c’est pourquoi son œuvre est souvent étudiée sous un angle politique. Mais il convient de signaler que l’imaginaire de l’environnement naturel joue également un grand rôle dans les créations dramatiques de Tian Han. Bien que ses pièces soient rarement associées à l’écriture de l’écologie — notion liée au problème environnemental dans la Chine actuelle —, étudier l’imaginaire de l’environnement dans la création de Tian Han nous permet de découvrir son œuvre sous un jour nouveau.
1. L’amour et la jeunesse du pays méridional dans les premières créations de Tian Han
Tian Han commence à écrire des pièces de théâtre en 1922, année de son retour en Chine après six ans d’études à l’École normale supérieure de Tōkyō. De 1922 à 1930, il crée à Shanghai plusieurs revues et groupes théâtraux sous le nom de Nánguó (南国), « pays du midi ». Ce terme, qui évoque à la fois la vie, la jeunesse, l’amour, le rêve et l’espoir, s’inspire d’une allégorie littéraire du poète allemand Goethe. Dans le premier chapitre du roman Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, Mignon chante une chanson dans laquelle le pays méridional représente le paradis des jeunes amoureux où fleurissent citronniers et orangers2. Cette « chanson de Mignon » a été traduite pour la première fois en chinois en 1903, par Ma Junwu (Mă Jūnwŭ 马君武, 1881-1940), sous le titre de « Mĭlìróng gē » (米丽容歌) (voir Yang, 1991, p. 93-94). Par la suite, des écrivains chinois tels que Guo Moruo (Guō Mòruò 郭沫若, 1892-1978), Yu Dafu (Yù Dàfū 郁达夫, 1896-1945), Yang Wuneng (Yáng Wŭnéng 杨武能, 1938-) ou Liang Zongdai (Liáng Zōngdài 梁宗岱, 1903-983) ont également traduit cette chanson de Mignon, souvent rebaptisée sous leurs plumes « Míniáng gē » 迷娘歌. Si Tian Han n’a pas pour sa part traduit cette chanson, il est lui aussi fasciné par l’imaginaire du pays méridional de la jeune Mignon. Ainsi verra le jour, en 1934-1935, une pièce de théâtre intitulée L’Air du retour du printemps (Huí chūn zhi qŭ 回春之曲, III, p. 109-151), dans laquelle Tian Han insère une « chanson de Meiniang » (Méiniáng qŭ 梅娘曲) librement adaptée de l’originale de Goethe. Meiniang (梅娘), héroïne de la pièce de Tian Han, chante cet air de jeunesse à son amour qui a perdu la mémoire après avoir été traumatisé par la guerre3. La mélodie douce et les paroles amoureuses soulignent par contraste la cruauté de la guerre et permettent à Tian Han de dénoncer l’invasion de la Chine par le Japon.
Dans les années 1920, Tian Han débute donc sa carrière théâtrale en déclinant le thème du « pays du midi » (Nánguó 南国) : il crée la Revue bimensuelle du Midi (Nánguó bànyuèkān 南国半月刊, revue qui paraît en 1924-1925, puis qui devient mensuelle en 1929-1930), les numéros « spéciaux » de la Revue du Midi (Nánguó tèkān 南国特刊, revue paraissant en 1925, en tant que supplément de la revue hebdomadaire Xĭngshī 醒狮, Le Lion se réveille), la Société des Arts cinématographiques et dramatiques du Midi (Nánguó diànyĭng jùshè 南国电影剧社, 1926-1927), le Cercle artistique du Midi (Nánguó shè 南国社) ainsi que l’École des Arts du Midi (Nánguó yìshù xuéyuàn 南国艺术学院) (1928-1930). À l’époque, Tian Han déclare appartenir au courant littéraire du « néo-romantisme » (xīn luómànzhŭyì 新罗曼主义). D’après la définition du dramaturge, il s’agit d’un « bel enfant dont la mère est le romantisme et le père est le naturalisme » (XIV, p. 157-190)4. Naturalisme, parce que les personnages de ses pièces sont souvent des gens ordinaires de la société moderne chinoise. Romantisme, parce que Tian Han cherche à capturer une beauté pure et absolue étrangère aux gens d’ici-bas. À travers la perspective du néo-romantisme, il souhaite concevoir un monde intangible et métaphysique, hors de la portée des sens. L’objectif est de libérer l’esprit (líng 灵) de la cangue d’un monde matériel (ròu 肉) afin de retrouver un monde équilibré et de rajeunir une Chine vieillissante. Si le talent du jeune dramaturge lui permet de se livrer à la rhétorique et la métaphore poétiques pour créer des scènes sentimentales et pathétiques dans le « pays du midi », il faut indiquer que ces pièces présentent généralement une atmosphère dangereuse mais séduisante, un registre sombre et mélancolique. L’environnement extérieur, qu’il s’agisse d’une scène urbaine ou d’une campagne sauvage, est toujours couvert d’un nuage d’inquiétude qui se dissipe finalement grâce à la mort du héros, ou à son retrait hors du monde.
Dans La Nuit de la prise du tigre (Huò hŭ zhi yè 获虎之夜, 1924, I, p. 179-206), un jeune homme, dans une situation difficile, lutte vainement pour regagner son amoureuse avec qui les fiançailles ont été rompues. Caché seul dans les montagnes, le jeune homme désespéré rôde tous les soirs sur la colline près de laquelle habite sa bien-aimée afin de la revoir en secret. Mais la nature ne le camoufle pas longtemps. Les villageois le prennent pour un tigre menaçant, et il tombe dans un piège installé par des chasseurs. Ni l’obscurité de la nuit ni la profondeur de la montagne ne lui fournissent de refuge. La paix n’est possible que dans un autre monde : le jeune homme finit par se poignarder en pleine poitrine devant les villageois. Autre histoire d’amour, le Retour dans le pays du sud (Nán guī 南归, 1929, I, p. 411-430) raconte le retour d’un poète itinérant dans son pays nordique pour retrouver la tranquillité5. Il découvre que depuis son départ, la bergère, son ancienne amoureuse, s’est mariée. Ennuyé par le paysage de la steppe et de la forêt qui pourtant lui manquaient, le poète repart pour le sud, où une jeune fille nommée Printemps l’a beaucoup aimé. Mais la jeune fille s’est fiancée avec un autre garçon pendant l’absence du poète. Très déçu, il reprend son chemin et continue sa vie nomade. Dans cette pièce à la tonalité pastorale et nostalgique, Tian Han montre à la fois le paysage méridional et le paysage septentrional. Pour le personnage du poète comme pour le dramaturge Tian Han, le retour vers le pays du midi est la recherche inlassable de l’amour et de la jeunesse perdue. Le poète s’accomplit dans une vie de bohème qui lui permet de se déplacer en toute liberté sur le sol chinois. Toutefois, la réalité de l’époque n’est pas si heureuse que dans la pièce. Au début de l’année 1929, une grande famine frappe la Chine dans les provinces de Shanxi, Henan et Gansu (région centrale et nord-ouest de la Chine). La nature calme et paisible décrite dans la pièce n’est qu’un refuge métaphorique pour l’âme du poète.
2. La menace des intempéries et des catastrophes naturelles
La création de Tian Han prend un grand virage en 1930. Dans un long article intitulé « L’autocritique de nous-mêmes » (XV, p. 80-186), publié à l’origine dans la Revue mensuelle du Midi6, le dramaturge explique qu’il abandonne le néo-romantisme pour embrasser des sujets réalistes associés à la vie des travailleurs. Si une tonalité mélancolique voire pessimiste peut encore être décelée dans certaines de ses pièces écrites au début des années 1930, celle-ci résulte souvent du désespoir de la classe populaire aux prises avec la cruauté de la réalité. Les histoires nostalgiques et poétiques de ses créations des années 1920 cèdent la place aux tribulations des gens privés de ressources. La nature n’est plus une Arcadie où l’on peut réfléchir au sens de la beauté, mais devient une force sinistre qui aggrave la misère des personnages déjà touchés par les difficultés économiques. Malgré leurs efforts, les personnages n’arrivent jamais à échapper à leurs destins de condamnés.
Tian Han est pourtant plus réaliste que fataliste. En fait, ses pièces reflètent la perplexité du public de l’époque qui a l’impression d’être dans une impasse. D’une part, l’impact de la crise économique de 1929 ainsi que des conflits militaires intérieurs (les seigneurs de guerre, les nationalistes et les communistes) et extérieurs (les interventions militaires du Japon) fragilisent la vie économique des petits citoyens urbains ; d’autre part, les calamités naturelles rendent précaires les conditions de vie à la campagne. Si la « décennie de Nankin » (1928-1937)7 est souvent considérée comme un âge d’or de la Chine républicaine grâce au développement industriel et commercial, le dramaturge Tian Han présente dans ses œuvres les gens qui ne bénéficient pas de cette richesse. En 1934, dans un article à propos du théâtre chinois contemporain, Tian Han écrit que les dramaturges ne doivent pas être indifférents à l’actualité. Pour lui, trop peu de pièces de théâtre décrivent la vie misérable des victimes des inondations et de la sécheresse (voir XV, p. 239-242)8. L’inondation du fleuve Yangzi (ou Yang-tze, Yángzĭ jiāng 扬子江) a en effet touché 51 millions personnes, soit un quart de la population chinoise de l’époque. Plus de 140 000 personnes sont mortes pendant l’inondation, et la famine et les épidémies qui ont suivi ont fait trois millions de victimes supplémentaires. En 1934, une grande sécheresse entraîne une famine nationale qui cause plus de six millions de morts. De 1931 à 1949, la région traversée par le fleuve Yangzi subit onze inondations. C’est dans ce contexte que le dramaturge s’engage dans la création de pièces sur le thème des calamités naturelles.
Prenons pour exemple La Saison des pluies (Méiyŭ 梅雨, 1931, II, p. 241-276)9. L’histoire qui se passe dans un bidonville de Shanghai s’inspire d’une actualité lue par Tian Han dans le journal10. Le personnage principal nommé Pan Shunhua a abandonné son métier de paysan en raison de la sécheresse, et s’est installé à Shanghai avec sa famille. Dès lors il travaille pendant huit ans comme ouvrier d’une filature. À cause de la crise économique, le patron de la filature licencie Pan Shunhua, déjà âgé d’une cinquantaine d’années et en mauvaise santé. Pan Shunhua devient marchand itinérant de sucreries, mais la pluie qui tombe durant tout un mois l’empêche de sortir gagner sa vie. Il est donc obligé d’emprunter de l’argent à des taux abusifs, ce qui marque le début d’un cercle vicieux financier. Le coup de théâtre est une lettre de chantage écrite par le bien-aimé de la fille de Pan, Awen, qui est au chômage et dont le bras a été cassé dans un accident de machine à la filature. Pour aider les Pan à sortir de leur misère, il menace un petit marchand en lui demandant une grosse somme d’argent. Sa tentative échoue et il est arrêté par la police. Par une journée pluvieuse, Pan Shunhua, sans aucun moyen de payer le loyer, est expulsé par la propriétaire de son logement. Dans sa chambre au dernier étage, il se donne la mort en se poignardant en pleine poitrine. Le toit étant troué, l’eau de pluie s’infiltre dans la chambre, s’écoule par terre et se mêle aux gouttes de sang de Pan.
Tout au long de cette pièce au registre sombre, les personnages hésitent entre l’idée de la lutte, proposée par une professeure militante, et la morale traditionnelle chinoise consistant à « se résigner à l’amertume pour accueillir une meilleure vie »11. La fille de Pan Shunhua, qui s’est cassée des doigts au travail, revendique la nécessité de la lutte, en vain. La seule solution qu’elle trouve est de se prostituer. Le dramaturge Tian Han rassemble habilement tous ces éléments mélodramatiques pour composer une pièce parsemée de sang et de larmes. Aux scènes de désespoir s’ajoute le climat défavorable aux personnages qui sont déjà physiquement blessés ou handicapés. La pluie envahissante symbolise par ailleurs l’omniprésence de l’oppression économique. Le dramaturge affectionne cette métaphore du temps troublé qui met en danger l’existence des gens ordinaires. Pour les personnages, seul le retour du soleil peut raviver l’espérance. C’est pourquoi à la fin de la pièce, les didascalies indiquent que « le bruit de la pluie s’arrête, une lumière rouge pénètre dans la chambre à travers la fenêtre, comme si elle annonçait un beau temps pour demain. » Le salut n’est pas immédiat mais réside dans l’avenir.
Le registre sombre de La Saison des pluies annonce L’Inondation du Fleuve Yangzi (Hóngshuĭ 洪水, 1931, II, p. 289-303)12. La création de cette pièce est étroitement liée à l’actualité de l’année. En effet, de 1928 à 1930, une grande sècheresse afflige la Chine. Mais au printemps de 1931, une crue exceptionnelle — catastrophe dite Jiāng-Huái dàshuĭ (江淮大水) — se produit après un hiver très neigeux, dans la région du Yangzi et du fleuve Jaune, ainsi que de la rivière Huai (Huái hé 淮河). 140 000 personnes sont emportées par l’inondation, et plus de 420 000 meurent de faim et de maladie. Ces catastrophes naturelles, nombreuses dans les années 1930, sont un sujet récurrent des créations de Tian Han à l’époque. Dans une pièce écrite en 1937 et intitulée Le Pont de Lugou, ou Le Pont Marco Polo (Lúgōu Qiáo 芦沟桥, IV, p. 129-196), un personnage de soldat remarque que, « depuis des années, les débordements du fleuve Jaune et du Yangzi ainsi que la sécheresse des régions du Shanxi et du Sichuan produisent de nombreuses victimes. Des milliers et des milliers de personnes meurent en très peu de temps »13. Cette remarque traduit sans doute les pensées du dramaturge qui réagit à l’actualité.
L’histoire de L’Inondation du Fleuve Yangzi, très simple, est celle d’une famille prise au piège de l’inondation. Elle se retrouve sans nourriture ni eau potable. Sachant que les autorités proposent un peu d’alimentation aux sinistrés en ville, la famille envoie le fils chercher quelques galettes en naviguant dans une caisse en bois. Mais la nourriture est saisie par des marchands opportunistes. Les personnages racontent chacun les misères vécues par leurs voisins, et ils se rendent compte que la seule chose qu’ils puissent faire est d’attendre que l’inondation se retire. Le vieux grand-père, pour laisser les réserves alimentaires aux jeunes enfants de la famille, finit par se jeter silencieusement dans le fleuve en pleine nuit. Encore une fois, l’environnement naturel accable la classe populaire. Le dramaturge ajoute cependant quelques mots de douceur dans les dernières didascalies lors de la scène du suicide du grand-père : sous la clarté froide de la lune, « on entend le cri des insectes et le son du fleuve qui coule »14. Le grand-père, satisfait, se glisse dans l’eau, et « on entend simplement de l’eau qui semble chuchoter et pleurer, très doucement et très légèrement »15. À l’aide d’une belle description à l’atmosphère paisible, il semble que le dramaturge essaie d’atténuer l’aspect tragique de la situation misérable suscitée par l’inondation. La menace causée par l’environnement naturel va devoir céder devant l’humanité et la solidarité.
En plein été 1934, Tian Han écrit La Sécheresse (Hànzāi 旱災, III, p. 73-87)16. La pièce est inspirée de la catastrophe suscitée par la grande chaleur de l’année (dite jiăxū dàhàn 甲戌大旱 ou jiăxū dàhuāng 甲戌大荒)17. Afin de protéger les récoltes, différents rites religieux visant à appeler la pluie sont effectués par les paysans et les organisations taoïstes et bouddhistes. Même les fonctionnaires et les officiers des autorités y prennent part (voir Huang, 2010, p. 47-54). Dans la pièce de Tian Han, la sécheresse endommage une rizière et empêche les villageois d’assurer l’élevage des vers à soie. Ils sont obligés d’acheter leur alimentation à des commerçants opportunistes, ce qui les prive de leurs dernières ressources. Affamés et désespérés, les villageois décident d’arrêter et de punir un enseignant en sciences qui a proposé de détruire le temple du Roi du dragon — divinité censée faire pleuvoir — et de le remplacer par une école moderne. Mais finalement les villageois prennent conscience que ce n’est pas la science qui est malfaisante. Ils se dirigent donc chez un homme riche et lui demandent d’aspirer de l’eau avec sa pompe moderne pour en faire profiter le peuple. Dans cette pièce, Tian Han critique à la fois les pratiques de stockage personnel de l’eau et les villageois-paysans superstitieux qui ont recours au Roi du dragon pour faire pleuvoir. L’engouement de Tian Han pour la technologie moderne et la météorologie se manifeste dans la théorie de l’ensemencement des nuages présentée à travers la voix du professeur de sciences.
Le sujet de la sécheresse est moins récurrent chez Tian Han que celui de l’inondation. Il reprend ce thème 1935, dans la pièce intitulée L’Inondation du Fleuve Jaune (Hóngshuĭ 洪水, III, p. 209-257)18. Il écrit cette pièce au lendemain de sa visite à Xuzhou, dans l’une des régions les plus touchées par l’inondation (voir XVI, p. 238-247)19. Le but, selon l’auteur, est d’encourager le peuple à lutter contre les menaces de la nature toute-puissante (voir XV, p. 262-263)20. Encore une fois, Tian Han critique la superstition des villageois qui attribuent le débordement du fleuve Jaune à la colère du Roi dragon. En effet, pour apaiser cette divinité, ils projettent de livrer au fleuve un homme qui s’appelle Zheng Dehe (Zhèng Déhé 郑德和), nom dont la prononciation est proche de celle de « zhèn dé hé » (镇得河), c’est-à-dire » calmer le fleuve ». Face aux villageois superstitieux, un ingénieur, Yu, est chargé de diriger les travaux d’aménagement de la digue. Malheureusement, le bureaucratisme et la corruption des officiers locaux empêchent la centralisation des ressources nécessaires à l’aménagement de la digue, tandis que l’invasion inlassable des Japonais ne permet pas aux Chinois de réaliser des projets d’aménagement à long terme. Mais, d’après l’ingénieur, la raison essentielle de l’inondation n’est autre que l’ensablement du fleuve. Il pense qu’il suffirait de planter des arbres en amont du fleuve pour résoudre ce problème, parallèlement au renforcement de la digue en aval. Sur ce point, Tian Han est sans doute l’écrivain de l’époque qui fait le plus preuve d’une conscience écologique dans ses créations dramatiques.
La pièce n’est pourtant pas simplement une création au service de la propagande. Le talent littéraire du dramaturge se manifeste dans les paroles des airs chantés. L’air des Lanternes rouges parcourant cent kilomètres (Băi lĭ hóngdēng 百里红灯), par exemple, raconte dans une tonalité folklorique et rustique l’amour sincère des jeunes gens. Face aux catastrophes naturelles, Tian Han compte à la fois sur la science et sur la solidarité. Lorsque la jeune fille qui chante l’air des Lanternes rouges parcourant cent kilomètres est abandonnée par son fiancé qui ne pense qu’à se sauver du débordement du fleuve, c’est une vieille paysanne qui lui prête généreusement son manteau. Les villageois comprennent, eux aussi, que malgré son engagement, l’ingénieur Yu n’arrivera pas seul à promettre un avenir rassurant.
La pièce se termine avec une scène d’orage. Les cris de peur et de colère des villageois et le souffle du vent se mélangent aux chants des ouvriers dans le lointain. Tout le monde crie : « Levons-nous pour nous sauver nous-mêmes ! Sinon, nous allons tomber dans l’eau ! »21. Si cette dernière réplique résume l’idée principale de la pièce, Tian Han souligne une dernière fois, à travers la voix de l’ingénieur, la valeur du progrès scientifique qui permettra aux Chinois dans l’avenir de dominer, sinon maîtriser, leur environnement naturel : « Nous sommes déjà au XXe siècle mais, face à la puissance de la nature, nous ne pouvons rien faire. C’est une honte pour notre pays ! »22. Le recours à la science sera le motif d’une autre pièce sur l’environnement naturel que Tian Han composera dans les années 1950 pendant le mouvement politique du « Grand Bond en avant ».
3. Le courage sous l’orage
En plus des dommages causés par les catastrophes naturelles, la Chine dans les années 1930 subit également la menace militaire du Japon. L’incident du 18 septembre 1931 (Jiŭ-Yībā shìbiàn 九一八事变) annonce le début des conflits et tensions politico-militaires entre la Chine et le Japon qui mèneront à la guerre en 1937. Dans les créations de Tian Han, les troubles socio-politiques sont souvent représentés par la métaphore de l’orage. C’est le cas, en 1932, de Sept femmes sous l’orage (Bàofēngyŭ zhōng de qīge nŭxìng 暴风雨中的七个女性, II, p. 371-419). Ici, le terme « orage » fait sans doute référence au changement de climat politique dû à l’invasion du Japon impérialiste. Ce n’est cependant pas un élément visuel représenté sur scène. Le dramaturge cherche à éveiller une attitude militante et engagée chez le spectateur, et non une ratiocination infatigable. Les personnages sont au fait de la crise que subit la Chine, mais ne réagissent que par des mouvements inutiles. Par exemple, une journaliste propose à son entourage de fonder une « Alliance antijaponaise des écrivaines chinoises patriotiques », afin de régler les trois problèmes principaux de la Chine, à savoir la guerre, les inondations et l’augmentation du chômage consécutive à la crise économique. Mais rien n’est résolu malgré la création de telle ou telle association. Le dramaturge Tian Han opte quant à lui pour une attitude engagée face aux menaces des ennemis : avant le baisser du rideau, les personnages se rendent compte finalement de l’imminence des dangers et décident de descendre dans la rue pour participer aux manifestations.
Tian Han est fasciné par l’image des femmes courageuses malgré l’orage. Dans un essai de 1936 (XVIII, p. 544-549)23, il décrit la courtisane patriotique Sai Jinhua (Sài Jīnhuā 赛金花 comme « une femme sous l’orage » (《暴风雨中的一个女性》, XVIII, p. 544). Et si les Chinois utilisent souvent le terme fēngchén (风尘, littéralement « vent et poussière ») pour parler du monde des courtisanes, Tian Han associe l’image de la courtisane Sai Jinhua au terme bàofēngyŭ (暴风雨, littéralement « vent et pluie violents ») — qui désigne l’« orage » — pour mettre en avant son courage face à l’adversité.
En 1934, Tian Han écrit, en collaboration avec Nie Er, un opéra-théâtre intitulé L’Orage du fleuve Yangzi (Yánzĭ jiāng de bàofēngyŭ 扬子江的暴风雨, III, p. 37-71), créé quelques semaines avant La Sécheresse24. Dans L’Orage du fleuve Yangzi, la résistance s’organise d’une manière encore plus radicale. Les ouvriers, les citoyens et les étudiants se proposent de jeter dans le fleuve les munitions des Japonais fabriquées en Chine, et de repousser à la mer « les collaborateurs et les bandits de l’impérialisme »25. L’« orage » dans les deux pièces symbolise d’une part l’atmosphère inquiétante de la société chinoise au moment des attaques japonaises et d’autre part la réaction énergique des Chinois qui repoussent les ennemis cherchant à débarquer le long du fleuve.
4. Une rhapsodie historique et fictionnelle
La création de Tian Han prend un nouveau virage après la fondation de la Chine populaire en 1949 : il s’intéresse désormais à des sujets historiques. Mais, en 1958, c’est-à-dire l’année où les autorités mettent en œuvre le mouvement politique du « Grand Bond en avant » (Dàyuèjìn 大跃进), Tian Han, enthousiasmé par les réformes socio-politiques (voir XVI, p. 408-409)26, écrit une pièce d’actualité intitulée La Rhapsodie du Barrage des Treize tombeaux des Ming (Shísānlíng shuĭkù chàngxiăngqū 十三陵水库畅想曲, abrégée ci-après en La Rhapsodie, VI, p. 217-327). La création de la pièce est une réponse à la politique artistique engagée par le premier ministre Zhou Enlai (Zhōu Ēnlái 周恩来), qui propose aux artistes de présenter des sujets réalistes sous un angle héroïque et romantique. Cette orientation dite liăng jiéhé (两结合), littéralement « union de deux [contraires] », en fait l’« alliance entre le romantisme révolutionnaire et le réalisme révolutionnaire », sera confirmée en 1960 par l’Assemblée générale des écrivains et artistes de Chine (Quánguó wéndàihuì 全国文代会).
L’histoire de La Rhapsodie s’inspire de la construction du barrage des Treize tombeaux, ancien cimetière de la dynastie impériale des Ming. De février à juin 1958, plus de 400 000 ouvriers issus de différents milieux sociaux sont mobilisés, de sorte que les travaux sont miraculeusement terminés en cinq mois. L’idée du « Grand Bond en avant » concerne non seulement la construction industrielle mais aussi la production des œuvres littéraires et artistiques (voir Shen, 2013, p. 95-102). Tian Han se rend ainsi avec d’autres artistes et intellectuels au chantier du barrage. Très ému par la mobilisation populaire, Tian Han, à la suite de la création de Guan Hanqing (Guān Hànqīng 关汉卿, dramaturge du XIVe siècle, voir VI, p. 101-215), finit la rédaction des treize scènes de La Rhapsodie en moins de dix jours. Les répétitions se déroulent parallèlement à l’avancement de la rédaction du texte (voir XVI, p. 412-416)27. Achevée en juin 1958, La Rhapsodie est jouée au théâtre mais aussi dans les usines, les communes rurales ainsi que sur les places publiques des villes28. Toujours en 1958, une version cinématographique de La Rhapsodie est accomplie en trente-sept jours et réalisée par Jin Shan (Jīn Shān 金山, 1911-1982), vice-directeur du Théâtre des Jeunes artistes de Pékin (Bĕijīng qīngnián yìshù jùyuàn 北京青年艺术剧院) qui avait aussi commissionné la version dramatique29.
L’histoire de La Rhapsodie est celle de la visite d’une délégation sur le chantier. Les membres de cette délégation sont des scientifiques, des écrivains, des journalistes occidentaux, des artistes, des professeurs d’université, d’anciens combattants, etc. Doutant quelque peu au début de la validité du projet de construction du barrage, les visiteurs intellectuels sont finalement convaincus par la large mobilisation de la main-d’œuvre sur le chantier. À cette visite s’ajoute une intrigue autour d’un écrivain hypocrite qui a abandonné sa fiancée qu’il trouvait moins « civilisée » (《没文化》) que lui, mais qui se transforme en une femme nouvelle grâce à son engagement dans le travail ainsi qu’à sa passion pour la construction d’une société nouvelle. De la première jusqu’à l’avant-dernière scène, la pièce est ponctuée d’airs collectivement chantés qui sont des louanges au travail, des chants d’émulation entre différents groupes de volontaires ou encore des récits de modèles héroïques. Parallèlement à ces personnages de Chinois réalistes, deux protagonistes fantastiques sont intégrés dans la première scène. Il s’agit de Kubilaï Khan des Yuan (1271-1368) ainsi que l’empereur Zhu Di (Zhū Dì朱棣) des Ming (1368-1644). Le premier, accompagné de son ingénieur hydraulique Guo Shoujing (Guō Shŏujìng 郭守靖), se rend dans le passé sur le même site que le chantier du barrage actuel. Il surveille l’avancement des travaux et montre une grande détermination pour améliorer la vie de son peuple menacée par l’inondation. L’empereur Zhu Di, quant à lui, tient à y faire construire les tombeaux impériaux malgré la souffrance du peuple. La référence politique est sans doute évidente : pendant la construction du barrage, Mao Zedong (Máo Zédōng毛泽东) et Zhou Enlai se sont en effet rendus sur le chantier.
Historiquement, les habitants vivant dans la région des Treize tombeaux sont depuis des siècles tourmentés par les inondations. Tian Han signale ce fait dans La Rhapsodie (sc. 9, sc. 11), et reprend régulièrement son argument déjà évoqué dans les années 1930 : la nature représente un ennemi cruel et persécuteur, seules la solidarité et l’opiniâtreté peuvent garantir un meilleur avenir. L’imaginaire de l’environnement est couplé à un discours militaire et agrémenté d’un vocabulaire héroïque. Le chantier symbolise ainsi « le champ de bataille où l’on s’attaque violemment à la nature » (《向大自然进攻的战场》, sc. 1, p. 225). La construction du barrage est quant à elle « une bataille ayant pour but de lutter contre les dommages provoqués par la nature » (《永远消灭自然灾害的斗争》, sc. 1, p. 232). Les habitants et camarades communistes sont invités à « saisir le vieux Roi du dragon » (《捉住老龙王》, sc. 10, p. 291). « Notre enthousiasme robuste alimenté par le socialisme nous permet de nous dégager de l’attaque inlassable de l’orage » (《让我们的社会主义干劲冲破暴风雨的袭击》, sc. 10, p. 290), et « le grand barrage s’élèvera en dépit de l’orage » (《让我们的大坝在暴风雨中照样地长高》, sc. 10, p. 290). Ouyang Yuqian (Ōuyáng Yúqiàn 欧阳予倩, 1889-1962), dramaturge et directeur de l’Académie centrale d’art dramatique de Pékin (Zhōngyāng xìjù xuéyuàn 中央戏剧学院), a loué la « nouvelle technique dramaturgique » de la pièce. Selon lui, la pièce réussit à réunir les voix de toutes les classes. La méfiance et les soupçons de certains personnages sont corrigés par leurs interlocuteurs. La polyphonie est éliminée et se transforme en un monologue, dans un processus d’unification des idées et de partage de la passion pour le travail (voir Ouyang, 1958 ; Iovene, 2014, p. 22). D’autres remarques positives se retrouvent dans la presse cette année-là (voir Chen, 1958 ; Zhu, 1958 ; Jia, 1959 ; Hong, 2008, p. 250).
Tian Han met tout son talent au service de la dernière scène de la pièce, dont l’action se déroule en 1978, c’est-à-dire vingt ans après la construction du barrage30. L’environ-nement naturel étant dompté, les Chinois de la nouvelle génération se réjouissent du progrès de la science et de la technologie. Dans cette utopie imaginée par Tian Han, les Chinois portent des habits de soie artificielle et se déplacent sur le lac à l’aide d’un bateau à propulsion nucléaire. On chante aux environs du barrage, et la musique agréable se fait entendre partout dans la montagne grâce à l’installation de stations de radio. Pour faciliter l’accès au barrage qui devient un site touristique et culturel, il y a des parkings dans lesquels se garent des voitures fabriquées en Chine, et même un héliport. À côté du lac-réservoir, on voit des universités d’arts, d’agriculture et de littérature. Des élèves pratiquent des instruments comme le violon, certains dessinent le paysage du lac et des montagnes. Encore plus fantastiques, une station de fusée et un hôtel interplanétaire accueillent des hommes d’affaires qui voyagent entre les planètes. Le progrès se manifeste également dans la lutte contre une nature ressentie comme nuisible. Tous les parasites et animaux censés être nuisibles, tels que les punaises de lit, les moineaux, les rats et les mouches, ne se trouvent plus en Chine. Pour ne plus répandre cet insecte nuisible, les Chinois qui comptent voyager dans l’espace doivent se soumettre aux contrôles les plus rigoureux avant de décoller. Si l’utopie de Tian Han est teintée de touches pastorales, elle présente aussi un aspect plus inquiétant, notamment les constructions industrielles n’y sont jamais ralenties. Ainsi, toujours dans l’avenir imaginé par Tian Han, une centrale nucléaire pourra être élevée en deux ans.
Les problèmes écologiques suscités par certaines politiques engagées pendant le Grand Bond sont bien connus. La campagne dite « Anéantir les moineaux » (Dă máquè yùndòng 打麻雀运动), par exemple, a permis aux insectes nuisibles de se multiplier, ce qui a causé indirectement la grande famine chinoise de 1958 à 1961. L’auteur de La Rhapsodie n’envisage pas ce type de conséquences. Au contraire, son optimisme politique et son soutien sans réserve à ce mouvement utopique lui permettent de croire en un bel avenir grâce à l’intervention des ouvriers sur l’environnement.
Dans un autre poème écrit à l’automne-hiver 1958 lors de son voyage à Zhangzhou (Zhāngzhōu 漳州), dans le Fujian (Fújiàn 福建), au sud-est de la Chine, Tian Han exprime son soutien sans réserve au Grand Bond en avant, et ne regrette pas la déforestation au profit de la campagne, action dite « L’Acier guidant la politique » (Yĭ gāng wèi gāng 以钢为纲). Ce programme exige une mobilisation nationale. Il demande à tous les foyers de remettre aux brigades chargées de la production (agricole comme industrielle) leurs ustensiles en métal, dans le but de collecter le moindre gramme de métal, puis de le faire fondre afin de fabriquer de l’acier. Des « petits hauts-fourneaux » sont construits partout dans les campagnes, et les arbres sont coupés pour fournir le combustible. Sous la plume du poète, le feu des fourneaux est comparé au soleil, tandis que les feuilles mortes lui permettent d’arriver à la conclusion qu’un pouce d’acacia permet de produire un pouce d’acier :
枝干横斜叶半黄,
漳州炉焰对斜阳。
炼钢何惜相思树,
一寸相思一寸钢。31
Les feuilles jaunes sont suspendues sur les branches des acacias,
La couleur du crépuscule est relevée par les flammes des fourneaux ;
Coupons les acacias afin de fournir les combustibles indispensables,
Sachons qu’un pouce d’acacia nous permettra de tremper un pouce d’acier.
(Notre traduction)
La production d’acier à partir de métaux de mauvaise qualité est une politique vouée à l’échec, mais l’optimisme naïf voire simpliste de Tian Han se révèle dans ce poème. C’est pourquoi, dans la dernière scène de La Rhapsodie, Tian Han se laisse guider par son imagination pour présenter une nouvelle Chine utopique réalisée grâce à la lutte contre la nature. Pour enjoliver encore cet avenir très attendu, le réalisateur Jin Shan ajoute même une scène qui ne se trouve pas dans la version théâtrale. Cette scène se déroule la veille de l’accomplissement de l’utopie, dans un moment où la mobilisation et la solidarité du peuple lui permet de survivre à un orage. La Chine utopique de l’avenir, qui occupe un tiers de la durée du film, devient ainsi encore plus merveilleuse dans la version cinématographique. Des technologies similaires à l’Internet et à la communication instantanée d’aujourd’hui y sont largement utilisées. Les pluies sont parfaitement programmées et peuvent être annulées à la demande. Les fruits sont des organismes génétiquement modifiés. Au milieu du jardin se trouve ainsi un arbre fantastique sur lequel poussent des pommes, des bananes, des raisins, des litchis, etc. Le raisin est aussi grand qu’une pomme et peut guérir toutes les sortes de cancer. L’industrie de l’élevage porcin progresse aussi très bien : en moyenne, chacun bénéficie par jour d’une quantité de 750 kilos de porc ! C’est sans doute l’un des aspects du « romantisme révolutionnaire » (gémìng làngmàn zhǔyì 革命浪漫主义) de l’époque.
Mais Tian Han se réveille finalement de son rêve « rhapsodique ». Les fables de l’évolution environnementale sont brutalement interrompues par un changement de climat politique en 1959. Peng Dehuai (Péng Déhuái 彭德怀, 1898-1974), le ministre de la Défense nationale, est accusé d’être un « opportuniste de droite » (yòuqīng jīhuì zhǔyì 右倾机会主义) et « anti-parti » (fǎn dǎng 反党 ). Tian Han, très proche de Peng, est aussi sévèrement critiqué. Pendant la Révolution culturelle (1966-1976), Tian Han subit de nombreuses accusations et persécutions. Le film réalisé d’après La Rhapsodie est particulièrement critiqué et même inscrit dans la liste des films censurés dits des « 400 herbes toxiques » (《毒草影片四百部》). La raison évoquée est que sous la plume du dramaturge, le communisme serait contaminé par le capitalisme, et le prétendu avenir merveilleux ne serait en fait qu’un amalgame des éléments du confort matériel, combattu par le parti.
5. Conclusion
Durant la quarantaine d’années de sa vie théâtrale, Tian Han est un dramaturge engagé et militant, se souciant constamment de l’avenir de son pays et de ses compatriotes. Dans sa jeunesse, son adoration pour la liberté s’exprime dans une description idyllique du pays méridional. À partir des années 1930, « le moment le plus dangereux » (《最危险的时候》) devient un motif récurrent qui préoccupe Tian Han, qu’il s’agisse de la crise socio-politique que traverse le pays ou des catastrophes naturelles. De la louange littéraire du midi à la rhapsodie consacrée à la nouvelle Chine, en passant par les touches réalistes des récits de luttes contre la nature, une relecture des œuvres de Tian Han nous permet de mieux saisir son imaginaire de l’environnement. La nature en colère est pour lui l’occasion de fournir un témoignage des moments qu’il juge les plus dangereux de l’histoire du peuple chinois.